Cet article est la version complète d’un article destiné à Démocratie et Socialisme, journal de l’Après, Alliance Pour la République Ecologique et Sociale.
Photo illustrant l’article : Jackson, Massachusetts, 18 octobre.
Nous y sommes : les Etats-Unis ne sont plus régis par l’ordre constitutionnel éprouvé des Pères fondateurs, celui des « checks and balances » – « freins et contrepoids », souvent traduit à tort par « séparation des pouvoirs » alors que les pouvoirs doivent s’y entrechoquer, se contredire, s’interpénétrer, pour créer non un équilibre à proprement parler, mais un déséquilibre dynamique nourrissant l’expansion capitaliste de la Grande République. Le déséquilibre dynamique a explosé et cette explosion porte le nom de Donald Trump.
Dans quel régime sont à ce jour et à cette heure les Etats-Unis ?
La démocratie présidentielle imparfaite a sauté, l’Etat de droit s’effondre. Le Congrès n’est plus réuni et la Cour suprême a validé depuis juin le droit du président de violer la constitution.
Avant de se séparer pour être reconvoqué … on ne sait quand, le Congrès a acté le shutdown ; pas de budget, les fonctionnaires fédéraux ne sont plus payés, un à un ce qui reste de services publics à l’échelle du pays s’effondre (heureusement pas la majorité, la plupart relèvent des Etats ou des comtés, mais pour ceux-là aussi les financements fédéraux prennent fin un à un). A cette heure, c’est l’Aide alimentaire, qui concerne 41 millions de personnes qui doit stopper …
Que le budget soit voté un jour ou pas, Trump n’a aucune intention d’en tenir compte. Il a fait démolir toute une aile historique de la Maison Blanche pour en faire une « salle de bal » digne de Poutine, avec des cachettes souterraines en prime, sans recourir à aucune agence d’Etat.
La radicalisation du pouvoir, impopulaire, et de ses partisans, minoritaires, s’accentue, avec comme point d’orgue l’assassinat de Charlie Kirk, meneur mondial de la croisade masculiniste, le 10 septembre dernier.
Assassinat attribué aux « wokistes » alors qu’il est probablement l’œuvre d’un désaxé disciple d’un rival de droite de Kirk, qui l’accusait d’être trop tendre avec les juifs, le néonazi Dick Fuentes. Celui-ci, comme l’était auparavant Kirk, est interviewé par Tucker Carlson, admirateur médiatique de Trump, de Poutine, et de … Hitler.
En l’honneur de Kirk, une grande cérémonie « chrétienne » a réuni 64 000 participants. Un exécutif informel et non constitutionnel opère : au sommet il y a the King, Trump, le vice-président J.D. Vance dont le rôle est sans précédent dans l’histoire du pays , maitre notamment des questions européennes et des questions religieuses, et un troisième homme qui, jusqu’en juin dernier, était Elon Musk.
A Glendale (Arizona) où se tenait la cérémonie « Kirk », est apparu un nouveau troisième homme : Stephen Miller, souvent comparé à Goebbels pour le style et la violence froide de ses discours, dont le titre, qui ne reflète pas son rôle politique, est « chef de cabinet adjoint à la Maison Blanche ».
Mais Musk est venu, ce qui a symbolisé, sinon une réconciliation, du moins le lien tout à fait maintenu entre la Maison Blanche et les milliardaires fous de la Silicon Valley, et il s’est vu attribuer, depuis, le chantier fou d’un tunnel sous le détroit de Behring, projet confirmé à Moscou.
Trump, dans son discours, a franchement proclamé que l’empathie, il ne sait pas ce que sait, et qu’il veut écraser tous ses adversaires.
Dans la seconde quinzaine de septembre, des fuites qui semblent volontaires ont fait connaitre la teneur confidentielle de conférences ésotériques tenues à San Francisco par Peter Thiel, fondateur de PayPall, ancien financier de Musk, soutien de Trump depuis 2016, ayant mis en contact Musk et Trump, promoteur de la carrière de J.D. Vance qu’il a « inventé », entrisme dans l’Eglise catholique inclu, et principal « théoricien », ou coach de « théoriciens », des milliardaires fous de la Silicon Valley.
Il a expliqué que l’Apocalypse arrive, qu’elle sera précédée de la guerre mondiale (Armageddon) qui éclatera quand une personne jeune, probablement une femme, réalisera la paix et l’apathie dans le monde entier ; freinant le progrès technologique et capitaliste au nom du bien et de l’écologie : cet Antéchrist anticapitaliste semble bien être Greta Thunberg. Mais en attendant, le monde tient par l’accélération de l’accumulation et de la circulation du capital, permise par les perturbations apportées par le Katechon (celui qui retient, une référence totalement fumeuse à la Seconde Epitre aux Thessaloniciens de l’apôtre Paul !), envoyé de la Providence pour secouer le monde et le sauver de l’inertie dont le menacent les jeunes de la Génération Z et toutes et tous les amis des bêtes et des migrants : ce sauveur est Trump.
Moralité : il ne faut surtout pas sauver la planète, il faut creuser et forer et brûler et tuer, car ainsi l’élite sera sauvée. Comme le dit Dick Land, théoricien « hyper-raciste » promu par Thiel : « L’humanité n’est que l’hôte passager du Capital ».
Ils en sont là ! Le visage que prennent les Etats-Unis n’est que très mal dépeint dans nos médias.
Mieux vaut aller au cinéma, voir Une bataille après l’autre de P.M. Anderson, tourné début 2024 et sorti récemment. Les scènes de traque et d’affrontements dans une ville proche de la frontière mexicaine sont la réalité présente. Avec l’auto-organisation et la résilience des communautés latinos, bien plus efficace que le gauchisme militarisé du vieil héros du film, et un appareil d’Etat basculant vers le suprématisme blanc.
On peut aussi voir sur Netflix A House of Dynamite, de Kathryn Bigelow, narrant, sans dire la fin, l’impuissance et la panique de la Maison Blanche et du Pentagone devant l’approche rapide d’un missile nucléaire : ils ne sont pas contents de cette contre-pub réaliste, au moment précis où Trump annonce, par un tweet incohérent, la « reprise des essais nucléaires ».
Ce tableau peut à juste titre affoler, mais avant de parler de la résistance et de la contre-offensive démocratique massive porteuse d’espoir, il nous faut encore apporter une précision capitale : il y a, moins que jamais, séparation entre politique intérieure et extérieure. Les bombardements en Iran en juin (la « guerre de 12 jours ») pour encadrer et contenir Netanyahou, ont été le précédent par lequel le Congrès n’a plus aucun mot à dire sur les opérations extérieures. La fiction de la « paix à Gaza », voyant les rois et émirs du pétrole s’associer avec les milliardaires fous de la Silicon Valley, fournit le bruit de fond couvrant les opérations de piraterie de l’administration Trump.
En effet, celle-ci, détournant la lutte nécessaire contre le narcotrafic en une prétendue guerre, mène une série de bombardements sans sommation d’embarcations au large de l’Amérique du Sud et dans les Antilles et les Caraïbes, tuant des dizaines de pécheurs, marins, migrants, vénézueliens, trinidadiens, dominicains, colombiens, haïtiens, ralentie seulement par l’ouragan « Mélissa », assassinats exhibés au grand jour avec fierté par les trumpistes, assortie de menaces de guerre contre le Vénézuela.
Il est essentiel de comprendre que ce banditisme international est la prolongation directe des raids de ICE (Immigration and Customs Enforcement) dans les villes et les campagnes étatsuniennes, et qu’il ne s’agit ni d’une croisade démocratique contre les dictatures que sont effectivement plusieurs des Etats ciblés, ni de leur côté d’une résistance aux côtés du camp mondial russe et chinois. Envers la Russie et la Chine le message est celui du partage du monde, dans lequel toutes les Amériques doivent tomber sous le régime trumpiste.
Le corollaire de la menace contre le Venezuela est donc la menace contre le Canada et le Groenland (et par lui contre le Danemark et contre l’UE). Ces menaces sont cohérentes avec la recherche de l’entente avec Poutine sur le dos de l’Ukraine, qui, malgré les propos contradictoires du King, n’a pas changé, et sur le dos, en fait, de toute l’Europe.
Les principales puissances impérialistes – aujourd’hui les Etats-Unis, la Chine et la Russie, les puissances européennes désemparées arrivant en seconde ligne seulement – sont, avec Trump et Poutine en aile marchante, engagées dans un partage qui suppose de mater leurs propres zones avec leurs peuples. L’affrontement en ce sens passe donc par l’Ukraine, mais son terrain clef est le territoire, le peuple même des Etats-Unis.
Là, rien n’est perdu, tout commence. Le pouvoir trumpiste, son King et ses Kings Vance, Miller, les bouffons comme Hegseth et les milliardaires fous de la Silicon Valley, battent les records d’impopularité. Surtout, la résistance sociale est active et se dresse. C’est en dehors du Parti démocrate et de l’AFL-CIO, sans leurs directions nationales mais avec les milliers de groupes locaux, de sections syndicales et de « communautés » comme on dit aux Etats-Unis, que s’est formé l’immense mouvement No Kings, dont nous avons suivi la montée, et qui a réalisé une nouvelle grande journée à l’échelle du pays le 18 octobre dernier.
Une nouveauté : les médias US et européens ont donné des estimations chiffrées. Aux Etats-Unis, il n’y a ni les « chiffres de la préfecture » ni les « chiffres des syndicats ». Le 14 juin, beaucoup de groupes de gauche se sont accordés pour dire : 5 millions de manifestants. Le recensement fait par les réseaux sociaux issus du mouvement No Kings a atteint, lui, 13 millions. Ce 18 octobre, un consensus s’est formé pour dire qu’ils étaient 7 millions et que c’était la plus grande journée de manifestation de l’histoire du pays (rapporté à la population, l’équivalent en France serait de 1,4 million). Mais les manifestations à Boston ou Chicago le 18 octobre étaient plus grande que le 14 juin. Quoi qu’il en soit, ce fut une déferlante, qui a imposé, de plus, son caractère pacifique alors que les provocations violentes avaient été plus nombreuses en juin (3 morts, 2 élus démocrates assassinés à Minneapolis, 1 manifestant à Denver).
La provocation fut celle de Trump : il s’est mis en scène dans une vidéo faite par IA, dans laquelle il bombarde les manifestants depuis un avion. Et les bombes qu’il largue sont de très, très grosses merdes. A part que nous apprenons qu’en plus de ses autres tares, Trump veut que l’on sache bien qu’il fait les plus grosses, la question posée est bien entendu celle de l’appel à la violence contre la foule et du risque montant de la guerre civile.
Le grand discours qui émerge de ce 18 octobre est celui du maire démocrate et noir de Chicago, Brandon Johnson. Il a employé les mots « grève générale » – dans ce qui était une évocation plutôt qu’un appel – et il a déclaré qu’il allait falloir affronter la police. L’écho de ce discours est profond, mais ceux qu’il interpelle avant tout, ce sont les syndicats.
Au niveau national et en général au niveau des Etats, leurs instances sont aux abonnés absents. Au niveau local, leurs sections, comme le Chicago Teachers Union, sont parmi les armatures de la résistance et de la protection des enfants et des migrants contre les bandes armées de ICE. Combien de temps les directions d’Etat et fédérales peuvent-elles rester à côté de la réalité ?
Cette question concerne aussi la gauche syndicale. Certains secteurs combatifs en matière de salaires sont enclins à voir d’un bon œil les tarifs protectionnistes de Trump. L’United Automobile Workers, dont le prestige vient des grèves victorieuses de fin 2023, annonce qu’on va voir ce qu’on va voir … quand ? Le 1° mai 2028, appelant à faire converger la renégociation des contrats de branche pour construire une sorte de grève générale à cette date. Bien : et si la dictature est installée à cette date, on fera quoi ?
Cette question peut arriver très vite. Ce 29 octobre, le gouvernement de l’Alberta, au Canada, a mis fin à trois semaines d’une grande grève des écoles primaires pour les salaires et les effectifs par classes. L’Alberta Teachers Association s’est inclinée. Les syndicats de l’Etat ont menacé, mais pas de riposte à cette heure. Or, l’Alberta est le cheval de Troie trumpiste contre la cohésion du Canada.
La défense des revendications, la défense des libertés et la défense contre Trump doivent ne faire qu’un ! L’indépendance syndicale passe par la défense de la démocratie !
Le calendrier de l’affrontement est devant nous. Dans 3 jours, le 4 novembre, Zohran Mamdani pourrait gagner la mairie de New York, par la mobilisation de 90 000 bénévoles dans les quartiers pauvres. Le fait est que Zohran Mamdani ou Brendan Johnson deviennent des épicentres de mobilisation analogue, en plus large, à nos collectifs Bloquons tout (le 10 septembre) ou Débloquons tout (le 15 novembre) !
Contre cette victoire annoncée comme possible à New York, ICE a commencé à attaquer la ville, à Chinatown. La démocratie va devoir s’organiser pour opposer la force à la force. Il n’y a pas d’autre issue. Le samedi 22 novembre, No Kings appelle à marcher sur Washington et dans tout le pays.
Vincent Présumey, 01/11/25.
Poster un Commentaire