Gifles, insultes, fouille… Une enquête ouverte après les coups et menaces d’un policier à Ivry-sur-Seine

À la recherche de stupéfiants, les policiers ont été filmés en train de fouiller le caleçon, de gifler et de menacer un homme de 19 ans, menotté. Deux enquêtes ont été ouvertes, une judiciaire et une administrative.

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Ivry-sur-Seine (94), 6 octobre — C’est presque par hasard que la scène est filmée au beau milieu de la nuit. Seule témoin, Jenna (1) décide de sortir son téléphone « au cas où » en apercevant le contrôle. Sous ses fenêtres, deux équipages de la police nationale fouillent trois jeunes et leur véhicule à la recherche de stupéfiants. Dans la minute qui suit, l’un des fonctionnaires gifle violemment l’un d’eux, menotté au sol. Un autre l’insulte et le menace. Sollicité par StreetPress à l’appui des vidéos, le parquet de Créteil a indiqué le 30 octobre avoir saisi l’Inspection générale de la police nationale d’une enquête pour « violence volontaire par personne dépositaire de l’autorité publique ». De son côté, la préfecture de police a confirmé avoir ouvert une enquête administrative.

La scène se déroule à 3 h 40, sur la rue Lénine qui traverse la commune du Val-de-Marne. Dès les premières secondes de la vidéo, le ton est donné. Sur les images, un homme de 19 ans est brutalement plaqué et placé en position ventrale par les fonctionnaires, qui semblent lui reprocher de ne pas avoir immédiatement avoué être en possession de stupéfiants. Après l’avoir menotté, l’un des policiers le frappe au niveau de l’épaule en lui ordonnant de se retourner. Dès qu’il réagit, les « ferme ta gueule » et les insultes fusent de la part des fonctionnaires.

L’entrejambe palpé dans la rueL’agent enfile ensuite un gant noir et baisse le pantalon de l’interpellé, en tenant ses mains entravées. À même la voie publique et à côté du caniveau, il palpe longuement ses fesses, son entrejambe puis l’avant de son caleçon sous le regard de ses deux collègues. Un bref instant, le policier soulève le sous-vêtement avant de continuer à le manipuler, cette fois avec sa main non gantée.

Une pratique qui « interroge », relève maître Jim Villetard, sollicité par StreetPress à l’appui des vidéos. Pour l’avocat habitué des dossiers de violences impliquant des forces de l’ordre, cette palpation prolongée et sous les vêtements s’apparente à une « fouille » qui ne peut être réalisée que dans un « espace clos » (2), notamment dans une salle dédiée du commissariat où il sera gardé à vue. Sollicitée sur la manipulation d’un sous-vêtement sur la voie publique, la préfecture de police n’a pas répondu à nos questions.

« La vie de ma mère, tu vas te reprendre des gifles »

C’est à la fin de la fouille qu’un second policier, en manches courtes, se penche vers l’homme menotté. Sans avertissement, il le retourne vers lui d’une main et, de l’autre, la main ouverte, le frappe violemment au niveau de la tête. Le coup, donné sous le nez de deux de ses collègues et à quelques mètres du reste de l’équipage, ne suscite aucune réaction. Au contraire, alors que la victime est recroquevillée au sol, le policier qui l’avait fouillée lui porte un coup de pied au niveau de l’entrejambe puis la relève en la tirant par le col.

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Vingt secondes plus tard, dans le bref intervalle où la témoin se cache dans son appartement en craignant avoir été vue par l’un des agents, un second claquement similaire au premier coup se fait entendre. Quand la caméra revient dans les secondes qui suivent, il est toujours tenu au col par le premier policier, qui gueule : « Connard, va ! Putain. Il est con votre pote, la vie de ma mère ! » Un troisième, plus costaud, s’adresse au reste du groupe : « Quelqu’un d’autre ou pas ? Quelqu’un d’autre ou pas ? » Et au premier de continuer, quelques minutes plus tard, au menotté :

« T’as rien d’autre sur toi ? Parce que je vais te foutre à poil, hein ? La vie de ma mère, tu vas te reprendre des gifles. T’aimes ça en fait ? Tu vas pleurer maintenant ? Tu vas continuer à mentir ou pas ? »

Pour maître Jim Villetard, « rien [ne] justifie qu’un fonctionnaire de police assène une gifle à un homme au sol, et qu’un autre lui donne un coup de pied ». Rien ne justifie également les « propos insultants et les menaces de “foutre à poil“ ». Il rappelle que les policiers ne peuvent user « que de la force strictement nécessaire ». Pour lui, le comportement des agents relève davantage « d’une forme d’intimidation et d’humiliation » dans l’objectif « d’interroger [l’interpellé] sur les faits qu’on lui reproche, en dehors de tout cadre légal et sans notification de ses droits ».

Comme un « non-évènement »

La suite de la scène marque Jenna par son étrange banalité. « Les policiers avaient l’air de vivre ça comme un non-évènement. Plus tard, celui qui lui a mis une baffe discute avec un autre comme si de rien n’était. Ça n’avait pas l’air d’être exceptionnel », témoigne-t-elle. Une forme de « brutalité qui devient, à force de répétition, banale et presque normalisée », rejoint l’avocat. Fin août, dans le département voisin, un policier de la plaine Saint-Denis (93) avait été filmé giflant et crachant au visage d’un homme de 19 ans, qu’il venait de contrôler.

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À l’issue de sa garde à vue, la victime des coups a été présentée au parquet dans le cadre d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, dite “plaider-coupable”. Une procédure où une peine théoriquement amoindrie est proposée par le procureur mais sans jugement contradictoire, c’est-à-dire sans possibilité de contester les éléments de l’enquête ou le déroulé de l’interpellation. Il a été déclaré coupable de « détention non autorisée de stupéfiants (en l’espèce de la 3MCC) [drogue entre cocaïne et amphétamines, ndlr] en état de récidive légale, et de refus de remettre ses codes de téléphone en état de récidive légale », a indiqué le parquet de Créteil. Il a été condamné à « douze mois d’emprisonnement, dont six mois assortis d’un sursis probatoire pendant deux ans, à la peine de 1.000 euros d’amende délictuelle et à la confiscation de son téléphone portable ».

(1) Le prénom a été modifié.

(2) Une fouille intégrale doit être « indispensable pour les nécessités de l’enquête » et « décidée par un officier de police judiciaire et réalisée dans un espace fermé par une personne de même sexe » (art. 63-7 CPP). Pour la palpation de sécurité, elle doit être pratiquée « chaque fois que les circonstances le permettent […] à l’abri du regard du public » (art. R474-16 CSI). Une note conjointe de la police nationale et de la gendarmerie rappelle que cette technique consiste, à la différence de la fouille, à « appliquer les mains par-dessus les vêtements » et « ne peut pas conduire à exiger de la personne qu’elle ôte ses vêtements » (note DGPN 2014-140-0).

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