Royaume-Uni : le budget décisif

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Par Michael Roberts, le 26 novembre 2025

Le Royaume-Uni a connu aujourd’hui un événement financier apparemment important. La ministre des Finances du gouvernement travailliste (appelée chancelière de l’Échiquier, un titre royal féodal), Rachel Reeves, a présenté les mesures fiscales et budgétaires du gouvernement pour l’année (et les années à venir).

Ce budget était présenté comme crucial pour le gouvernement travailliste, dont la popularité est en berne : son score a été divisé par deux par rapport à son faible résultat électoral de juillet 2024 (34 %), où les travaillistes avaient remporté une victoire écrasante. Le parti Réformiste, anti-immigration et pro-Brexit, est désormais crédité d’environ 35 % des intentions de vote, tandis que le Parti conservateur se situe également autour de 10 %.

Les 18 mois du gouvernement travailliste ont été un véritable désastre. D’abord, il a lancé une série de coupes drastiques dans les dépenses sociales : suppression de l’allocation annuelle de chauffage hivernal pour les retraités au moment même où les prix de l’énergie atteignaient des sommets historiques. Ensuite, il a annoncé des réductions des prestations pour les personnes handicapées. Et comme si cela ne suffisait pas, il a annoncé le maintien du plafonnement des allocations familiales pour les familles de deux enfants ou moins. De ce fait, toute famille de plus de deux enfants s’est trouvée durement touchée. On compte déjà 4,3 millions d’enfants officiellement en situation de pauvreté au Royaume-Uni, et ce plafonnement ne ferait qu’aggraver ce taux.

Le Premier ministre Starmer et Reeves étaient fermement convaincus que le gouvernement devait combler un « trou noir budgétaire », à savoir un déficit annuel des dépenses par rapport aux recettes, ce qui ferait augmenter la dette du secteur public, qui représente déjà 100 % du PIB.

Pour enrayer cette hausse, il a fallu combler le « trou noir » par des augmentations d’impôts et des coupes budgétaires, afin que les détenteurs d’obligations d’État (banques, fonds de pension, compagnies d’assurance, investisseurs étrangers, etc.) ne vendent pas leurs titres et/ou n’exigent pas de taux d’intérêt plus élevés pour les racheter. La dernière fois qu’un gouvernement a envisagé d’accroître les dépenses et de les financer en « imprimant » de la monnaie (par le biais de la Banque d’Angleterre), c’était sous le gouvernement éphémère et malheureux de la Première ministre conservatrice Liz Truss. Le marché obligataire s’est effondré et la livre sterling a chuté. Liz Truss et son chancelier de l’Échiquier ont été destitués par leur propre parti quelques jours plus tard.

Dès leur arrivée au pouvoir, Reeves et Starmer ont assuré aux « vigilants de la dette » (surnom donné à la City de Londres) que le Parti travailliste ne serait pas dépensier, mais qu’il comblerait le déficit budgétaire et maîtriserait la dette publique. Or, ils ont mis en œuvre ce qui plaisait le plus à ces mêmes vigiles : l’austérité pour les plus démunis et des subventions et une déréglementation pour les plus riches. Ce fut un désastre politique et, sous la pression de leurs propres députés, les dirigeants travaillistes ont fait marche arrière sur toutes ces coupes. Le budget de novembre a parachevé ce revirement à 180 degrés en annonçant la suppression du plafonnement des allocations familiales.

Le problème demeurait cependant : le gouvernement estimait toujours devoir satisfaire aux exigences du marché obligataire. Comment combler le « déficit budgétaire » ? Le hic, c’est que ce déficit est imaginaire – il n’existe que dans l’esprit du gouvernement et du secteur financier – et son ampleur varie selon le rythme de croissance de l’économie britannique. Plus la croissance est rapide, plus les recettes fiscales augmentent et plus les dépenses sociales et les allocations chômage diminuent ; le déficit se réduit donc. Mais voilà le hic : l’économie britannique stagne, plus ou moins, en termes réels. La seule croissance concerne le PIB nominal, autrement dit, l’inflation. Le Royaume-Uni affiche le taux d’inflation le plus élevé des principales économies du G7. Par conséquent, les établissements de crédit ont maintenu des taux d’intérêt élevés afin de préserver leurs gains réels, et les petites entreprises et les ménages emprunteurs souffrent considérablement.

L’Office for Budget Responsibility (OBR), organisme chargé de contrôler la crédibilité des mesures fiscales et budgétaires du gouvernement, a finalement reconnu que l’économie britannique stagne. Après avoir initialement prévu une croissance économique trop optimiste qui ne s’est jamais concrétisée, l’OBR a revu à la baisse ses prévisions de croissance du PIB réel, les ramenant de 1,8 % à 1,5 % par an. Si ces nouvelles prévisions s’avéraient exactes, cela signifierait que les recettes fiscales de l’État seraient insuffisantes pour couvrir ses dépenses.

Il est faux d’affirmer que les dépenses sociales sont « hors de contrôle ». Leur part dans l’économie est restée relativement stable depuis 2007. En Grande-Bretagne, elles devraient atteindre 10,8 % du PIB en 2025-2026, soit seulement 0,8 % de plus qu’en 2007-2008, et en baisse de 1,2 % depuis 2012-2013. Malgré cela, les grandes entreprises et le secteur financier réclament des coupes dans les aides sociales et s’opposent à toute hausse d’impôts, du moins pour les plus riches.

Alors, qu’a fait Reeves ? ​​Pour « combler le déficit budgétaire » et éviter que la dette publique n’augmente, elle n’a pas augmenté les impôts des plus riches ; elle n’a pas relevé le taux d’imposition des plus hauts revenus ; elle n’a pas instauré d’impôt sur la fortune pour les ultra-riches. Au lieu de cela, elle a instauré une « taxe déguisée » sur les revenus moyens, dont elle reconnaît qu’elle « pénalisera les travailleurs. Je ne prétendrai pas le contraire. » Ainsi, la pression fiscale en pourcentage du PIB national atteindra un niveau record d’ici la fin du mandat du gouvernement travailliste en 2029 (s’il se maintient au pouvoir jusque-là).

Afin de compenser le coût de l’annulation de ses précédentes coupes dans les aides sociales, Reeves a également augmenté les taxes sur les jeux d’argent, instauré une taxe sur les résidences de luxe (c’est-à-dire les propriétés d’une valeur supérieure à 2 millions de livres sterling) et relevé les impôts sur les dividendes et les plus-values. Cependant, le think tank Resolution Foundation estime que, même avec cette taxe sur les résidences de luxe, une personne possédant une maison d’une valeur de 5 millions de livres sterling dans le centre de Londres paiera proportionnellement moins d’impôts locaux qu’une personne possédant une maison moyenne dans le nord de Sunderland. De plus, la plupart de ces hausses d’impôts pour les Britanniques les plus aisés n’entreront en vigueur que vers la fin de cette législature, tandis que les ménages moyens seront touchés à partir d’avril prochain.

Et la probabilité d’atteindre même les objectifs budgétaires du gouvernement est faible. Comme l’indique l’OBR : « les perspectives économiques reposent sur des estimations incertaines quant à l’évolution de la productivité, de l’inactivité et des migrations nettes. Les prévisions budgétaires restent également très sensibles aux fluctuations des taux d’intérêt et de l’inflation, compte tenu du niveau d’endettement. » L’OBR estime la probabilité de réussite budgétaire à seulement 59 %.

Ce budget n’est pas crucial, sauf peut-être pour le gouvernement Starmer-Reeves face aux exigences de la City de Londres. Pour la plupart des Britanniques, l’économie britannique est déjà en ruine.

Je vous le rappelle. La Grande-Bretagne affiche le taux d’inflation le plus élevé du G7 ; les prix de l’électricité les plus élevés de l’OCDE ; un chômage en hausse atteignant 5 %, une stagnation des revenus réels depuis 2019 ; une augmentation des inégalités et de la pauvreté (plus de 3 millions de personnes dépendent des banques alimentaires) ; les plus fortes disparités régionales d’Europe ; les prestations sociales les plus faibles par rapport aux salaires moyens de l’OCDE ; des services publics en ruine ; des listes d’attente pour le NHS à un niveau record ; des collectivités locales au bord de la faillite ; des aides-soignants exploités par des entreprises privées et par l’État ; davantage de logements sociaux vendus à des promoteurs privés qu’il n’en est construit ; des entreprises du secteur de l’eau et de l’énergie engrangeant d’énormes profits, tandis que les eaux usées se déversent dans les rivières et sur les plages ; et un système pénitentiaire et judiciaire paralysé.

L’économie britannique, aujourd’hui en piteux état, ne se redressera pas par de simples ajustements fiscaux destinés à combler un déficit budgétaire imaginaire. S’adressant aux députés travaillistes avant la présentation du budget, Reeves a déclaré : « Nous savons qu’il reste beaucoup à faire. C’est pourquoi nous investissons 120 milliards de livres sterling de plus que le gouvernement précédent dans les infrastructures nationales, en simplifiant les procédures administratives et les réglementations inutiles pour les entreprises, en présentant un nouveau projet de loi sur l’aménagement du territoire et en concluant de nouveaux accords commerciaux à travers le monde. » Or, ces 120 milliards de livres sterling ne constituent pas un investissement public ; le gouvernement ne consacre que 7 milliards de livres sterling au financement public de projets ; le reste est censé provenir du secteur privé via des partenariats public-privé largement discrédités, qui endettent durablement les hôpitaux, les écoles et d’autres projets auprès de sociétés de capital-investissement. Même ce chiffre est largement insuffisant : une étude de la LSE estime qu’il faudrait jusqu’à 60 milliards de livres sterling par an pour redresser l’économie et soutenir la population.

Le gouvernement n’augmente pas le financement des collectivités locales en termes réels. Il ne répond pas aux besoins urgents du système national de santé, des écoles et des universités. Il ne construira pas suffisamment de logements sociaux, car il n’existe aucun programme de construction publique, seulement des mesures de déréglementation de l’urbanisme et des contrôles environnementaux imposés aux promoteurs privés. Parallèlement, les dépenses de défense devraient augmenter considérablement durant cette législature afin de protéger le pays d’une invasion russe.

Réussir ou échouer ? C’est cassé maintenant et ça ne se réparera pas.

Dette : « Le Royaume-Uni n’est pas encore dans la situation de la France, mais il s’en rapproche… »

À un mois d’un budget décisif, le Royaume-Uni voit son déficit public déraper de nouveau, mettant la chancelière de l’Échiquier Rachel Reeves sous une pression croissante entre rigueur budgétaire et croissance vacillante.



latribune.fr

Publié le 21/10/25 à 12:14

Le Premier ministre britannique Keir Starmer et la chancelière de l’Échiquier Rachel Reeves.

REUTERS – Hannah McKay

Le gouvernement britannique fait face à un nouvel avertissement budgétaire. Selon des chiffres publiés mardi par l’Office national des statistiques (ONS), le déficit public du Royaume-Uni s’est encore creusé en septembre, accentuant la pression sur la chancelière de l’Échiquier Rachel Reeves à quelques semaines de la présentation de son premier budget, attendu le 26 novembre.

Entre avril — début de l’exercice budgétaire — et septembre, le déficit cumulé atteint près de 100 milliards de livres sterling (115 milliards d’euros), un niveau supérieur aux prévisions de l’Office for Budget Responsibility (OBR). L’ONS souligne qu’il s’agit là du « deuxième plus haut niveau d’emprunts » sur la période « depuis le début des relevés mensuels en 1993, après celui de 2020 », année marquée par la pandémie.

Sur le seul mois de septembre, le trou s’est encore élargi à 20,2 milliards de livres (23 milliards d’euros). Dans le même temps, la dette publique atteint 95,3 % du PIB, selon le rapport mensuel de l’ONS.

Une équation budgétaire à haut risque

Pour Rachel Reeves, la tâche s’annonce particulièrement ardue : équilibrer les comptes sans étouffer une économie en perte de vitesse. Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement travailliste de Keir Starmer en juillet 2024, plusieurs mesures de rigueur ont déjà été engagées, incluant des hausses d’impôts sur les entreprises et des coupes drastiques dans les dépenses publiques.

Le ministère des Finances assure néanmoins maintenir son cap : « Nous réduisons le gaspillage, améliorons l’efficacité et transformons nos services publics », a-t-il affirmé mardi dans un communiqué.

Mais les chiffres suggèrent une situation budgétaire plus dégradée que prévu. Selon Kathleen Brooks, analyste chez XTB, « Le Royaume-Uni n’est peut-être pas encore dans la situation de la France, mais il s’en rapproche. Le déficit budgétaire du Royaume-Uni s’élevait à 5,38 % au deuxième trimestre, contre 5,8 % pour la France ».

L’inflation, un fardeau pour la dette

Une part importante du dérapage s’explique par le bond des paiements d’intérêts sur la dette, en hausse de 66 % sur un an. Cette flambée s’explique par la structure même de la dette britannique, dont une partie est indexée sur l’inflation, repartie à la hausse depuis le début de l’année.

Le ralentissement économique complique encore la tâche du Trésor. La croissance, quasi stagnante depuis le printemps, ne permet pas d’espérer un redressement spontané des recettes fiscales.

Rachel Reeves a d’ailleurs reconnu, la semaine dernière, que le gouvernement « examine, bien entendu, la question des impôts et des dépenses », signe que de nouvelles hausses fiscales ou coupes budgétaires pourraient être à l’ordre du jour du budget de novembre.

Un test politique pour Keir Starmer

À un an des prochaines élections locales et dans un contexte de moral économique fragile, le budget Reeves s’annonce comme un test politique majeur pour le Premier ministre Keir Starmer. Entre exigences de rigueur et impératif de relance, le Royaume-Uni s’avance vers une fin d’année sous haute tension budgétaire.

(avec AFP)

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