25 novembre 2025
29 700 poulets auraient été entassés dans ce mégapoulailler. (Photo d’illustration) – © Jean-Michel Delage / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Le tribunal de Dijon a reconnu, mi-novembre, qu’un maire peut refuser la construction d’un mégapoulailler en raison du futur climatique défavorable. Une jurisprudence inédite pour tous les projets de construction en France.
29 700 poulets devaient être entassés, les uns contre les autres, sans jamais voir la lumière du jour, sur 1 500 m². Soit près de 20 volatiles au m². Aux portes du parc naturel régional du Morvan, dans le sud de l’Yonne, le village de Saint-Brancher, 270 habitants, n’abritera finalement pas de mégapoulailler.
Le porteur du projet de mégapoulailler, dont le permis de construire avait été refusé en 2023 par la mairie de Saint-Brancher, avait demandé à la justice de faire annuler cette décision. Dans un jugement rendu le 13 novembre, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Porté par un éleveur local, ce projet était en réalité intégré à un vaste programme industriel piloté par le groupe néerlandais Plukon, l’un des plus gros producteurs de volailles sur le marché européen, qui a racheté l’entreprise Duc en 2017. Il prévoit de construire 80 poulaillers industriels dans l’Yonne et l’Aube, destinés à alimenter un futur méga-abattoir. Ce sera donc un poulailler de moins.
Un jugement inédit
Dans son jugement, le tribunal administratif de Dijon a estimé que la maire de Saint-Brancher, Joëlle Guyard, avait parfaitement le droit de refuser le permis de construire en raison du manque d’eau dans la commune et en tenant compte du changement climatique. Pour motiver son refus, l’élue s’est appuyée sur une note du parc naturel régional du Morvan de 2022 qui prévoit une baisse de la ressource de 30 % d’ici 2050.
« C’est inédit, analyse maître Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement dont le cabinet a défendu la maire de Saint-Brancher. Pour la première fois, le juge considère qu’il n’est pas seulement important de regarder les données hydriques actuelles, mais qu’il faut aussi prendre en compte les projections futures au regard du changement climatique. »
Ce qui distingue ce jugement, c’est donc l’anticipation du futur climatique. « Cela pourrait être le point de départ d’une nouvelle jurisprudence, où la protection des ressources naturelles deviendra un critère légitime pour accepter ou refuser des permis de construire face aux futures sécheresses, inondations et autres conséquences du changement climatique. »
Dans le détail, le poulailler aurait nécessité 10 m³ d’eau par jour. Un prélèvement beaucoup trop important alors que les besoins quotidiens de la population atteignent 50 à 60 m³ d’eau et que la capacité quotidienne du réseau de la commune est de 75 m³. Lors des épisodes de stress hydrique où le débit du réseau peut descendre sous 70 m³, le projet de poulailler aurait aggravé la tension sur une ressource déjà déficitaire.
« Désormais, on raisonne en fonction de toutes les conséquences du changement climatique »
Pour Arnaud Gossement, la conséquence de ce jugement dépasse largement le cas des élevages industriels : il concerne tous les projets de construction en France. « Tenir compte du changement climatique ne signifie pas tout interdire, mais les élus devront faire des choix entre la construction d’écoles, de cliniques, d’Ehpad et les villas avec piscine. Désormais, on ne raisonne plus seulement en termes d’artificialisation des sols avec la loi zéro artificialisation nette, mais en fonction de toutes les conséquences du changement climatique. »
D’autant qu’aujourd’hui, les élus disposent de plus en plus d’outils scientifiques et numériques précis pour connaître l’état du territoire d’ici 30 ou 50 ans au regard du changement climatique.
Plus de pouvoir pour les maires
Ce n’est pas tout. « Ce jugement est doublement inédit, car pour la première fois, le tribunal administratif reconnaît qu’un maire peut refuser un permis de construire en se fondant sur des motifs environnementaux liés au changement climatique, même lorsque le projet concerne une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) », ajoute Arnaud Gossement.
Jusqu’ici, ce type de question relevait principalement de l’autorisation environnementale, délivrée par le préfet, qui permet l’exploitation d’une installation industrielle. Le permis de construire, lui, relève de l’urbanisme. Ce précédent ouvre donc la voie à une jurisprudence qui légitime le rôle des élus locaux dans la protection de l’environnement au moment même où ils examinent les demandes de construction.
Malgré ces bonnes nouvelles, l’affaire n’est peut-être pas terminée. Le porteur de projet a deux mois pour faire appel du jugement. Contactés par Reporterre, la municipalité de Saint-Brancher n’a pu être jointe au moment de la rédaction de cet article et le parc naturel du Morvan n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations.
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