Abattage des bovins : nos larmes de crocodile

La lettre de Médiapart
EDITO – Abattage des bovins : nos larmes de crocodile
Par Lucie Delaporte
Les images de l’abattage massif d’animaux , décrété pour éradiquer la dermatose nodulaire contagieuse bovine, nous émeuvent. Voir s’entasser dans des cours de ferme les corps sans vie de vaches prématurément euthanasiées révolte nos sensibilités.
Depuis plusieurs semaines, les micros se sont tendus pour recueillir la souffrance des éleveurs devant la mise à mort imposée de leurs troupeaux. Comme à son habitude le ministère de l’agriculture a fredonné son habituel couplet gestionnaire sur la « perte du compte d’exploitation » et les « indemnisations à l’euro près »…La litanie bien connue des formules pour chosifier le vivant a repris son cours : « kilos à l’export », « viande », « production laitière ».
La « zootechnie » – cette science visant à augmenter le « rendement » des animaux non- humains – a imposé son langage. Nous vivons dans cette culture agronome qui n’a cessé de considérer les animaux comme des numéros et tenu pour légitime, voire « sociale », son obsession depuis l’après-guerre d’inonder les étals de supermarchés de viande à bas coûts.
La France, qui possède le premier cheptel de vache allaitante en Europe, n’est pas peu fière de son savoir-faire sur le sujet. Nous savons parfaitement tirer le meilleur parti du « matériel » animal. Alors qu’une vache peut espérer vivre une vingtaine d’années, dans l’élevage intensif son espérance de vie est ramené à cinq ou six ans, contre dix ou douze ans dans l’élevage bio extensif. Mais sur ces quelques années de vie, cet animal issu de la sélection génétique pour devenir ce pesant réservoir à viande et à lait, nous aura tout donné.
Si la FNSEA a d’ailleurs refusé une vaccination généralisée pour lutter contre la dermatose bovine, c’est non pas pour sauver des bêtes d’une mort – un peu – anticipée mais parce qu’elle « interdit les exportations selon les règles européennes ». Son président Arnaud Rousseau a d’ailleurs redit ces jours-ci son unique préoccupation : prendre des mesures rapides « pour que le marché ne s’effondre pas ».
Pas un mot ou presque de ce que la dermatose fait aux bêtes – qui les fait pourtant terriblement souffrir – et sur le fait que l’explosion des épizooties est la conséquence d’un modèle agricole intensif défendu comme un joyau national. L’empathie légitime pour la souffrance des éleveurs qui vivent au quotidien avec leur bêtes et entretiennent souvent de vrais liens avec elles, doit-elle faire silence sur la condition animale ?
S’intéresser au sort habituel de ces bêtes, c’est constater que la mort par seringue n’aura été avancée pour beaucoup que de quelques mois. Qui rappelle que, chaque jour en France, 11 000 bovins partent à l’abattoir dans la plus grande indifférence ? Que chaque année, quatre millions de vaches, veaux, et bœufs sont massacrés pour l’alimentation humaine mais aussi, entre autres, 687 millions de poulets, 5 millions de moutons, brebis, agneaux après des vies faites de souffrance ?
La civilisation de l’abattoir a ses pudeurs et la novlangue du « bien-être animal » doit mettre à l’aise tout le monde à l’heure du repas.
Ce champ est nécessaire.

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