Par aplutsoc le 10 décembre 2025
Nous rappellerons pour nos lecteurs que c’est en 2007 qu’est né le mouvement Die Linke (Les Gauches). Il s’agissait alors d’une fusion, sous la responsabilité d’Oskar Lafontaine, directement entre des anciens cadres de l’appareil d’État stalinien de la RDA (République Démocratique Allemande), à savoir le Parti socialiste unifié d’Allemagne [devenu le PDS] et l’Alternative électorale travail et justice sociale, créée en 2005 par des syndicalistes et des militants de la gauche du SPD, opposés à la politique néo-libérale de Gerald Schröder.
Au moment de la proclamation du PG (Parti de Gauche) de Jean-Luc Mélenchon en France en janvier 2009, outre-Rhin, les Linke ont le vent en poupe. Pour les militants qui formeront la base du Front de Gauche en France, l’initiative de Die Linke ouvre une brèche dans le social-libéralisme et apparaît comme une alternative possible à l’échelle européenne à gauche de la social-démocratie, donc dans les élections européennes. Sahra Wagenknecht, compagne de Lafontaine, vient en fait de l’ex-parti stalinien et elle n’a pas bonne presse à l’Ouest face à la composante syndicaliste ouvrière de Die Linke. La base du parti lui refusera la direction. C’est sa première défaite.
C’est à la faveur de l’infléchissement de Die Linke vers la politique droitière du SPD, notamment sur le problème des services publics à Berlin, qu’elle prend l’initiative de constituer la plateforme internet Aufstehen ! (Debout !) le 4 septembre 2018, en dehors des structures de son parti et que rapidement, elle récupère 100.000 adhésions grâce aux clics de souris. Elle jure qu’elle ne veut pas concurrencer les partis de gauche, SPD, Die Linke et Verts. Elle s’inscrit dès lors dans une perspective de type populiste de gauche, à l’image du mouvement France Insoumise constitué en France en 2016. Il faut rappeler que, de 2007 à la date de constitution d’Aufstehen, les rapports entre Jean-Luc Mélenchon, d’abord avec Oskar Lafontaine, puis avec Sahra Wagenknecht, ont été constants. Aufstehen ! c’est « l’état gazeux » à l’allemande. Il s’agit de prendre le parti à l’improviste. Elle rencontre une opposition sérieuse au sein de Die Linke eux-mêmes, qui veulent garder leur fonctionnement de parti, appuyé sur ses bases ouvrières et syndicalistes. C’est une deuxième défaite pour elle.
Depuis le début de l’offensive impériale du régime de Poutine, Wagenknecht va prendre appui sur la diplomatie russe et sur les atermoiements du gouvernement allemand concernant l’aide militaire à l’Ukraine et la livraison alors reportée des chars Léopard. C’est l’équipe d’Aufstehen qui est à l’origine d’une manifestation de 13.000 personnes à la porte de Brandebourg le 25 février 2023 exigeant l’arrêt des livraisons d’armes à l’Ukraine. Elle dénonce le fait que les chars allemands, qui devaient être alors livrés, soient utilisés pour tirer sur « des femmes et des hommes russes ». Comment peut-on oser écrire des choses pareilles : est-il dans l’ordre des choses que les chars russes massacrent les Ukrainiens ? Manifestation à laquelle participeront des dizaines de militants de l’AFD, selon les déclarations de Jürgen Elsässer, rédacteur en chef d’un magazine d’extrême droite.
Sur la politique sociale comme à l’Internationale, Wagenknecht profite d’une orientation droitière de la direction de Die Linke pour plumer la volaille et constituer en janvier 2024 son propre mouvement, le BSW (Alliance Sahra Wagenknecht pour la Raison et la Justice). Les adhérents ne sont pas là pour participer aux décisions et voter. Sur le modèle français, il est orienté sur le chef, en l’occurrence une cheftaine au « chignon tiré » (1)
L’Allemagne est alors secouée en janvier 2025 par les émeutes racistes de Chemnitz : le parti d’extrême droite AFD (Alternative für Deutschland) défile aux côtés des groupes néo-nazis. Elle déclare :
« Pour ceux qui en doutaient encore, les émeutes racistes de Chemnitz l’ont clairement montré, notre pays connaît une profonde crise démocratique, explique Wagenknecht. Ceci est dû avant tout à un déséquilibre social qui fait que ces dernières années, plus de 50 % de la population de ce pays a vu ses revenus et sa situation se dégrader. Il est urgent de réagir. »
D’emblée, elle refusera de se joindre aux manifestations d’opposants aux émeutes racistes, jouant la carte d’une option anti-migrants « à gauche ».
Lors des élections législatives de février 2025, AFD réalise 20,8% des suffrages contre 28,6% aux conservateurs, avec une participation record de 84%. C’est le score le plus élevé pour une formation politique de type néo-fasciste depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le SPD d’Olaf Scholz tombe à 16,4%. Les Linke avaient été réduits à 4% dans les scrutins précédents, du fait de leur adaptation à la politique du SPD et du coup bas porté par l’offensive démagogique Aufstehen !
BSW qui s’est défini dans ce scrutin comme un « populisme conservateur », ne représente que 5,5%. Par contre, heureuse surprise, Die Linke a su gagner 30 000 adhérents en faisant campagne en direction de la jeunesse sur l’emploi et le droit au logement. En janvier, ils ont soutenu et participé aux manifestations de masse à Berlin sur l’immigration. Néanmoins, dans les 3 Länder de l’ex-RDA, Thüringe, Brandebourg et Saxe, elle garde une position de nuisance par sa politique de repli nationaliste, exigeant un accord du SPD et de la CDU pour l’arrêt des livraisons d’armes à l’Ukraine et pour rétablir les accords économiques avec le régime de Poutine. C’est cependant une troisième défaite pour son mouvement, alors que les Linke ont su surmonter la crise de leur parti.
Nous en étions à ce stade quand, brutalement, le 10 novembre 2025, Sahra Wagenknecht abandonne la direction de son mouvement à la veille de son congrès de Magdebourg (2), se repliant dans une « commission [du BSW] sur les valeurs fondamentales ». Ceci dans le contexte d’une situation politique pour le moins grosse d’affrontements sociaux. Le congrès du parti fasciste AFD du samedi 29 novembre était destiné à constituer la nouvelle organisation de ses jeunesses, la première version animée par de jeunes néo-nazis ayant été dissoute précédemment par le gouvernement. 15.000 manifestants convergeront vers le lieu de la réunion. Des manifestations massives de la jeunesse étudiante se sont déroulées le 5 décembre contre la conscription obligatoire. Alors que les États bourgeois se militarisent, dont l’Allemagne, qui peut critiquer la réaction d’une jeunesse qui comprend bien ce que cela signifie. BSW soutient ces manifestants, mais sur sa ligne : opposition à l’aide à l’Ukraine et rétablissement du commerce avec la Russie. Il faut comprendre ce que signifient les mouvements pacifistes de la jeunesse dans l’histoire de ce pays qui fut le berceau du nazisme. Position intéressante : les Linke se prononcent contre toute forme de service obligatoire, insistant sur l’« autodétermination de la jeunesse ».
Si on prend la situation de BSW dans le Land de Thuringe où l’AFD plafonne à 33% des voix aux législatives, Sahra Wagenknecht s’est fermement opposée à la ligne du « cordon sanitaire », défendue par la responsable régionale de son propre parti Katja Wolf, pour empêcher Björn Höcke, un néo-nazi, de prendre la direction du Land. La logique BSW c’est le refus du système SPD-CDU qui gouverne l’Allemagne depuis des décennies. En septembre 2026, dans deux Länder de l’Est, la Saxe-Anhalt et le Mecklembourg-Poméranie occidentale, un accord AFD-BSW contre le système se justifierait donc ? C’est une réalité, la démagogie populiste a fait son œuvre, une partie de l’électorat de Sahra Wagenknecht ira du côté des fascistes.
Échec et mat pour Wagenknecht ! En allemand, wagenknecht signifie celui qui conduit la voiture ou plus anciennement le cocher. On peut dire qu’elle a bien conduit son attelage au bord du précipice.
RD, 10/12/2025.
Note :
- 1) Formule que je trouve succulente d’un journaliste du Monde.
- 2) Nous signalons en complément de mon point de vue l’excellence de l’article de Romaric Godin dans Mediapart du 21 novembre 2025 : https://www.mediapart.fr/
journal/international/211125/ en-allemagne-sahra- wagenknecht-quitte-la-tete-de- son-propre-part
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