Budget de la Sécu : Lecornu et Faure remportent leur « pari » sur un fil

Après des jours de suspense, le texte remanié a finalement été adopté à quelques voix près. Une victoire politique pour le premier ministre, qui a multiplié les gestes, ces derniers jours, pour arracher des abstentions et des votes favorables.

9 décembre 2025

Ils étaient une poignée d’irréductibles à croire qu’un  chemin » pouvait être tracé dans l’épaisse jungle parlementaire. Après de longs mois de négociations en dents de scie, les socialistes emmenés par Olivier Faure et le premier ministre Sébastien Lecornu ont finalement remporté leur hasardeux « pari ». Mardi 9 décembre un peu avant 20 heures, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) a été adopté en deuxième lecture à 13 voix près (247 « pour », 234 « contre », 93 abstentions) par l’Assemblée nationale. Le vote définitif, la semaine prochaine, devrait être une formalité.

Après trois années où les premiers ministres macronistes, dénués de majorité à l’Assemblée nationale, avaient tous recouru à l’article 49-3 pour faire adopter sans vote le budget de la Sécurité sociale, ce scrutin peut être envisagé comme une avancée démocratique inespérée quand bien même l’adoption du texte s’est jouée à un cheveu et sur un nombre record d’abstentions. Il est plus sûrement une victoire politique pour Sébastien Lecornu qui, un an après la chute de Michel Barnier, renversé suite à son 49-3 sur le PLFSS 2025, a fait preuve d’habileté dans la conduite des opérations. Trois mois après son arrivée cataclysmique à Matignon, celui qui n’était plus dans l’hémicycle au moment des résultats du vote assoit ainsi sa légitimité, quoique fragile.

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Le premier ministre, Sébastien Lecornu, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale le 9 décembre 2025. © Photo Isa Harsin / Sipa

Si le gain politique des socialistes demeure beaucoup plus incertain, au moins la formation d’Olivier Faure s’enorgueillira-t-elle d’avoir tracé la voie d’une nouvelle méthode, offrant un semblant de stabilité. « Il n’y a aucune volonté de tirer la couverture à nous, mais par ce compromis, nous avons préservé le pouvoir d’achat des classes moyennes et leur accès à la santé », a commenté le premier secrétaire socialiste, qui a pris soin de se garder de toute « fanfaronnade » au sortir de l’hémicycle.

Une mosaïque de votes

Pour la première fois sous la Ve République, le budget de la Sécurité sociale apparaît en effet comme le fruit d’un travail de compromis – certes fastidieux – entre un parti déclaré dans l’opposition et le camp au pouvoir. En entérinant la « suspension » de la réforme des retraites, ce PLFSS porte par ailleurs un coup à la réforme la plus emblématique du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Le « deal » entériné permet enfin de dissiper, pour le moment du moins, la menace d’une dissolution, à quelques mois d’élections municipales décisives pour 2027.

Si dans les groupes insoumis et d’extrême droite, aucune voix n’a manqué pour rejeter un PLFSS selon eux entaché d’« arrangements et de magouilles », l’analyse globale du scrutin laisse toutefois voir une grande dispersion des votes dans certains groupes. Les macronistes d’Ensemble pour la République (EPR) et les centristes du MoDem ont certes accordé à l’unanimité un vote favorable au texte, mais il n’en a pas été de même pour les autres groupes.

Les communistes, qui ont largement voté « contre », ont néanmoins vu un député voter « pour »

Emmanuel Maurel) et cinq s’abstenir. « Nous avons essayé de nous maintenir clairs et fermes sur nos principes, sans nous perdre dans un débat politicien », a souligné le chef du groupe, Stéphane Peu.

Au Parti socialiste (PS), où les porte-parole du groupe n’ont eu de cesse de répéter qu’ils avaient « nettoyé le musée des horreurs » du projet initial de François Bayrou – suppression de « l’année blanche », annulation du doublement des franchises médicales, ajournement d’une nouvelle réforme de l’assurance-chômage… –, cela n’a pas convaincu tout le monde. Six socialistes ont ainsi refusé de voter pour le texte, « en raison de ce qu’il contient et de ce qu’il représente », souligne le député Paul Christophle, l’un des récalcitrants, auprès de Mediapart.

Si j’écoutais mon cœur et mes tripes, je voterais contre ce texte.

Cyrielle Chatelain, présidente du groupe Écologiste et social

Les Écologistes, accusant la plus grande hétérogénéité de votes, se sont partagés entre trois votes « pour » (Delphine Batho, Jérémie Iordanoff et Dominique Voynet), neuf « contre » (dont François Ruffin, Clémentine Autain ou Alexis Corbière) et vingt-six abstentions. Un résultat qui n’est pas une surprise, le groupe étant, plus encore depuis l’arrivée d’anciens Insoumis dans le collectif en juin 2024, le creuset d’une « biodiversité politique » générant un manque de lisibilité stratégique.

Ce n’est ainsi qu’après des heures d’hésitation, vers 18 h 30 seulement, que la présidente du groupe, Cyrielle Chatelain, a annoncé que l’augmentation de l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam) permettait finalement « de garantir aux soignants de ne pas faire le même travail avec moins de moyens » et donc à son groupe de s’abstenir. Lors de son explication de vote, elle est revenue sur le cheminement « dur et complexe » qui l’a finalement conduite à s’abstenir : « Si j’écoutais mon cœur et mes tripes, je voterais contre ce texte. Mais [même s’il] n’y a pas de grande victoire, car c’est un petit texte, nous avons évité la casse », a-t-elle reconnu.

À droite, où Horizons a dénoncé un « budget pas à la hauteur » et le groupe Les Républicains (LR) a déploré un budget « qui ne correspond pas à nos convictions », on est finalement rentré bon an mal an dans le rang présidentiel, les députés laissant passer « ce texte sans équilibre, sans vision, qui affaiblit la France », selon les mots du « philippiste » Paul Christophe, à grands coups d’abstentions et de votes « pour ».

Le « tapis » de Lecornu

Après une fin de semaine qui a donné des sueurs froides à Sébastien Lecornu comme aux socialistes, les décisions des uns et des autres se sont peu à peu consolidées dans la matinée de mardi. L’intervention d’Édouard Philippe, lundi soir, sur LCI, qui a assuré qu’il n’avait « jamais voulu que le gouvernement de Sébastien Lecornu tombe », a fait s’éloigner le spectre d’un possible « chaos » organisé à dessein par l’ancien premier ministre pour barrer la route à l’un de ses rivaux potentiels à la présidentielle.

Quant au chef du parti LR Bruno Retailleau, il a eu beau continuer jusqu’au bout de faire du lobbying auprès des députés pour qu’ils s’opposent au texte, seules trois voix « contre » étaient à dénombrer dans le groupe de Laurent Wauquiez, qui avait au contraire appelé à « éviter le blocage ».

Quelques minutes avant ce scrutin où chaque voix promettait d’être décisive, le flou persistait néanmoins chez Les Écologistes. Lors des questions au gouvernement dans l’après-midi, Cyrielle Chatelain avait dit sa colère face au « chantage au vote » organisé selon elle par le premier ministre. « Hier, un de vos conseillers a appelé de nombreux chefs d’entreprise du secteur des énergies renouvelables [et] a affirmé que les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie seraient conditionnés au vote des Écologistes », a-t-elle accusé. Se défendant de toute tentative d’ingérence et reportant la faute sur « un groupe d’intérêt [qui aurait] tenté de s’immiscer », Sébastien Lecornu lui a répondu dans l’hémicycle qu’il avait « saisi la justice ».

Afin de séduire les députés ultra-marins, ce dernier avait annoncé, la veille du vote, octroyer 200 millions d’euros supplémentaires pour financer des actions locales de santé dans les territoires d’outre-mer et accorder un effort financier supplémentaire de 32 millions d’euros pour Mayotte. Des annonces qui ont là encore permis d’arracher l’abstention d’un certain nombre de députés, mais qui en ont laissé d’autres pour le moins circonspects : « Ces derniers jours, Lecornu a fait tapis : on a vu les milliards arriver sur l’Ondam et le reste, mais sans savoir d’où ils viennent. Alors, où seront-ils seront ponctionnés ? », a interrogé, très inquiète, l’écologiste Sandrine Rousseau qui a voté contre le PLFSS.

Si le gouvernement a remporté une bataille, le tunnel budgétaire n’est pas pour autant terminé. Le prochain (gros) morceau n’est autre que le projet de loi de finances (PLF) qui reviendra en deuxième lecture dans l’hémicycle à partir du 23 décembre. Lors d’une réunion des députés socialistes lundi matin, Boris Vallaud a rappelé devant ses troupes qu’il était inenvisageable de refaire « la même chose sur le PLF que sur le PLFSS »« On a réussi à enlever des horreurs du PLFSS, mais il y en a tellement dans le texte sur le budget de l’État que là, c’est mission impossible », décrypte-t-on dans l’entourage du président de groupe, où l’on n’exclut cependant pas de tenter d’obtenir quelques menues modifications de la copie en échange d’une nouvelle absence de censure du gouvernement.

Faute de soutien du PS sur le PLF, le premier ministre devrait, en toute logique, revenir à la case départ, et se voir contraint comme ses prédécesseurs de recourir au 49-3, aux ordonnances ou à une loi spéciale pour faire passer le budget de l’État. Dans ce scénario, une motion de censure de la gauche pourrait être soumise aux alentours du 26 décembre aux députés. Des élus qui auront peut-être à peine le temps de fêter Noël avant d’affronter une nouvelle crise au réveillon.

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