Bon Pote thomas@bonpote.com
Brigitte Bardot est morte ce dimanche 28 décembre. Les hommages pleuvent. Beaucoup, y compris chez les écologistes, s’abstiennent de mentionner que cette immense star a été condamnée à de multiples reprises pour incitation à la haine (plus encore qu’Eric Zemmour), qu’elle était activement homophobe, anti-féministe, et qu’elle est la seule grande artiste française à avoir défendu toute sa vie l’extrême droite.
Fin 2024, l’essayiste Kaoutar Harchi publiait Ainsi l’animal et nous, qui connecte la cause animale aux grandes questions émancipatrices de notre temps. Sa lecture, limpide, convainc non seulement qu’il est urgent de dénoncer les privilèges et domination des êtres humains sur les autres animaux, mais aussi que cette dénonciation permet de comprendre et critiquer les privilèges entre humains, nés de constructions sociales comme la blanchité ou le patriarcat.
Kaoutar Harchi a répondu à Bon Pote sur le dilemme qui semble diviser aujourd’hui certaines écologistes à propos de l’héritage à conserver ou non de Brigitte Bardot.
Brigitte Bardot était à la fois une militante de la cause animale, une défenseure de l’extrême droite et une personne condamnée à plusieurs reprises pour ses propos racistes. Est-ce un paradoxe ? Faut-il séparer ses engagements pour les animaux de ses engagements contre certains groupes sociaux ?
Je ne pense pas que ce soit un paradoxe. Prôner l’animalisme ne prédispose en rien à prôner l’antiracisme, le féminisme, etc. Les causes politiques qui tendent vers l’émancipation ne sont pas naturellement liées entre elles, pas naturellement solidaires. Il existe un féminisme colonial, par exemple. Il existe aussi une écologie anti-animaliste. Rappelons toujours que l’armée israélienne est vegan friendly. Les causes conservent leur part d’autonomie et elles ne sont que l’objet d’usages intéressés. Nous pouvons regarder les choses autrement : les chaînes d’information continue ont longuement rendu hommage à Brigitte Bardot. Les personnes qui sont intervenues pour louer sa mémoire honnissent, par ailleurs, l’animalisme. Mais l’animalisme de Brigitte Bardot, c’est autre chose. C’est un animalisme autorisé, permis, parce qu’il est celui d’une « artiste » tout d’abord puis, surtout, c’est un animalisme articulé à des positions politiques fascisantes, dans l’ère du temps. La revendication animaliste trouve, dans l’espace majoritaire, droit de cité à condition que soient cités également le racisme et l’antiféminisme. Bien pensé, pourtant, c’est vrai que ça peut nous sembler dissonant de considérer qu’une demande de justice aille main dans la main avec une demande d’injustice. Que reste-t-il ? Selon moi, la seconde annule toujours la première.
Brigitte Bardot a qualifié les Réunionnais d’ « autochtones ayant gardé leurs gènes de sauvage » et de « population dégénérée », mais aussi accusé les « clandestins » de transformer « nos églises » en « porcheries humaines ». Elle défendait une prétendue pureté raciale : « Alors que chez les animaux, la race atteint des sommets de vigilance extrême, les bâtards étant considérés comme des résidus, bons à laisser pourrir dans les fourrières, ou à crever sans compassion d’aucune sorte, nous voilà réduits à tirer une fierté politiquement correcte à nous mélanger, à brasser nos gênes, à faire allégeance de nos souches afin de laisser croiser à jamais nos descendances par des prédominances laïques ou religieuses fanatiquement issues de nos antagonismes les plus viscéraux. C’est extrêmement dommage. » Comment analyser ce glissement qui animalise des êtres humains pour mieux défendre certains animaux ?
Oui, ce sont des propos racistes et la justice est passée par là puisque Brigitte Bardot a été condamnée à plusieurs reprises pour incitation à la haine raciale. Et après ? Rien ou presque puisque prôner le racisme, vouloir priver des populations racisées du droit d’exister, n’est en rien infamant. Ça l’est, bien sûr, pour les populations visées et pour tous les groupes qui militent pour l’égalité, pour la justice, mais pour le reste, pour tous les autres qui eux militent pour que le monde demeure tel qu’il est, dans son jus, c’est « bien vu », c’est même « bien », c’est même à faire et à refaire, c’est valorisé. A partir du cas de Brigitte Bardot – une personne qui aimait les animaux mais croyait en l’animalité, c’est son drame – on voit à quel point la division animalité/humanité est traversée par la frontière raciale.
C’est une forme de recodage politique des vies de valeur et de celles sans valeur. Cela induit que seul est humain le groupe blanc. Les espèces animales sur lesquelles ce groupe jette son dévolu, de ce fait, sont également blanchies. Les phoques sur la banquise sont donc doublement blancs : blancs par leur pelage, blancs par leur position politique dans le monde. Ici donc Homo Sapiens ne renvoie pas à l’humanité. C’est la race qui détermine ou non l’appartenance à cette forme de caste. En contre-point, les groupes non blancs sont définis comme non humains. Ils sont tous « sauvages », relégués à leurs instincts de prédation, à leur folle manière de se reproduire – pour ne citer que quelques éléments constitutifs du bestiaire de la race. Autrement dit, la question raciale est toujours une question d’espèce et inversement.
On s’achemine sûrement vers une démocratie animale qui tend à étendre les valeurs démocratiques aux existences animales mais qui, dans le même mouvement, active continûment la violence raciale par l’humanité concédée aux « animaux » et par l’animalité imposée à certains « humains » par d’autres humains. « Humains », « animaux » sont des catégories de pouvoir à abolir. Personne n’est humain, personne n’est animal. Chacun est humanisé, animalisé. C’est un processus dynamique. Contre l’animalisme raciste, il nous faut un animalisme antiraciste et un antiracisme animaliste. Et cela existe d’ailleurs. Mais disons que tout le monde ne possède pas un capital de « star » pour faire savoir ce qu’il pense et ce qu’il fait.
La cause animale bénéficie-t-elle vraiment de l’engagement des personnes dont les idéologies renforcent d’autres injustices (racisme, sexisme) ? Que répondre à celles et ceux qui estiment qu’on ne peut pas lutter sur tous les fronts, que personne n’est parfait et qu’il serait dommage de ne pas considérer comme alliées des personnes qui prônent la compassion pour certains animaux même si elles discriminent certains groupes humains ?
Pour moi, c’est une fausse question. Qui demande à qui de lutter sur tous les fronts ? Chacun est à sa tâche, c’est très bien ainsi. Formuler une demande d’antiracisme, ce n’est pas exiger d’autrui qu’il soit sur tous les fronts : c’est simplement demander que le racisme cesse d’être la réponse à tout. Pour ma part, le racisme de Brigitte Bardot ne rend pas nulle sa compassion pour les animaux. Il la rend simplement raciste.
En quoi critiquer les privilèges humains sur les animaux peut-il nous aider à comprendre aussi les privilèges entre humains (comme la blanchité, le patriarcat..) ?
L’extrême droite use de la question animale comme elle a pu le faire et continue de le faire encore avec la question féministe. In fine, ce que l’on observe toujours, c’est que les femmes sont oubliées, et les animaux aussi, au profit du rappel à l’ordre policier et de la criminalisation continue des groupes racisés. En présentant Ainsi l’animal et nous, j’ai eu l’occasion de rencontrer des militants antispécistes sensibles à l’oppression raciale ainsi que des militants antiracistes préoccupés par l’oppression animale. Chacun avait compris ce que telle oppression devait à telle oppression.
Or, au sein du champ médiatique, culturel et politique, une petite élite animaliste a été créée. C’est un petit groupe qui ajoute au racisme une nuance de plus, disons. C’est cet animalisme que l’on veut nous vendre. En écrivant Ainsi l’animal et nous, j’ai voulu dire contredire beaucoup de toutes ces choses : contredire l’idée que la question animale est l’affaire du groupe blanc, contredire la prétention blanche à aimer et à s’occuper des animaux mieux que personne, contredire l’idée selon laquelle race et espèce serait non liée l’une à l’autre, etc. J’ai essayé de dire que le véganisme est notre avenir politique mais que pour être pleinement lui-même, notre véganisme a besoin de s’épanouir au cœur de toutes les justices. Dit autrement, prôner l’antiracisme, le féminisme, le socialisme impliquent de se souvenir que notre question n’est pas qui mange quoi, mais qui mange qui. C’est très simple : nous devons à la vie des animaux le respect. Ce n’est pas une question d’amour. Ca ne l’a jamais été. C’est laisser en vie ceux et celles qui vivent. Il n’est pas nécessaire d’aimer les animaux pour cela. Il suffit simplement de ne pas induire la mort là où quelqu’un vit.
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