Les algues puantes, ce fléau qui engloutit un bout de Guadeloupe

Reporterre

26 décembre 2025

La commune reçoit sur ses plages près de 40 % des échouements de sargasses de tout l’archipel guadeloupéen. Ces algues à « l’odeur d’œufs pourris » font fuir habitants et touristes. « Plus personne ne vient », se désolent des commerçants.

Capesterre-de Marie-Galante (Guadeloupe), reportage

Sur la plage de l’anse Feuillère, Samuel, souffleur installé sur le dos, expulse des algues brunes qui entachent le sable doré devant le Dantana Beach. Le restaurant est à 4 ou 5 mètres de l’océan et son eau cristalline. « Je fais ça 2 à 3 fois par semaine pour retirer les sargasses échouées. Aujourd’hui, j’ai de la chance. Il n’y en a pas beaucoup. Mais la semaine dernière, on distinguait à peine le sable. L’odeur d’œufs pourris remontait jusqu’en haut du morne [la coline] », nous confie-t-il. Les sargasses, ces algues brunes, Samuel les connaît bien. Il vit à Capesterre-de-Marie-Galante depuis dix-huit ans, mais il a « quitté le bourg il y a deux ans à cause de ça »« Maintenant, je suis à la campagne, et je respire mieux. »

C’est que la commune de Capesterre-de-Marie-Galante est celle qui souffre le plus en Guadeloupe des échouements de sargasses, devenus réguliers. Selon les années, l’île aux belles eaux reçoit entre 30 000 et 50 000 tonnes de sargasses sur ses plages depuis 2011, selon une mission d’information flash menée par Olivier Serva, député de la Guadeloupe (Liot), et Mickaël Cosson, député des Côtes-d’Armor (Les Démocrates). 40 % d’entre elles arrivent directement à Capesterre-de-Marie-Galante en partie à cause du port de la ville. Ce dernier crée une cuvette qui conserve les algues sur le littoral.

Un chiffre colossal pour une petite commune de 3 500 habitants qui se vide petit à petit. « Depuis les premiers échouements, Capesterre a déjà perdu 6 % de sa population », déplore Jean-Claude Maës, maire de la ville. Dans le bourg, les maisons et commerces abandonnés sont légion. Au détour d’une rue, un homme nous confie que la seule raison qui le pousse à rester ici, c’est qu’il ne peut pas vendre sa maison.

La plage du bourg, envahie par les sargasses, alors qu’elle a été nettoyée moins d’une semaine auparavant. © Sandrine Gueymard / Reporterre

« Tous nos équipements électroménagers tombent systématiquement en panne »

Les sargasses se développent à la surface de l’eau et l’intégralité de leur cycle de vie se fait en pleine mer. Elles s’agglomèrent en de vastes radeaux. Depuis 2011, elles prolifèrent entre l’Afrique de l’Ouest, les Caraïbes et le Brésil — ce qu’on appelle la grande ceinture atlantique des sargasses, longue de quelque 8 000 km. Un phénomène dû, entre autres, « au réchauffement de l’océan et à des apports importants en nutriments liés aux fertilisants »nous expliquait l’anthropologue Florence Ménez.

Sur la plage de Capesterre, on peut voir des filets censés retenir les algues, échoués eux aussi, incapables de résister au courant océanique et aux vagues de plusieurs mètres. De quoi exposer encore plus les habitants à ces plantes aquatiques nocives.

Devant son épicerie, Marie-Louise Bade continue de faire tourner la boutique malgré les montagnes brunâtres qui jouxtent son commerce. « Le pire avec les sargasses, c’est que les émanations d’hydrogène sulfuré attaquent le cuivre. Tous nos équipements électroménagers tombent systématiquement en panne et il faut les réparer ou les remplacer. »

Marie-Louise Bade, patronne du Soleil Levant, un des rares commerces à résister face à l’invasion des sargasses mais qui autrefois louait également des chambres de tourisme. © Sandrine Gueymard / Reporterre

Dans le magasin, plusieurs frigidaires sont hors service et la climatisation ne fonctionne plus. « Tout mon chiffre d’affaires y passe. Certaines boîtes de conserve rouillent en à peine quelques jours. Même les pièces de monnaie noircissent si on les oublie sur le comptoir. Je perçois une petite aide de la région pour tenir, mais je ne sais pas combien de temps cela va durer. »

Les émanations d’hydrogène sulfuré attaquent le cuivre. © Sandrine Gueymard / Reporterre

À l’étage, les quelques chambres que Marie-Louise Bade louait à des touristes ne sont plus utilisées depuis longtemps : « Plus personne ne vient. » Native de Capesterre, la femme de 60 ans se souvient de l’époque où sa commune avait pour réputation de posséder les plus belles plages de tout l’archipel guadeloupéen. « Les agences de voyage utilisaient même des photos de nos plages pour vendre la destination Guadeloupe aux touristes », abonde Jean-Claude Maës.

« Plus personne ne vient »

Aujourd’hui, alors que la saison touristique commence dans toute la Guadeloupe, les plages sont désertes et les rues de la ville quasi vides. Les voyageurs s’orientent sur les autres communes de Marie-Galante comme Grand-Bourg et Saint-Louis, moins touchées par les sargasses.

Les chambres que Marie-Louise Bade louait aux touristes sont désormais vides. © Sandrine Gueymard / Reporterre

Les commerçants de la ville sont aux abois. Une lettre envoyée par l’Association des acteurs économiques de Capesterre-de-Marie-Galante au gouvernement demande pourtant à ce dernier de décréter l’état de catastrophe naturelle pour la commune. « On nous a répondu que ce n’était pas valable, car les sargasses sont des phénomènes prévisibles et ne rentrent pas dans la famille des catastrophes naturelles. Il n’existe aucun statut juridique pour ces algues », s’insurge Philippe Borel, membre de l’association.

Les commerçants ont pu négocier un délai de paiement pour leurs charges sociales. « Nous sommes désormais tous endettés alors que certains affichent des pertes de 100 % », se désole Joël Moysan, président de la même association.

Des conséquences sanitaires encore peu connues

Outre la situation économique de la ville, les sargasses présentent une menace sur le plan sanitaire pour la population. À ce jour, il existe peu d’études publiées sur la question. Mais en Martinique, des travaux menés par le comité indépendant d’experts du centre hospitalier universitaire de l’île révèlent que sur 154 patients suivis pendant un an et exposés régulièrement aux sargasses, 80 % d’entre eux se plaignent de troubles neurologiques, digestifs (77 %), respiratoires (69 %), oculaires (64 %), ORL (53 %) et psychologiques (33 %).

Le principe de précaution s’applique néanmoins et en mai, pour la première fois de son histoire, le rectorat de Guadeloupe a décidé de délocaliser temporairement les cours du collège Nelson Mandela de Capesterre à cause des échouements massifs de sargasses. Les concentrations en sulfure d’hydrogène et en ammoniac sur le site dépassaient le seuil autorisé.

Jean-Claude Maës, maire de Capesterre-de-Marie-Galante : «  C’est un flux continue.  » © Sandrine Gueymard / Reporterre

Depuis sa mairie, Jean-Claude Maës semble dépassé par la situation. « 20 % du budget de fonctionnement de la ville sert à retirer les sargasses des plages. Mais c’est un flux continue. Certains jours, les plages nettoyées le matin sont de nouveau pleine d’algues le soir. On trouve de moins en moins d’entreprises prêtes à les déplacer car leurs machines sont attaquées par l’hydrogène sulfuré et finissent par dysfonctionner. Je dois pourtant trouver des solutions car si une personne tombe malade, je suis pénalement responsable. Je milite depuis des années pour une digue d’enrochement capable de mettre fin à ce fléau. »

Partir ou rester ?

La digue d’enrochement permettrait de couper la houle cyclonique à travers un entassement de pierres d’une hauteur de 6 mètres, à condition d’installer plus loin un barrage déviant à Petite-Anse pour bénéficier pleinement des avantages du courant. « L’État multiplie les études d’impact. Une nouvelle enquête vient d’être diligentée. J’ai besoin de cette autorisation pour commencer les travaux. Je ne veux pas voir ma ville se vider entièrement de sa population », ajoute-t-il.

« À côté de chez moi,
les gens sont partis »

Un besoin urgent, le phénomène des sargasses n’étant pas près de s’estomper. La grande ceinture de sargasses dans l’Atlantique vient d’atteindre le record historique de 37,5 millions de tonnes, selon une étude publiée dans la revue Harmful Algae.

Nadine, une des rares habitantes à vouloir rester dans sa maison en front de mer malgré les sargasses. © Sandrine Gueymard / Reporterre

Tous n’ont toutefois pas décidé de fuir la commune. Nadine, 69 ans, fait partie des résistants. Lorsque nous la rencontrons, la retraitée est en plein nettoyage : « Je repeins les murs qui ont noirci à cause des algues. C’est difficile. Vivre à Capesterre demande d’entretenir régulièrement sa maison. À côté de chez moi, les gens sont partis. Moi, je ne veux pas quitter cette ville. Capesterre, c’est chez moi. »

 

La terrasse du Soleil Levant, aujourd’hui laissée à l’abandon.
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