On a (presque) lu le livre de Nicolas Sarkozy

C’est un document rare que Blast propose à ses lecteurs et lectrices. En exclusivité, nous avons en effet eu accès, en avant-première, au manuscrit du livre que Nicolas Sarkozy a (presque) écrit durant les trois semaines qu’il a passées en prison. À consommer sans modération. Et à lire jusqu’au bout.

Seul

Seul… seul, devant mon ordinateur dans ma cellule à côté de celle de mes agents de sécurité, j’ai entendu pour la première fois le bruit du Silence de la prison de la Santé, bruit qui ne cesse que lorsqu’une accalmie se fait entendre. Dans l’angoisse. Pendant vingt longs jours.

De toute ma vie et d’aussi loin que je m’en souvienne, d’aussi profond que porte ma mémoire et aussi éloignés que soient mes souvenirs et tout aussi énergiquement que je puisse fouiller mes archives, et qu’avec exhaustivité je fasse l’inventaire de mes histoires personnelles, jamais la haine à mon encontre ne fut aussi fortement exprimée et aussi puissamment manifestée, avec autant de brutalité cruelle, qu’en ce jour du 25 septembre de l’an 2025. Jamais ! Cinq ans ferme ! Les mots de la juge résonnèrent en moi un instant, puis disparurent dans un trou noir. L’absence. Je n’entendais plus. Cette décision me fit l’effet d’un coup de poignard sur la tête. Les phrases de mes avocats, les mots de ma famille, les réflexions des amis, les propos des journalistes et les bravos de la foule se perdirent dans un bourdonnement suffocant qui obtura mon ouïe comme une abeille. J’étais sidéré. Pourquoi cette haine ? Quelle est-elle ? D’où vient-elle, qu’est-ce qui l’inspire et la motive ? Je ne le comprenais pas, je ne le comprends toujours pas.

La politique est parfois dure, elle porte en elle une forme de la violence, parfois humaine et parfois, plus simplement, de la haine. Mais la justice ? J’avoue que de cette dernière je me suis toujours gardé mais, à sa différence, moi, je n’ai jamais haï personne. Pas même à l’école lorsqu’enfant de sang mêlé, fils d’immigré, pauvre, démuni, déjeunant bien souvent d’un modeste bol de lait avec des tartines — parfois des yaourts, les jours de fête —, mes camarades se moquaient de mon physique. Je n’ai pas haï à ce moment-là, j’ai fait du sport, j’ai changé mon corps maigre et long, je l’ai modelé pour qu’il soit parfait, solide, petit et trapu. J’ai toujours pensé positif. Je n’ai pas haï. Aujourd’hui il me faut chercher à comprendre, ici et maintenant, le pourquoi de cette haine qui m’est adressée, je le dois à mon honneur, je le dois à la France et, plus que tout, je le dois aux Français, ce peuple, mon peuple, à qui j’ai voué mon existence afin qu’il aimât non pas aveuglément, mais passionnément celui qui leur a tant donné. J’y suis parvenu à force de sincérité. Alors non, décidément, ce n’est pas aujourd’hui, dans l’épreuve, que je vais flancher. Je ne suis pas un couard ni un dégonflé, encore moins un raté ou un perdant, aucune défaite ne peut me vaincre, je n’ai en moi ni la crainte des déconfits ni l’effroi du craintif et sûrement pas le goût du martyr, j’avance vers mon destin la tête le plus haut possible, on ne revient pas en arrière, ce qui est vécu est vécu et aucun décompte ne se fait à rebours (je le sais grâce aux longues lectures des philosophes comme monsieur Henri Lévy qui accompagnent mes soirées depuis toujours, surtout le tome 1). Je ne flancherai pas. Je me le suis promis. Il n’y a pas d’inéluctabilité à ce que cela s’achève ainsi, pas moi, pas après tout ce que j’ai accompli, pas après avoir tant donné à mon peuple. Le peuple le sait, ce peuple le sent, quelque chose ne va pas. Ça n’est pas la fin de l’histoire.

Cette histoire, je vais l’écrire ici et maintenant puisque j’ai fini la lecture des six tomes du Comte de Monte-Cristo et que j’ai vingt jours devant moi.

Le jour où la France saigna dans mon cœur

  Le 25 septembre 2025, quand nous entrâmes dans la salle d’audience, je ne pouvais imaginer ce verdict : 5 ans de prison ferme ! « Comme un Mandela », me glissa Carla. Non, répondis-je, restons lucides. Ce déni de justice s’apparentera dans l’Histoire j’en suis sûr à celui de Luiz Inácio Lula da Silva, ce Portugais emprisonné pour raison politique au Brésil par un régime autoritaire. Nous fûmes, mes avocats ma famille et moi, abasourdis par la violence des attendus, et ce mandat de dépôt à la barre… Ignominie. Le dépôt était certes différé mais les juges ne me laissèrent que du temps, et quoi qu’ils fissent de plus ou de moins, ils ne laissaient que le choix de la date.

Ce jour-là, c’est la République qui mourut un peu. Carla me jeta un coup d’œil, son regard était triste mais souriant, sa beauté naturelle irradiait jusque dans mon âme et je compris à cet instant qu’il me faudrait être fort pour les miens. Je suis Nikolas Sarcozy, je ne flanche pas. Pourtant, en moi-même, au sortir de la salle d’audience du Tribunal correctionnel de Paris, j’étais comme un supplicié qu’on arrache à la croix.

Le ciel d’automne, noir, lourd, déchiré – on annonçait de la pluie cet après-midi-là — me tomba sur la tête. Ce fut une tempête qui éclata, ce ciel que bientôt je regarderais à travers les barreaux d’une cellule, comme Vaclav Havel regarda, triste, celui de la République tchécoslovaque en son temps — un temps un peu plus gris qu’ici, bien qu’il y eût de très belles arrière-saisons dans la campagne praguoise –, ce ciel donc, semblait devoir pleurer des torrents de larmes glacées sur Paris, sur la France entière et, par-dessus tout, sur mon honneur sali.

Hors de la salle, les journalistes, souvent des visages connus, généralement des amis, étaient là. Des années durant j’avais échangé avec eux, des moments, des boissons, quelques pin’s et des confidences, ils étaient mes intimes parfois, ou le prétendirent-ils seulement ? Ils devaient faire leur travail, je le sais, rendre compte de ce qui venait de se passer, de la forfaiture qui se produisait, de l’État de Droit que l’on assassinait dans l’ombre, avec la complicité d’autres « journalistes », sans scrupules ceux-là, alliés à des juges obnubilés par ma personne, aveuglés par la haine, ceux-là mêmes qui livrèrent aux chiens la dignité d’un ancien Chef d’État pour la gloire éphémère de leur Média à Part.

Les caméras me fixaient, comme des hyènes fixent leur proie à terre. Les micros se tendaient comme des poignards aiguisés de ladres malfaisants. Les regards me transperçaient l’âme. Je fis face. Moi, ancien Président de la République française, moi qui ai porté la France dans mes entrailles comme un chat porte son chaton dans son ventre nourricier, moi, grand-croix de cette Légion d’honneur qu’on m’avait retirée comme on arrache un sparadrap sur une croûte mais qui restera à jamais épinglée, symboliquement, sur ma poitrine comme le ruban d’amour d’Ugolin dans Manon des Sources (très beau film, très bien interprété), moi, Nico, l’ami des stars comme Johnny Hallyday et Didier Barbelivien, entre autres parce que j’en ai connu plein, je venais d’être condamné à cinq ans de prison ferme. Fermes ! Pour « association de malfaiteurs » alors que le dossier était vide. Je devais parler. Là, maintenant. Des juges haineux ! Des journalistes hostiles, du public manipulé par les faits, il était temps de revenir à l’essentiel : le peuple, la télé, la radio, ma voix et ma version !

Je réunis mes pensées et cherchai au fond de moi la force de dire ma vérité. J’aurais, selon ce tribunal, supervisé des rencontres de mes subordonnés avec un terroriste — alors que j’ai toujours lutté avec ferveur contre le terrorisme, toutes mes déclarations publiques en attestent, au risque de ma vie — dans le but de faire réviser son procès en vue d’éventuels subsides pour une hypothétique campagne électorale ? C’est tout simplement du délire ! Où sont les preuves? Oùest l’argent ? Où sont les contrats signés de ce pacte de corruption, les chèques, où est MA signature ? Rien, nulle part, vide le dossier ! Faux les documents. Toutes les pseudo-preuves étaient tombées durant les audiences, évanouies, disparues et pour cause : elles n’avaient jamais existé.

Alors pourquoi me demandais-je en avançant vers le mur de micros ? Pourquoi moi ? C’est alors que je vis la bonnette rouge du Média à Part qui, comme un nez de clown, semblait se moquer de moi et derrière laquelle le sourire haineux et plein de morgue satisfaite d’un « journaliste », appointé par je ne sais qui, attendait sa viande sanguinolente comme un fauve affamé, pourquoi ? Et j’ai soudain compris. Ce tribunal dont les attendus disaient si clairement « vous êtes innocent Monsieur le Président, nous n’avons pas de preuves, pas de charges à charger contre vous, pas d’indices ou si peu » me condamnait comme du vulgum pecus. Je l’ai compris à cet instant dans l’œil torve et vicieux de cette personne à l’âme noire : pour rien. Ou plutôt pour une chose bien évidente quand on y réfléchit : la haine. Il n’y a rien d’autre dans ce dossier que de la haine. Cela, il me fallut le dire à la France entière, à cet instant, là, tout de suite, pour que jamais mon récit ne fusse tronqué, pour que la vérité éclatât, que le monde entier sache que derrière les portes lourdes et closes qui s’ouvraient enfin, se dissimulait un succédané de justice, là venait de se jouer un drame que seule la haine avait motivé. Si je ne le disais pas là, à cet instant, tout de suite, alors c’en était fini de moi et de mon histoire, je ne pouvais pas laisser passer à la postérité le narratif de ma vie écrit par d’autres. Un scénario basé sur le seul jugement de ce tribunal sans que moi, Nikolas Sarcozy, premier concerné tout de même, ne l’oublions pas, n’ait le droit de dire ma version ? Impossible.

 

Justice, j’écris ton « non »

 

Une question de Justice fondamentale se posa tout entière dans cette affaire : pourquoi seuls les juges s’arrogeraient-ils le droit de juger ? Leur vérité, n’est que la leur. Car enfin quoi, suffit-il à ces juges — quelques dizaines tout au plus, ce qui pour un pays de 70 millions d’habitants est dérisoire, vous en conviendrez — de dire :

« il est probable que », « à l’évidence, nous constatons que », « il est plus que vraisemblable que », « il y a un faisceau d’indices concordants et des documents montrant des flux d’argent, c’est indéniable », « il y a eu des rendez-vous avérés avec un terroriste », etc., etc., etc., que des choses bien floues en somme, convenons-en, pour envoyer un homme en prison ? Tout cela au prétexte qu’ils connaissent le dossier et que c’est « le métier des juges de juger » ? C’est un peu court.

Et que dire de ces pseudo-enquêtes, ces « instructions » qui, faut-il le rappeler, ont duré plus de douze années, dans 21 pays ? Vous imaginez ce qu’ils sont allés chercher et jusqu’où ? 21 pays ?! C’est du délire.

Il suffirait donc que des policiers, que je respecte, car j’ai toujours respecté la police, et même au-delà du respect, pas comme certains, se revendiquant de gauche et qui passent plus de temps à se plaindre de la police qu’à respecter la loi – les mêmes qui viennent pleurer au commissariat à la moindre rayure sur leur Mercedes. Ces policiers, je fus leur chef et je sais mieux que personne combien il est difficile de faire régner l’ordre. Je n’ai en la matière de leçons à recevoir de personne et encore moins de quiconque, mais ceux qui se sont prêtés à ce simulacre d’enquête pendant douze ans, dans vingt et un pays, ne se rendent pas compte du mal qu’ils font à cette institution et à leur carrière. Je veux qu’ils le sachent.

Que des policiers enquêtent sur moi, c’est très bien, mais ce n’est pas là leur mission principale. Leur mission est d’arrêter les délinquants, les vrais, ceux qui pourrissent la vie des honnêtes gens au quotidien. Vous voyez de qui je parle, je ne fais pas un dessin. Et à quelle fin ont-ils flétri leur estime d’eux-mêmes, ces policiers égarés ? Aucune. Pour rien. Parce que s’il avait suffi depuis la nuit des temps d’enquêter douze ans pour faire un dossier, messieurs, alors où s’arrêterait la limite ? Comment même imaginer cela ! Pensez : il suffirait de douze années de procédures — auxquelles personne ne comprend rien —, pire qu’un film de Stanley Kubrick, que je respecte, procédures qui coûtent, j’aime autant vous le dire, un certain nombre de millions d’euros aux contribuables, et d’ajouter à cela quatre mois de procès pour que, comme par enchantement, la lumière soit faite sur une « affaire » ? Allons. S’il suffisait de chercher la vérité pour la trouver, tout le monde le ferait.

Alors pourquoi tout cela ? Pour une chose bien plus simple à comprendre, une seule chose, toujours la même, la seule rationnelle : manifester la haine farouche que les juges rouges nourrissent à mon encontre.

Moi, je suis sans haine, je suis ignorant de ce sentiment, moi que les épreuves de la vie n’ont pourtant pas épargné. Je n’ai jamais nourri de haine pour quiconque, même pour Jacques Chirac, qui me détestait et que j’ai toujours aimé en retour jusqu’au dernier moment de sa déchéance physique et intellectuelle. Jusque dans le pénible de la perte de contrôle de ses sens et de ses… Vous me comprenez, et même dans son regard que la sénilité rendait vitreux, je l’ai aimé, avec pudeur, secrètement. Dominique de Villepin également. On nous a prêté des bisbilles et en politique c’est bien courant, mais je respecte sa stature altière et je suis sûr que s’il n’avait pas embrassé la carrière diplomatique il aurait fait un très joli mannequin grande taille de premier plan. J’ai déclaré, dans un emportement passager, à cause de ses accusations dans l’affaire Clearstream — pour laquelle je suis innocent — que je voulais « le pendre à un croc de boucher », simple provocation que je regrette, image, métaphore, je ne l’aurais jamais fait dans la réalité, ou alors je l’aurais fait sans haine. J’avais tout pour le haïr, surtout à cause de cette prétention qu’il affiche encore, toujours, inlassablement à la télévision pour donner un avis que plus personne ne veut entendre. L’arrogance de son mètre quatre-vingt-dix me laissa pourtant toujours indifférent. Sans haine.

Moi qui ai toujours eu pour devise la franchise, le respect, l’ordre et la droiture, j’ai eu l’impression, ce 25 septembre 2025, en sortant de la salle d’audience pour la dernière fois avant la prochaine, que je devais payer, et payer cher, si cher, tellement cher, mon amour de la vérité et de la France.

Cette haine pure, cristalline que me portent ces juges – je ne dis pas la Justice, car j’aime et respecte la Justice, plus que tout au monde et au-delà –, je vais la combattre par l’amour, par l’Amour même! avec la majuscule qui sied à mon pays, Amour de la France et des miens. Les grandes responsabilités qui furent miennes durant toutes ces années au plus haut niveau ont ancré en moi le sens des responsabilités et le dégoût de la destruction. (Je n’aime pas détruire. J’y reviendrai.)

Pour l’heure il me fallait répondre à ce tribunal néfaste. Le temps pressait, il fallait donner au peuple MON histoire, pour l’Histoire. Je savais que je ferais appel de la décision, bien évidemment, mais plus tard. Et je savais désormais que j’irais en prison puisque c’était ce qu’ils souhaitaient tant, mais plus tard encore. Que je dusse m’y rendre, soit, mais la tête haute et les mains propres. Pour le moment, l’important était de dire MA vérité ! Voilà ce que j’avais en tête en sortant de la salle d’audience. Et je vais la dire.

 

(…)

Seul mais avec Carla derrière la vitre

La porte se referma. Le silence tomba. Comme la nuit. Vous me le paierez, ce moment d’indignité, tous ! Je vous le dis, vous paierez, juges, policiers, journalistes, politiques de gauche, amis de droite et indécis du centre, tous, vous paierez. Je ne voulais pas à mon tour céder à la haine comme ils le firent tous. Seul Dieu vous fera payer s’il le juge utile.

J’avais refusé l’uniforme, pas par coquetterie mal placée, mais parce que le survêtement gris ne me va tout simplement pas, il me grossit, ou pire, me boudine s’il n’est pas parfaitement ajusté. Les baskets, le tee-shirt informe, tout ça, non. Les draps ne sont pas de soie mais confortables, ma tenue élégante était bien inutile puisque je ne croiserais   aucun autre détenu et que mes gardiens s’en moquent, ils ne m’approchent pas, seuls mes officiers de sécurité me parlent. J’ai droit à un premier parloir avec Carla le soir même. Ce n’est pas un privilège, tous les détenus ont droit à un parloir rapidement. Il est 19 heures. On me dit qu’on a, d’une certaine façon, « fermé la prison » pour ce parloir. Pour des raisons évidentes de sécurité, me semble-t-il. Y voir là encore un privilège relève de la mauvaise foi, c’est simplement que la situation est une nouveauté pour tout le monde. Pour la première fois, un président de la République occupe ces lieux. Il fallait être réactif et inventif. Mon ami Gérald Darmanin le fut et je n’y suis pour rien. La solution trouvée par l’administration pénitentiaire en concertation avec le ministère de la Justice fut de fermer complètement la circulation dans l’établissement pendant ce premier parloir. Je tiens à le dire, je n’ai rien demandé. Cela s’est fait comme ça, dans mon dos, je ne pouvais pas savoir. En ai-je été ravi ? Oui.

La conversation que j’ai eue avec Carla ce soir-là était douce et bienvenue. Nous n’étions bien évidemment pas séparés par une vitre comme on le croit trop souvent et nous pûmes reprendre la discussion du matin. En partant, elle me murmura à l’oreille une nouvelle version de « Quelqu’un m’a dit ». Elle est de plus en plus inventive, mais… cette version-là, je la garderai pour moi.

Ma cellule est au milieu d’un couloir, onze mètres carrés d’enfer, une table scellée au mur, un WC, une douche, la télé… Vous avez lu ça des centaines de fois, c’est même un peu gênant que tout le monde sache où j’habite actuellement et connaisse la configuration de mon logis, m’imagine prendre ma douche ou sur les lieux d’aisances avec un livre. C’est extrêmement choquant et c’est sans doute ce qu’il y a de plus difficile en prison, le manque d’intimité. Je mets un point d’honneur à faire discrétion sur les endroits où je vis, par pudeur et pour éviter d’exciter la jalousie endémique française pour tout ce qui réussit un tant soit peu sa vie professionnelle et personnelle.

La première nuit se profilait. Après une heure et demie de parloir, je suis remonté et je suis entré dans ma cellule. J’aurais bien traîné un peu, j’aime faire le point en marchant avant de me mettre au lit. Mais on m’a fait savoir avec une certaine fermeté que c’était impossible… pour l’instant.

La porte claque. Le verrou tourne. Deux tours. Le bruit est sec, définitif, comme un coup de grâce dans la nuque. Je reste debout un moment, au milieu de la pièce, je regarde la porte. Je regarde les murs. Ils ont été repeints comme nous l’avions demandé avant que je prenne possession des lieux. J’avais demandé taupe, c’est écru. M’humilier semble être devenu la norme. J’allume la télévision, au journal on ne parle que des deux livres que j’ai pris avec moi, Le Comte de Monte-Cristo et Jésus. C’est bien, cela occupe les commentaires mais quand même, c’est un peu léger, me dis-je. N’y a-t-il pas mieux à dire ? Par exemple sur l’injustice qui m’est faite et les embrouilles de l’enquête ? Je constate qu’encore une fois les journalistes sont bien sobres quand il s’agit de dire la vérité me concernant. Je note sur un carnet : « demander à Ingrain de passer quelques coups de fil informatifs aux amis ». Je pense aussi qu’il faudrait une bonne réforme des médias, interdire les fake news et les opinions nuisibles à la sécurité du pays. Mais je ne suis plus en charge. J’en parlerai au président Macron. Je l’aime bien. Comme je l’ai dit : « Lui, c’est moi, mais en mieux. » Le temps passe lentement, je zappe. Une chaîne de service public jamais avare de vilenies à mon sujet donne la parole à   Fabrice Arfi, celui par qui ce malheur est arrivé. Lui, il veut parler du fond, monsieur se targue de recentrer les débats, tout juste s’il ne les dirige pas, est-il le patron du plateau ? Ce serait cocasse. Je l’écoute délirer sur l’affaire. Pour lui, les livres que j’ai pris avec moi dans ma cellule, la violence qui m’est faite, Carla qui chante, mes enfants qui pleurent, la nourriture immangeable et l’exiguïté de ma cellule, ce n’est pas le sujet ? Il s’en moque ? Tout ce qui constitue la vraie vie, la vraie information lui passe au-dessus de la tête et c’est un challenge de passer au-dessus, tellement il se croit plus haut que les autres. Je l’écoute abasourdi affirmer sans preuve… qu’il y a des preuves ! Qu’il suffit de s’en remettre au dossier et au jugement pour le constater. Un peu facile et peu argumenté comme souvent chez les gauchistes, ils n’ont en tête que la destruction de l’économie de marché et, comme ils n’y parviennent pas par le marxisme, ils poussent à la révolution en s’en prenant aux institutions et à ceux qui les représentent. Un classique de la propagande anti-France. Mais personne ne relève évidemment. C’est à l’évidence un plateau à charge ! Encore un, comme souvent sur le service public, et toujours la même chanson : la haine absolue dissimulée sous le manteau convenable et bien pratique de la défense de la probité. C’est toujours au nom de la probité qu’on enferme des gens sans preuve, l’histoire de l’URSS est tout entière faite de ce genre de vilenies. Le ventre est encore fécond de la bête immonde communiste. La haine que Monsieur Arfi porte à mon endroit dégouline de sa barbe noire de Llago d’opérette. Il n’est que haine cet homme. Je change de chaîne, je n’en peux plus de lui. Me voilà sur un média privé. Le traitement est un peu plus équilibré, encore les livres bien sûr, mais si quelqu’un tente une diversion, la contradiction lui est immédiatement portée, par des journalistes qui — s’ils ne connaissent pas aussi bien le dossier que Monsieur Fabrice Arfi affirme le connaître — savent ce que sont les hommes. Ils parlent eux de l’essentiel : le ressenti. Car, comme en météo, rien ne sert d’affirmer scientifiquement qu’il fait 20 °C si le vent vous fait ressentir qu’il fait 10 °C. La vérité c’est qu’il fait 10 °C. Point barre. Quand on a froid, il ne fait pas chaud, c’est aussi simple que ça. C’est ce ressenti qui compte et les journalistes, les vrais, le savent bien.

Pour l’heure cette soirée télé semble presque normale, comme à la maison mais sans le chocolat à la fleur de sel, ni le plaid en cachemire, ni Carla qui chante.

Ce soir-là, mon premier soir, j’ai regardé le PSG corriger le Bayer Leverkusen en Ligue des Champions, 7-2. Une immense déculottée, peut-être la plus grosse de sa carrière pour ce club allemand, que je respecte. Un moment d’oubli bienvenu, j’aime le football, il fait tout oublier, j’aime et j’aimerai toujours la ferveur des stades, ces chants, ces cris, cette « Marseillaise » que des milliers de voix chantent à l’unisson et qui font vibrer les stades où les équipes nationales se produisent. Le sport et le football en particulier font oublier tous les soucis, toutes les petitesses de l’existence, les fins de mois difficiles, l’hôpital qui ne fonctionne pas, l’école qui part en capilotade et le frigo vide dès le 15 du mois. Vive le foot !

22h30. Fin du match. Je me lève pour aller me coucher, rejoindre ma chambre. Un réflexe bien vite réfréné. Ma chambre, j’y suis. Je suis aussi dans mon salon et dans ma salle de bains, mon bureau et ma cuisine. Je prends conscience à cet instant de ce que sera désormais ma réalité. Pour un mois. La solitude incite à philosopher, me disait Bernard-Henri Lévy en se lamentant de ne plus être seul depuis des   décennies. Cette réflexion m’est venue lorsque la solitude inévitable est arrivée, lorsque je me suis étendu sur la couche étroite de cette minuscule cellule pour la première fois, que mes yeux n’arrivèrent pas à se fermer malgré la fatigue, que le cauchemar de l’enfermement se matérialisa, que cette minuscule petite fissure au plafond retint mon attention d’inconséquente façon et de troublante manière, jusqu’à l’obsession jusqu’à la fascination, que rallumer la télé pour ne pas être seul me renvoya à une solitude bien plus grande encore parce que, dans cette petite lucarne sur l’extérieur, des gens libres vaquaient, vivaient leurs vies normales, et que j’étais là, seul, avec cette interrogation fondamentale qui remettrait à jamais ma vie en question: qui suis-je vraiment ? Où et quand s’arrêtera ma vie et surtout : mais bon sang, qu’ai-je donc fait ? Ou plutôt, qu’ont fait les autres contre moi ! Claude Guéant et Brice, l’ami d’enfance tant aimé, ont-ils vraiment négocié pour moi de l’argent pour la campagne de 2007 ? Ont-ils été imprudents à mon insu avec ce monsieur Senoussi que je ne connais pas ? Ont-ils déclenché une guerre pour masquer leurs forfaitures, se sont-ils servis de Bernard-Henri Lévy, que je respecte mais qui est toujours, hélas, prêt à rendre service ? M’ont-ils tous manipulé alors qu’ingénu et isolé au ministère de l’Intérieur j’avais tant de choses à faire, comme arrêter les hordes barbares d’islamistes fanatiques qui attaquaient chaque jour le pays ? Ont-ils fait tuer Kadhafi ? Le doute m’envahit. Ce serait grave ! L’ont-ils fait exécuter pour qu’il se taise à jamais comme certains l’affirment ? M’ont-ils, pour le dire simplement, trahi ? Les juges de la cour d’appel le comprendront-ils, enfin ? Comprendront-ils, ces juges, l’enfer que constitue l’exposition permanente de sa vie au jugement de tous ? Savent-ils la violence qu’installe la négation de toute intimité parce que, jour et nuit, vous êtes harcelé, à longueur d’années, sans relâche, même pendant les vacances scolaires et les jours fériés, mesdames et messieurs les juges ? L’imaginent-ils avant de prendre une décision ? Je ne crois pas qu’ils puissent deviner ce qui se passe dans ces conditions, quand on est harcelé, comme on me harcèle moi-même. Le comprendront-ils ? Sera-ce trop tard ?

Comme on peut le constater, Bruno Gaccio écrit mieux la vie de Sarko que Sarko lui-même

Le livre papier est disponible à la commande dans toutes les librairies

Livre numérique à la vente sur https://boutique.massot.com 

Le temps béni des Vérités Nikolas Sarcozy Pcpc : Bruno Gaccio Massot Editions

Crédits photo/illustration en haut de page :
Margaux Simon

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