Une commission d’enquête contre la gauche et la Palestine

Après les plateaux télé et les librairies, le bashing anti-LFI s’invite au sein des commissions parlementaires. Initiée par Laurent Wauquiez et le groupe Droite Républicaine, la commission consacrée aux « les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste » a ouvert ses travaux le 7 octobre. Dès le départ, l’objectif était explicite : jeter l’anathème sur La France insoumise en l’accusant notamment de comploter avec des forces occultes qui s’activeraient dans l’ombre à « saper les fondements de la République ». Approximations, accusations calomnieuses : la droite et l’extrême droite s’en donnent à cœur joie, avec le soutien de la Macronie. Compte rendu pestilentiel.

Vous traversez une mauvaise passe, votre carrière politique bat de l’aile et les invitations sur les plateaux télé se font plus rares ? Comme Laurent Wauquiez, érigez-vous en pourfendeur de l’islamo-gauchisme ! Succès garanti auprès des médias de la bourgeoisie.

Visé par plusieurs enquêtes du Parquet national financier, dans le cadre notamment de l’affaire dite du « dîner des sommets », concurrencé au sein de son parti par l’ambitieux Bruno Retailleau, qui s’est largement imposé face à lui lors du congrès des Républicains en mai, le député de Haute-Loire a décidé de jouer la surenchère afin de revenir sur le devant de la scène politico-médiatique.

Et quoi de mieux pour cela que de s’adonner au jeu favori de la Macronie et des éditocrates, à savoir faire le procès de La France insoumise et l’accuser de complaisance à l’égard de « l’islamisme », voire carrément de connivence ?

Embrouillaminis à répétition

En juin, le groupe parlementaire Droite Républicaine, présidé par Laurent Wauquiez, déposait une proposition de résolution pour la création d’une commission d’enquête portant sur « les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant laction terroriste ou propageant lidéologie islamiste ».

L’intéressé s’était alors montré on ne peut plus transparent quant à ses intentions : « Lobjectif pour moi, cest de faire cesser cette impunité dont jouit LFI dans notre pays, cette forme de privilège rouge » a ainsi déclaré l’ex-président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes le 16 mai 2025 sur CNews.

Le 3 juin, la création de la commission d’enquête était retoquée par la commission des lois qui avait jugé irrecevable le texte produit par les députés de droite. Celui-ci comportait des références explicites à La France insoumise. Le député écologiste de Paris Pouria Amirshahi avait à cette occasion dénoncé une « vendetta politique » de la part des élus LR. Quelques jours plus tard, le groupe soumettait une nouvelle version expurgée des mentions relatives à LFI, cette fois-ci validée.

Dans un premier temps, la députée socialiste de Paris Sophie Pantel avait accepté le poste de présidente de la commission, avant de finalement démissionner le jour-même en raison de désaccords sur la composition du bureau, qui ne comportait aucun député issu des rangs de la gauche.

30 septembre, nouveau couac. Wauquiez et ses collègues repoussent l’élection du président afin de faire barrage au député de Paris, apparenté LFI, Aymeric Caron qui était alors le seul candidat en lice, les députés du RN et de l’UDR ayant initialement préféré se tenir à l’écart. Or le règlement de l’Assemblée stipule que, parmi les deux postes de président et de rapporteur d’une commission, l’un doit être attribué à un autre groupe que celui ayant demandé la création de celle-ci.

Le choix des députés LR s’est porté sur l’un des leurs : Vincent Jeanbrun, élu du Val-de-Marne qui avait d’abord été désigné rapporteur. Mais nouveau rebondissement : le 12 octobre, Jeanbrun est nommé ministre de la Ville et du Logement. La place est donc de nouveau vacante.

Après diverses tractations, le député LR de l’Ain Xavier Breton, également secrétaire de l’Assemblée nationale, est nommé président de la commission et le poste de rapporteur revient quant à lui au député ciottiste du Doubs Matthieu Bloch, élu en 2022 sous l’étiquette LR avant de suivre Éric Ciotti dans son alliance avec le RN en 2024.

Dans un communiqué publié le 21 octobre, les élus insoumis évoquent une « inquisition trumpiste » ainsi qu’une « mascarade anti-parlementaire », Aymeric Caron dénonçant quant à lui une « alliance politique infâme ». Le groupe en a par ailleurs appelé à la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet et au président de la commission des lois Florent Boudié. Une requête restée lettre morte.

Autant dire que les travaux de cette commission ne commençaient pas sous les meilleurs auspices.

 

Communiqué du groupe parlementaire La France insoumise.
Image La France insoumise-Assemblée nationale

Haro sur LFI

Difficile de donner tort aux députés LFI tant le choix des différents intervenants auditionnés par la commission trahit un clair parti-pris.

Une partie des auditions ont lieu à huis-clos. C’est le cas notamment de celles du secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et du terrorisme, du directeur général de la Sécurité extérieure ou encore du directeur de Tracfin, service de renseignement dépendant du ministère de l’Économie et des finances chargé de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

La première audition ouverte à la presse et diffusée en direct sur le site de l’Assemblée nationale s’est déroulée le jeudi 16 octobre. Ce jour-là, les membres de la commission ont entendu le journaliste et poète franco-syrien Omar Youssef Souleimane, auteur d’un livre-enquête à charge sorti au début du mois d’octobre et sobrement intitulé Les Complices du mal« Un cri dalerte dénonçant lalliance trouble de La France insoumise avec lislamisme, et son projet de déstabilisation de la démocratie française », nous renseigne la quatrième de couverture. Le décor est planté.

Le 21 octobre, c’était au tour de Nora Bussigny, journaliste travaillant pour le Point ainsi que pour l’hebdomadaire Franc-Tireur, de témoigner devant la commission. Après avoir « infiltré » la mouvance woke, une enquête en immersion qui aura eu le mérite d’amuser des internautes, l’intrépide reporter s’est en toute logique tournée vers une autre cause en vogue : la dénonciation de l’insidieuse menace islamiste et son corollaire, le soutien à la cause palestinienne. Après Les Nouveaux inquisiteurs, titre de son précèdent livre paru chez Albin Michel en 2023, Nora Bussigny s’est donc attaquée aux « Nouveaux antisémites ». Sorti le 17 septembre, l’ouvrage entend alerter sur les dérives de « lultra-gauche » en vue des élections municipales de 2026 et de la présidentielle de 2027.

Cette prise de position aussi courageuse qu’originale lui a valu de recevoir une nouvelle fois les louanges de la droite et des médias dominants qui lui ont déroulé le tapis rouge : CNews et Europe 1, propriétés du groupe Bolloré, Sud Radio, i24 News (chaine d’information israélienne propriété de Patrick Drahi), mais aussi BFM, « Quotidien » sur TMC et même France Info.

Quand le service public sert de caisse de résonance aux obsessions de la droite et de l’extrême droite. Nora Bussigny sur le plateau de l’émission de France Info « Tout est politique » le 2 octobre 2025.
Image France Info.

Pour donner une idée des positions tout en nuance de Nora Bussigny, soulignons par exemple que, lors de son passage dans l’émission de Yann Barthès, elle a mis sur un pied d’égalité l’antisémite Alain Soral et la députée européenne Rima Hassan, à qui tout un chapitre de l’ouvrage est d’ailleurs consacré : « Jai pu prouver dans mon livre des liens entre les deux. En tout cas, dans les idées quils véhiculent ». Joli tour de passe-passe sémantique…

Une prétendue empathie pour les civils palestiniens

Face aux membres de la commission, la journaliste s’est livrée à un exercice qui a souvent viré à l’autopromotion. Selon elle, les divers courants d’« ultra-gauche » se seraient structurés autour du rejet de la figure du policier pour ensuite faire de celle du « sioniste » leur nouvelle bête noire : « En loccurrence, quand on travaille sur lultra-gauche, il y a un constat qui est sensiblement le même quon peut retrouver quand on travaille sur lislamisme. Cest une détestation de l’État et un rejet des institutions démocratiques. » On appréciera le douteux parallèle, tout en nuance, qui dénote en outre d’une piètre connaissance de l’islam politique et de son rapport à l’État.

Pour faire bonne mesure, la journaliste ainsi que le rapporteur Matthieu Bloch concèdent que l’indignation vis-à-vis du sort des Gazaouis est légitime. Nora Bussigny reproche toutefois aux défenseurs de la Palestine d’entretenir à dessein la confusion entre judaïsme et sionisme ; un terme que la plupart d’entre eux, à en croire la chroniqueuse du Point, ne sauraient pas définir clairement. Pas à une calomnie près, l’autrice des Nouveaux antisémites va même jusqu’à remettre en cause la sincérité de leur engagement en parlant de « prétendue empathie pour les civils palestiniens ».

Elle accuse en outre Rima Hassan d’avoir indirectement contribué à « lembrasement » de Sciences Po Paris en participant à une conférence organisée par Attac et Solidaires étudiant-e-s aux côtés Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières (1). Contactée par Blast, la député européenne a pour sa part tenu à rappeler qu’elle et Rony Brauman avaient reçu des menaces avant la tenue de l’évènement.

 Anti-France

Le rapporteur Matthieu Bloch en vient à évoquer le cas des associations féministes et LGBT s’étant positionnées en faveur de la Palestine, se demandant si celles-ci n’auraient pas « dangereusement dévié ». Il va même plus loin en laissant entendre qu’il faudrait en retour envisager de leur retirer les subventions dont elles bénéficient. Même son de cloche du côté de la journaliste pour laquelle il y a une « infiltration de la mouvance islamiste dans toute la société française grâce à laide efficace, réfléchie, programmée de la gauche radicale ».

Vient le tour des autres députés d’échanger avec elle. Constance Le Grip, élue Renaissance des Hauts-de-Seine, est la première à prendre la parole. Elle salue tout d’abord le « courage » et « lengagement » de Nora Bussigny, dont elle invite chacun à lire le livre. Pour la conseillère municipale de Neuilly-sur-Seine, LFI serait dans une optique révolutionnaire, cherchant dès lors à provoquer le « chaos » et « laffrontement ». Tout simplement.

Alors qu’ils sont d’ordinaire vent debout contre le « wokisme », les soutiens de Benyamin Netanyahou font mine de se préoccuper du sort des personnes LGBT à Gaza pour tenter de discréditer le mouvement de solidarité avec la Palestine.
Image Assemblée nationale.

Caroline Yadan, députée apparentée LREM des Français de l’étranger, entre autres et notamment d’Israël, qui avait l’an passé accusé le Monde d’être « le porte-parole de ceux qui […] nourrissent la haine des juifs en France », loue à son tour le « courage exemplaire » de son interlocutrice avant d’appeler à lutter contre les « complices » de l’islamisme. Dans sa réponse, la journaliste convoque alors la figure de la pieuvre. Qu’il soit délibéré ou non, le choix d’une telle métaphore en dit long sur les motivations idéologiques qui sous-tendent cette commission. Elle renvoie en effet à tout un imaginaire, puisque si l’on songe ici à la Mafia ou aux affiches de propagande du siècle dernier…

Image DR

Le concert de louanges se poursuit avec la députée RN du Doubs Géraldine Grangier. « Cest un véritable honneur de vous recevoir aujourdhui. Je vous suis depuis plusieurs années et cest vraiment très émouvant pour moi de vous rencontrer » confie l’élue qui, dans un message posté sur X en juin 2024, avait qualifié les élus LFI de « sous-traitants du Hamas ». Au sujet des associations de solidarité avec la Palestine, parmi lesquelles le collectif Urgence Palestine, Géraldine Grangier va employer le terme « danti-France ». Une expression jadis utilisée par les militants antidreyfusards puis reprise et popularisée par l’essayiste d’extrême droite et figure de l’Action française Charles Maurras qui, dans un article datant de 1911, traitait les Juifs de « microbes sociaux c.

Les « idiots utiles de l’anti-France » selon la députée RN Géraldine Grangier.
Image Assemblée Nationale.

 Un parti-coucou 

Le lendemain, les membres de la commission ont auditionné l’anthropologue et chercheuse au CNRS Florence Bergeaud-Blackler, en visio depuis le Québec. Au sein de l’écosystème médiatique, l’autoproclamée « spécialiste de lIslam » sert de caution académique aux discours antimusulmans débités par les charlatans cathodiques et autres marchands de haine. Une notoriété qui s’étend des médias de Daniel Kretinsky (MarianneFranc-Tireur) à ceux de l’extrême droite (Boulevard Voltaire, CNews, Valeurs actuelles, etc.). Pourtant, nombreux sont ceux à avoir pointé du doigt l’inconsistance de ses travaux ainsi que ses biais idéologiques manifestes.

Au cours de son discours introductif, la fondatrice et présidente du Centre européen de recherche et d’information sur le frèrisme (CERIF), une structure ayant bénéficié de financements du milliardaire d’extrême droite Pierre-Édouard Stérin dans le cadre du Projet Périclès, qualifie La France insoumise de « parti-coucou ». Si cette appellation peut de prime abord sembler anodine, elle est en réalité loin d’être innocente ; le coucou ayant la particularité de prendre possession du nid d’autres oiseaux pour y pondre ses œufs et les y laisser couver.

Reprenant le vocable de l’extrême droite sur les « ennemis de l’intérieur », l’éminente chercheuse soutient ainsi que les Frères musulmans seraient dans une logique d’entrisme visant à faire progresser leur agenda étape par étape au sein du champ politique en « pondant leurs œufs » dans diverses structures… dont LFI. Une resucée du vieux cliché raciste de l’arabe naturellement enclin à la fourberie en somme… Elle va même pousser le raisonnement plus loin en déclarant que les députés et militants racisés de LFI nourriraient à terme l’objectif de faire main-basse sur le parti et d’évincer les « leaders blancs » au profit des « leaders autochtones islamisés ».

Durant son audition, Florence Bergeaud-Blackler, « spécialiste de lislamisme frériste en Europe » affirmera que 4/5e des musulmans dans le monde sont arabes. Une erreur grossière qui n’a pas échappé à la vigilance de nombre d’internautes. En effet, parmi les cinq pays comptant le plus grand nombre de musulmans, il ne se trouve aucun pays arabe. Une experte, vous dit-on, qui a d’ailleurs récemment pu faire une démonstration de sa parfaite maitrise de la langue arabe lors d’un entretien pour la chaîne Thinkerview.

Pas les plus malins et les plus intelligents

Face à l’anthropologue, le rapporteur Matthieu Bloch évoque des « forces séparatives » qu’il convient « didentifier et de combattre » avant qu’elles ne puissent « produire le chaos quelles recherchent », sans toutefois préciser sa pensée. Après quoi, il interroge Florence Bergeaud-Blackler pour savoir si, d’après elle, les élus de gauche agissent par opportunisme ou s’il y a bien chez eux une réelle adhésion idéologique au projet islamiste. Se saisissant de la perche tendue par l’élu ciottiste , la présidente du CERIF tacle les députés de La France insoumise, « pas les plus malins et les plus intelligents », allant même jusqu’à prétendre que certains d’entre eux auraient été élus grâce aux voix des « islamistes ». Elle est alors interrompue par le président Xavier Breton qui la rappelle à l’ordre et lui signifie — tout de même — que ses collègues députés ont droit au respect comme les autres.

« On a tout laissé faire pendant des décennies », déplore-t-elle ensuite, après que le rapporteur a évoqué le projet d’enquête sur « lislamo-gauchisme » à l’université. Annoncé en février 2021 par la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal, en poste de 2017 à 2022, l’entreprise s’était révélée n’être qu’un effet d’annonce, le ministère ayant finalement reconnu deux ans plus tard qu’aucune enquête n’avait été diligentée.

Après quoi, Matthieu Bloch s’enquiert auprès de la chercheuse de la marche à suivre pour « lutter efficacement contre lislamisme » tout en évitant de stigmatiser les Français de confession musulmane. Autant demander à un torero son avis sur le bien-être animal ou à Christine Boutin ce qu’elle pense des luttes queer…

« Alors déjà, la stigmatisation des musulmans, il faut poser ce problème : est-ce quelle existe ? Est-ce que cest parce quils sont musulmans que les populations de tradition musulmane sont rejetées ? On na jamais réussi à prouver ça formellement » ergote l’anthropologue, niant l’ensemble des rapports et travaux de recherche portant sur l’islamophobie, tout en concédant, nous voilà rassurés, que le racisme et la xénophobie sont des réalités. Ce dont elle va d’ailleurs faire une démonstration éclatante, expliquant que le fait de donner à son enfant un prénom arabe constituerait… une forme d’auto-exclusion (2).

Et de poursuivre sur sa lancée en décrétant que certains élus insoumis auraient adopté un « habitus » islamiste, aussi bien au niveau vestimentaire ou dans leur façon de parler (3). On peine à comprendre ce à quoi elle fait référence.

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Florence Bergeaud-Blacker se montre, de surcroit, particulièrement sévère à l’égard de ses collègues, leur reprochant de n’être « pas très courageux » et de se préoccuper avant tout de leur carrière. La présidente du CERIF regrette à ce titre que les « chercheurs libres » soient empêchés de faire le travail et, sur une note plus personnelle, se demande s’il n’y aurait pas une volonté délibérée de la part du CNRS de lui « mettre des bâtons dans les roues »On connaissait le complot des juges, voilà maintenant le complot des chercheurs…

L’extrême gauche n’a pas encore posé de bombes, mais… 

28 octobre. Le premier intervenant de la journée est Emmanuel Razavi, journaliste franco-iranien écrivant notamment pour Paris-Match et Valeurs actuelles. Pendant plus d’une demi-heure, le co-auteur du livre-enquête La Pieuvre de Téhéran, sorti en juin dernier aux éditions du Cerf, expose la façon dont la République islamique a tissé au fil des ans un important réseau d’influence, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. Il affirme notamment que le régime des mollahs se servirait de la cause palestinienne comme d’un cheval de Troie pour infiltrer les mouvements de gauche, indiquant que les universités constitueraient l’une des cibles privilégiées des services de renseignements iraniens sans pour autant étayer son propos par des exemples concrets.

L’essayiste en vient à parler de la plainte pour « intelligence avec des organisations terroristes » déposée contre les députés de La France Insoumise Ersilia Soudais, Rima Hassan et Thomas en juin 2024 par l’association Avocats sans frontières, présidée par l’avocat zemmouriste Gilles-William Goldnadel, grand habitué des plateaux de CNews. Faute d’éléments probants, la plainte avait été classée sans suite en août dernier. Cela ne va pourtant pas empêcher Emmanuel Razavi de charger violemment « l’extrême gauche » en lui prêtant, tant qu’à faire, des intentions potentiellement terroristes : « Je crois, et jen suis malheureusement de plus en plus convaincu après mes différents entretiens et mes longues enquêtes, que si lislamisme a depuis longtemps imprimé sa marque terroriste en France et plus largement en Europe, je crois que si lextrême gauche na pas encore posé de bombes, mes enquêtes mont convaincu quil ny a pas grand doute. Peu à peu, nous allons nous diriger vers ce type de scénario » assène gravement le grand reporter, à qui on ne saurait que trop conseiller de (re)voir le film de Steven Spielberg Minority Report, adapté d’une nouvelle de l’écrivain de science-fiction Philip K. Dick.

Pour rappel, selon les services de renseignement, c’est bien l’ultra-droite qui constitue la deuxième menace terroriste en France après le terrorisme islamiste. Le président Xavier Breton tiendra d’ailleurs à réaffirmer par la suite qu’il ne s’agit pas d’un tribunal et que la commission n’avait nullement pour objectif de jeter le discrédit sur qui que ce soit. Encore faudrait-il que les autres députés en aient eux aussi conscience…

Quelques respirations

Le même jour, la commission a entendu Ghaleb Bencheik, islamologue et président de la Fondation de l’Islam de France (FIF) qui, de 2000 à 2019, a animé l’émission « Islam », diffusée le dimanche matin sur France 2. D’emblée, celui qui avait, un temps, été envisagé pour prendre la succession de Dalil Boubakeur à la tête de la Grande Mosquée de Paris, annonce ne pas être un spécialiste du fondamentalisme islamique.

Interrogé par le rapporteur Matthieu Bloch sur les liens supposés entre LFI et les mouvements islamistes, l’essayiste franco-algérien explique d’un ton posé que les Français de confession musulmane votent en priorité pour le parti de Jean-Luc Mélenchon tout simplement parce qu’il s’agit d’une des rares formations politiques à ne pas tenir de propos stigmatisants à leur égard. Une réponse qui n’a manifestement pas convaincu le député.

Pour le théologien, il conviendrait par ailleurs de bannir du débat public le terme « islamo-gauchisme » et autres joyeusetés du même acabit (« islamo-collabo », « islamo-fascisme », « islamo-racaille », etc.). Vu la propension des responsables politiques d’extrême droite et de droite extrême, ainsi que d’une partie des chiens de garde squattant les ondes, à recourir à cette expression pour jeter le discrédit sur quiconque s’aviserait d’élever un peu trop la voix face à leur idéologie fascisante, on peut toujours attendre…

Moment pour le moins cocasse quand Ghaleb Bencheik charge le « micro-parti » d’Éric Ciotti, auquel appartient le rapporteur Matthieu Bloch.
Image Assemblée Nationale.

Pour ce qui est de la question palestinienne, s’il condamne les actions du Hamas, Ghaleb Bencheik rappelle à juste titre que l’on a dénié aux Palestiniens la justice et ce depuis 75 ans. Après le déluge d’inepties et de déclarations calomnieuses auquel nous avons eu droit lors des précédentes auditions, la nuance dont a fait preuve le président de la FIF était comme un bol d’air frais.

Même impression le 29 octobre avec l’audition d’Olivier Roy, politologue spécialiste des questions religieuses, en particulier celles se rapportant à l’Islam, directeur de recherche au CNRS et professeur à l’Institut universitaire européen de Florence. Durant son allocution liminaire, l’agrégé de philosophie retrace succinctement l’histoire des Frères musulmans, mouvement politique né en Égypte dans les années 1920. Il explique par exemple qu’à leur arrivée en France dans les années 1980, les membres de l’organisation étaient dans une forme d’entre-soi intellectuel, qualifiant d’ailleurs de « mythe » l’idée selon laquelle ces derniers auraient eu pour objectif de conquérir les banlieues.

À l’inverse de Florence Bergeaud-Blackler, Olivier Roy décorrèle le développement du marché du halal du fait religieux. Selon lui, l’essor du halal serait dû avant tout à l’apparition d’une nouvelle classe moyenne maghrébine. Il va ainsi employer le terme de « gentrification ».

Répondant à une question du rapporteur Matthieu Bloch, le politologue réfute en outre l’accusation habituellement brandie par les alliés du régime de Netanyahou selon laquelle le soutien à la Palestine irait de pair avec une adhésion à l’idéologie islamiste.

« Je ne vois pas en quoi des manifestations pro-palestiniennes seraient le prodrome à l’islamisation de la France ». Olivier Roy répond à la question du rapporteur Matthieu Bloch sur les prétendues « connivences » entre les élus LFI et les militants islamistes.
Image Assemblée Nationale.

S’il admet l’existence de pratiques clientélistes à l’échelle municipale, aussi bien de la part des élus de gauche que de droite, il en relativise l’importance, estimant que cela fait partie inhérente du jeu politique.

Enfin, l’universitaire réaffirme que le projet d’« islamisation de la France » dont les apôtres du « combat civilisationnel » nous rebattent les oreilles à longueur d’interviews et de tribunes n’est que pur fantasme.

 

Un peu de nuance, là encore bienvenue.

Au total, et ce malgré les deux dernières auditions évoquées, la composition du bureau de la commission, le choix des invités, parmi lesquels on compte aussi Jules Laurans, rédacteur en chef et responsable du « pôle enquête » du média d’extrême droite Frontières, entendu le 5 novembre, et le type de questions posées interrogent sur la banalisation voire la légitimation par une commission d’enquête parlementaire des lubies de l’extrême droite. Et l’on peut dès lors craindre que les conclusions du rapport servent de carburant, au sein du système politico-médiatique, à ceux qui mènent l’offensive contre La France Insoumise, et qu’elles contribuent en parallèle à une criminalisation toujours plus poussée du mouvement de solidarité avec la Palestine.

 

« On est quand même dans un climat où il ny a absolument aucun recul et aucune nuance qui soit apportée. Moi, ce qui minquiète surtout, cest ce que ça nourrit comme peurs et fantasmes auprès de certains électeurs qui finissent par adhérer à cette propagande contre LFI et contre les musulmans en France. Je trouve cela extrêmement dangereux » nous a à ce titre confié la députée Rima Hassan.

 

Les auditions se poursuivent, remise du rapport prévue courant décembre.

 

(1) Voir à ce sujet la tribune de Jean-François Bayart sur la répression du mouvement de solidarité avec la Palestine par la direction de l’université.

 

(2) On rappellera à toute fin utile qu’Éric Zemmour avait tenu un discours similaire face à la chroniqueuse Hapsatou Sy en 2018 dans l’émission de Thierry Ardisson Les Terriens du dimanche,  diffusée sur C8 ; affirmant que son prénom était « une insulte à la France ». Des propos qui ont d’ailleurs valu au président du parti Reconquête une condamnation pour injure à caractère raciste.

(3) En sociologie, l’habitus (du latin « habitus »« manière d’être ») désigne le processus d’assimilation, plus ou moins conscient, des pratiques, valeurs et dispositions d’un groupe donné. Il peut également s’agir des biens matériels ou immatériels attestant de l’appartenance à une catégorie sociale. Ce concept a notamment été utilisé par le sociologue allemand Norbert Elias ainsi que par Pierre Bourdieu.

 

Crédits photo/illustration en haut de page :
Margaux Simon

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