Attac France, 2 janvier 2020
Au lendemain d’une polémique sur la nomination du président de BlackRock France comme officier de la Légion d’honneur par Édouard Philippe, la secrétaire d’État française Agnès Pannier-Runacher a démenti jeudi tout lobbying de la société américaine de gestion d’actifs dans le cadre de la réforme du système des retraites. « Ils ne font pas de lobbying parce qu’ils n’ont pas grand chose à y gagner », a déclaré la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Economie et des Finances au micro de Jean-Jacques Bourdin. « C’est une boite de Smarties le marché français, ça ne représente rien par rapport à leur gestion d’actifs ». Désintox.
Pourquoi faut-il s’intéresser aux relations entre Macron, son gouvernement et BlackRock ?
Le PDG de BlackRock, Larry Fink, été reçu à l’Elysée en 2017, avant même que les représentants des fonds français similaires ne le soient. En ce sens, BlackRock n’a pas besoin de faire du lobbying : Macron leur a déroulé le tapis rouge, et ce à plusieurs reprises en trois ans. La volonté de BlackRock de se déployer massivement en Europe, et tout particulièrement en France, en Allemagne et en Italie est relativement récente. Paris a d’ailleurs été choisi pour être un des hubs de son développement dont la charge a été confiée à Jean-François Cirelli.
Les connivences entre BlackRock et Macron n’ont depuis cessé de se multiplier : en novembre 2017, des salons de l’Elysée ont même été privatisés pour permettre à des dirigeants de BlackRock d’auditionner plusieurs ministres qui avaient alors pour mission de leur expliquer combien la politique économique menée depuis 2017 est favorable à leurs intérêts, afin de les encourager à « choisir la France » pour leurs futurs investissements.
Pourquoi il est faux de dire que BlackRock ne fait pas de lobbying en France ?
BlackRock a publié en juin 2019 un document de 16 pages intitulé « Loi Pacte : Le bon plan Retraite », où elle émet quatorze « recommandations » au gouvernement français. BlackRock y préconise notamment de créer une quasi-obligation à l’épargne-retraite dans les entreprises, au-delà des régimes de base et complémentaires [1] ou encore d’ouvrir les produits à des supports domiciliés au Luxembourg ou en Irlande, paradis fiscaux notoires [2].
Pourquoi écrire un tel document si ce n’est pour tenter d’influencer la politique du gouvernement français, autrement dit faire du lobbying ?
Alors, bien sûr, il serait absurde de considérer que seul BlackRock fait du lobbying auprès du gouvernement français. Jean-Michel Bezat, journaliste économique du Monde, explique que « M. Fink n’a pas plus l’oreille du pouvoir que ses pairs d’AXA, de BNP Paribas ou d’Amundi qui, eux, gèrent les produits en capitalisation et font le même lobbying auprès du gouvernement depuis des décennies » et « le géant américain a fait au gouvernement des « recommandations » en faveur de la capitalisation qui sont très proches de celles des banques et des assureurs français » [3]. Les entreprises multinationales ne sont pas plus vertueuses si elles sont françaises et nous avons suffisamment dénoncé les agissements de BNP-Paribas, entre autres, pour savoir que les grandes banques françaises n’ont rien de vertueuses.
Pourquoi BlackRock est intéressée par la contre-réforme des retraites ?
Votée au printemps, la loi Pacte veut en effet favoriser « l’épargne-retraite volontaire » et porter son encours de 200 milliards aujourd’hui à 300 milliards d’euros en 2022. BlackRock, qui reconnaît que les deux tiers des actifs qu’il gère sont « liés aux solutions d’épargne-retraite », est évidemment intéressée, indirectement, par l’augmentation des encours collectés par les gérants de fonds d’épargne-retraites qui font appel à ses services pour placer ces sommes sur les marchés financiers. Jean-François Cirelli, le président de BlackRock France, s’est d’ailleurs félicité en juin 2019 que le gouvernement allait ainsi « permettre aux français de s’approprier l’épargne-retraite ». Il proclamait sa volonté de « mettre l’expérience de BlackRock au service de cette nouvelle épargne-retraite » [4].
La contre-réforme des retraites présente une autre opportunité pour les fonds d’épargne-retraites et, indirectement, pour les gestionnaires d’actifs tels que BlackRock. En effet, le gouvernement prévoit que les plus hauts revenus ne cotiseront plus pour leur retraite personnelle au-delà de 121 626 euros de revenus annuels, soit environ 10 000 € par mois. Cela concerne environ 300 000 personnes. Au delà de cette somme, les revenus seront prélevés d’un taux de 2,81%, sans ouverture de droits nouveaux à la retraite, afin de financer le système général. Cette proposition, qui est présentée comme une mesure de solidarité par le gouvernement, risque fort d’avoir pour conséquence que les personnes concernées soient renvoyés vers la capitalisation pour tenter de maintenir leur niveau de retraite.
Comme l’écrit l’UGICT-CGT, « Voilà qui est de nature à créer un marché juteux pour les fonds d’épargne retraite qui lorgnent sur l’épargne des français·e·s et coûtera très cher à nos systèmes de retraite solidaires » [5]. Même le Figaro reconnait que « les cadres gagnant plus de 10 000 euros par mois seront de fait incités à investir dans une retraite par capitalisation pour leur retraite » [6].
Agnès Pannier-Runacher a elle-même vendu la mèche ce matin : « Au delà de 120 000 euros (de revenu annuel), ce n’est pas à la solidarité nationale de s’occuper de la retraite de ces gens là ». Comment dire plus clairement que la réforme des retraites va inciter les hauts revenus à souscrire une retraite complémentaire par capitalisation ?
Pourquoi la France n’est pas un smarties pour BlackRock ?
Dans l’interview donnée en juin 2019, Jean-François Cirelli lui-même ne cachait pas les ambitions de son entreprise en France : « BlackRock veut être beaucup plus présent dans ce beau pays et nous avons de grandes ambitions pour BlackRock en France ». Pourquoi la secrétaire d’État nie-t-elle ce que même BlackRock reconnait ?
Si la France était un smarties pour BlackRock, pourquoi Larry Fink aurait-il été reçu en personne par Emmanuel Macron à plusieurs reprises ?
Et si la France était insignifiant pour BlackRock, pourquoi est-elle présente au capital d’au moins 18 entreprises du CAC 40 ? Pourquoi détient-elle autour de 5% du capital de BNP-Paribas, Société générale, Vivendi, Michelin, Vinci ou encore Total ? Au total, BlackRock détenait 1,9% du capital des entreprises du CAC 40 fin 2017, selon Euronext.
L’observatoire des multinationales a même montré que les multinationales du CAC 40 sont d’autant plus généreuses envers leurs actionnaires lorsque BlackRock est un actionnaire important : la firme fait cracher du cash aux multinationales françaises au détriment de l’investissement.
Pourquoi nommer Jean-François Cirelli officier de la légion d’honneur pose problème ?
Selon Agnès Pannier-Runacher la légion d’honneur accordée au patron de la branche française était une « pure coïncidence ». Elle justifie cette nomination en expliquant que « Ca fait 40 ans qu’il (Jean-François Cirelli) travaille pour le public (…) c’est quelqu’un qui a travaillé au FMI, au ministère de l’Economie et des Finances, qui a été collaborateur du Premier ministre, qui a été dirigeant de GDF Suez et qui aujourd’hui sert la cause de la France en disant que la France est un pays où il fait bon investir ».
Or, Jean-François Cirelli a reçu la Légion d’honneur en 2006, puis a été élevé chevalier en 2009 : voilà qui récompense son travail « pour le public ». Mais depuis, qu’a t-il fait pour mériter d’être élevé au rang d’officier de la Légion d’honneur ? Est-ce pour avoir mené à bien la privatisation de GDF lorsqu’il en était président ? Est-ce pour le remercier de participer au Comité action publique 2022 (CAP 22) qui a été chargé en octobre 2017 par le premier ministre Edouard Philippe de réfléchir à une réforme des missions de l’État en France ? Si c’est le cas, nous aimerions savoir quel type de réflexions a fourni cet expert en privatisations pour réformer les missions de l’État en France ! Faut-il rappeler que le rapport du CAP 22, rédigé en 2018, préconisait de restreindre le périmètre de l’action étatique ? Si Jean-François Cirelli est un « grand serviteur de l’État », c’est au service du dépeçage de l’État.
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