Je vais quitter la police, je le sais. Elle ne m’apporte plus rien, plus aucune joie, plus aucun plaisir de faire ce métier que j’ai fait avec passion à la BAC puis à la BRI. J’ai adoré l’adrénaline que procure ce job, aimé porter secours, aimé cette ambiance très fraternelle mais aujourd’hui, c’est avec un goût amer que je m’apprête à quitter mes frères d’armes pour lesquels j’ai un respect à vie. Ce métier est rempli de joies, de peurs, d’excitations, de drames, de gens passionnés et passionnant, donnant leur temps et allant parfois jusqu’au sacrifice ultime, le don de leur vie pour sauver celle de nos concitoyens.
Je fais partis d’une génération entrée dans la police par vocation, conviction du devoir envers mon pays. Mais aujourd’hui cette flamme est éteinte. Le profond malaise qui ronge notre métier a eu raison de moi et de mes idéaux. Les vagues de suicides dans la police ne sont pas l’unique réalité de ce malaise, le mal être de nombreux policiers gagne l’ensemble de l’équipage de ce bateau ivre. Il y a un tsunami qui vient. Une énième réforme n’y changera rien car la police, même si elle a évolué durant ces 20 dernières années, souffre d’un cancer.
Je suis entré dans la police en 1997 mais auparavant j’avais effectué mon service militaire dans la Gendarmerie Nationale en 1995. 25 ans de carrière, je suis un ancien à 45 ans.
J’ai travaillé dans des endroits où déjà la violence était notre quotidien. Dans une circonscription des Yvelines. Les guet-apens, les cocktails Molotov, les pierres, les violences verbales et physiques, j’y ai été confronté très tôt. Mais je savais que cela faisait partie des risques auxquels on s’expose quand on embrasse cette profession.
Mais j’y croyais plus que tout, je pensais pouvoir changer la société et je sentais que tous les acteurs de ce métier y croyaient également, enfin une majeure partie. Alors j’ai tout supporté, parfois les blessures, l’isolement souvent. J’ai eu la chance d’avoir une femme, elle infirmière (autre métier en danger), qui m’a toujours soutenu et compris dans mes choix de carrière.
Donc, il ne peut y avoir de débat avec moi. Je connais le sujet sur le bout des doigts. Sans aucun orgueil, j’avance avec certitude que la police se meurt dangereusement, lentement avec une dégradation qui s’accélère ces dernières années. De nombreux policiers ont encore cette Foi qui sauve les apparences, qui donne l’illusion que toutes les missions régaliennes sont encore assurées mais à quel prix. L’édifice devient instable et c’est alors toutes les valeurs de la démocratie qui vacillent. Nous sommes les derniers remparts avant le chaos, avant le néant. Les événements récents parlent d’eux même.
Ce ne sont pas des cas isolés que je souhaite mettre en avant mais un ensemble de facteurs qui fait que ce métier est aujourd’hui par nature anxiogène. Il faut non seulement redonner aux policiers les moyens matériels et juridiques de faire leur travail mais aussi leur donner un espoir ; l’espoir que l’ensemble du système administratif, judiciaire, politique, et enfin plus difficilement médiatique redeviennent ces soutiens indéfectibles. Les policiers peuvent et doivent devenir ces agents de la paix avant tout ; n’en déplaise à un personnage fictif tiré d’un célèbre sketch des Inconnus.
Aujourd’hui on peut voir que les policiers vivent dans la crainte, de la blessure, de la sanction, parfois même de la précarité, de représailles de la voyoucratie, du management abusif parfois jusqu’au harcèlement. On a pu voir que les dernières directives de l’administration police renforcent le pouvoir décisionnaire des commissaires qui, par exemple, ont la possibilité de mettre à pied 3 jours sans solde un fonctionnaire et ce sans le contrôle d’un conseil de discipline donc sans pouvoir se défendre.
Très prochainement les syndicats représentatifs de la Police Nationale ne pourront plus siéger sur les différentes commissions liées aux avancements et aux mutations. Quels messages le législateur veux-t-il envoyer aux flics. Que nous ne pourrons bientôt plus décider de nos différents sorts, de nos vies ?
Nous avons encore vu cette méconnaissance de nos professions par le pouvoir, en accordant la clause du grand-père à nos collègues gendarmes que nous respectons aussi pour la difficulté de leurs missions.
J’alerte et ne suis pas le seul j’en suis convaincu.
Déjà en 2018, le rapport de la commission d’enquête parlementaire parlait d’une véritable crise, malaise, mal être, perte de sens, démotivation et découragement étaient les mots employés par les sénateurs François Grosdidier et Michel Boutant. Tellement de chantiers à mettre en œuvre.
Qu’avez-vous réellement mis en place depuis ce rapport ? N’est-il pas trop tard ?
Quand vous aurez démotivé, épuisé le dernier policier, irez-vous chercher vous-même le casseur sur la barricade. Je ne veux pas condamner le patient mais il est très malade et le diagnostic n’a pas encore été établi. Il est en va de votre devoir de ne plus simplement écouter mais dès demain de mettre en œuvre une reforme sans précédent, de prendre des mesures, de faire voter des lois notamment pour protéger les policiers, l’allégement de la procédure pénale entre autres, d’ouvrir les vannes des budgets pour sauver ce qui peut l’être car c’est la vie du service publique de la sécurité qui en dépend.
Moi, j’étais un flic, un flic de cœur, dans mes veines coulent les valeurs de la république. Monsieur, je vous demande d’entendre le cri qui vient de l’intérieur sans aucun jeu de mot. Un cri qui quand il n’est pas entendu nourri des larmes puis la résignation et enfin l’abandon. »
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