Face au covid-19, les technocrates français pris au dépourvu

 Par Marc Endeweld  |  
Dans la plus totale urgence, Emmanuel Macron a annoncé une dotation exceptionnelle de 4 millards d’euros à l’organisme « Santé publique France » – bien impuissant face au Covid-19, faute de moyens – pour commander « médicaments, respirateurs et masques » destinés à lutter contre l’épidémie. (Crédits : Reuters)
CHRONIQUE. La manière dont les autorités sanitaires françaises ont géré la crise du Covid-19 a fait apparaître de graves dysfonctionnements de l’administration et des choix stratégiques discutables.

Suite à la publication de cette chronique, Aquilino Morelle, cité dans l’article, souhaite apporter certaines précisions. Elles sont publiées à la fin de l’article.

Certaines interviews sont parfois très cruelles, après coup. C’est le cas de celle qu’Agnès Buzyn, alors candidate à la mairie de Paris, a donné le 3 mars aux « 4 Vérités » de France 2. Car ce matin-là, l’ancienne ministre de la santé explique : « J’ai préparé évidemment en tant que ministre l’arrivée de ce virus bien avant qu’il n’arrive en France en réalité, puisque nous avons, dès que l’épidémie a augmenté en Chine, travaillé à avoir des stocks de masques, faire des commandes, vérifier que les services de réanimation avaient le nombre de machines suffisantes. Tout cela a été préparé en amont. Le stade 3 est prêt ». Malheureusement, rien n’était prêt.

Incapable de faire face

La France, sixième puissance économique mondiale, a été incapable de faire face d’une manière raisonnable à cette pandémie mondiale. Faute de moyens, le confinement national a été décidé dans la précipitation quand le pouvoir s’est aperçu (un peu tard) que nos services de santé n’allaient pas pouvoir faire face à l’afflux de malades graves. C’est en réalité une solution prise par défaut, dans la plus totale impréparation et urgence. Eberlués, les Français n’ont pu que constater l’indigence de l’hôpital public, et l’incurie de l’Etat, à travers le manque cruel de masques, de tests, et de respirateurs. Il faut se rendre à l’évidence, depuis trente ans, la France est devenu à bas bruit « un pays sous-développé en matière de santé », comme l’a dénoncé le professeur Juvin, chef des urgences de l’hôpital Pompidou à Paris.

Depuis le début du confinement, la colère gronde dans les hôpitaux, mais également dans chaque famille française. Face aux plaintes déposées pour mise en danger de la vie d’autrui, les ministres du gouvernement, comme les hauts fonctionnaires, sont tétanisés, multipliant les signaux contradictoires. Car bloquer et confiner l’ensemble d’un pays, et notamment sa capitale politique et économique  (Paris représente 30 % de la croissance française chaque année et centralise la plupart des réseaux de communication), n’est pas du même ordre que de mettre sous quarantaine une partie de la Chine. Certes, face à l’ampleur d’une telle crise, les tâtonnements sont compréhensibles, mais les mensonges sont inexcusables. Comme prétendre que le port d’un masque ne sert à rien, alors que George Gao, le directeur général du Centre chinois de contrôle et de préventions des maladies, a expliqué à Science que ne pas en porter était une « grave erreur ».

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Chaque responsable sort son parapluie

Pour ne rien arranger, chaque responsable a tendance à sortir son parapluie. Concernant la pénurie de masques, les technocrates de la santé renvoient la responsabilité au SGDSN (Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité Nationale). Au sein de l’Etat, la faute est pourtant collective. L’actuel directeur général de la santé, Jérôme Salomon, n’était-il pas le conseiller en charge de la « sécurité sanitaire » des Français de la ministre socialiste Marisol Touraine ?

Surtout, suite aux polémiques qui ont suivi l’épisode du H1N1 en 2009, l’Etat s’est peu à peu désarmé face une pandémie de grande ampleur. Pour la Cour des Comptes et Bercy, c’était alors toujours « trop cher ». Selon l’économiste Claude Le Pen, cette crise « a fait naître dans une partie de la haute administration de la santé le sentiment d’en avoir trop fait, d’avoir surestimé la crise et, finalement, d’avoir inutilement gaspillé des fonds publics au profit des laboratoires pharmaceutiques. L’Etat s’est ainsi convaincu qu’une réduction de la voilure était nécessaire ».  

La santé vue dans une optique seulement comptable

Durant dix ans, la santé des Français n’a été considérée que sous l’optique comptable, comme si le risque avait disparu ! Ainsi, en plus de la liquidation des stocks de masques, l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), créé à l’origine par loi de 2007 sur la lutte contre les épidémies, portée alors par le ministre de la santé Xavier Bertrand, a vu ses crédits être rabotés avant d’être fondu dans « Santé publique France » bien impuissant face au Covid-19, faute de moyens. Dans la plus totale urgence, Emmanuel Macron a annoncé une dotation exceptionnelle de 4 millards d’euros à cet organisme pour commander « médicaments, respirateurs et masques » destinés à lutter contre l’épidémie.

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Une décision bien tardive : à l’automne dernier, la ministre Buzyn perdait les arbitrages financiers pour l’hôpital public face à Bercy et Matignon. Début mars, le cabinet d’Olivier Véran, qui avait annoncé une commande de 200 millions de masques fin février, n’avait procédé en réalité qu’à une première prise de contact auprès d’éventuels fournisseurs. Avec un souci de taille : la France n’ayant plus les moyens de produire des masques en grand nombre, la Chine a dû être appelée à la rescousse…

Soutien aux « Kouchner boys »

De fait, pour le gouvernement des « experts » promu par la macronie, cette crise sanitaire est une véritable débâcle. Et si l’ancien ministre de la santé, Bernard Kouchner se félicitait récemment que le gouvernement « gère très bien » la crise, c’est d’abord pour soutenir ses « Kouchner boys ». L’actuel directeur général de la santé, Jérôme Salomon, est en effet un proche du conseiller d’Etat Didier Tabuteau, qui fut l’ancien directeur de cabinet de Kouchner à deux reprises  : « Depuis son passage au ministère et à l’agence du médicament, Tabuteau a la haute main sur les politiques de santé depuis vingt ans », juge un ancien de la DGS. Mais on pourrait également citer un autre conseiller d’Etat, l’actuel patron de l’AP-HP, Martin Hirsch, autre directeur de cabinet de Bernard Kouchner par le passé. Ces trois-là sont bien sûr proches de l’ancien ministre de la santé, Agnès Buzyn, et de son mari, Yves Lévy, patron de l’Inserm, mais également du socialiste Aquilino Morelle, ou à droite, de l’ancien ministre de la santé, Xavier Bertrand.

Forcément, ces dernières semaines, les déclarations intempestives du professeur Didier Raoult ont eu le don d’irriter tous ces hauts fonctionnaires de la santé. « C’est clan contre clan », pointe un initié. Par le passé, Raoult conseilla le candidat Jacques Chirac pour la partie santé de ses programmes. En 2003, le ministre Jean-François Mattéi lui confia un rapport sur le bio-terrorisme. Mais si Didier Raoult gêne, c’est que la stratégie qu’il propose (tester au maximum, et soigner le plus tôt par de l’hydroxychloroquine, une molécule ancienne, et peu chère, avec un antibiotique) met en lumière les difficultés actuelles de l’Etat français. Des pays comme la Corée du Sud, Taïwan, le Japon, ou encore l’Allemagne n’ont pas eu à choisir le confinement car ils ont pu, très tôt, tester massivement leurs populations respectives. Dans l’entourage du chef de l’Etat, on fait savoir que le contact n’est pas rompu avec Didier Raoult. Et pour cause : dans la sphère économique, ils sont nombreux à soutenir en coulisses le professeur marseillais, notamment la plus grande fortune française, Bernard Arnault de LVMH ou Serge Weinberg de Sanofi.

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L’OMS prend parti pour le traitement américain

Face à une telle crise majeure, les enjeux économiques globaux vont-ils primer sur les gains à venir des laboratoires pharmaceutiques ? Le 24 février, le jour précédant les premières déclarations de Didier Raoult sur l’hydroxychloroquine, le directeur général adjoint de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Bruce Aylward, prenait parti pour un traitement breveté par l’américain Gilead, sans attendre les premiers résultats des tests : « Il n‘existe actuellement qu’un seul médicament duquel nous pensons qu’il pourrait avoir une réelle efficacité, le remdesivir. »

En France, si l’Inserm a fini par inclure l’hydroxychloroquine dans ses essais, ce n’est pour l’administrer qu’à des patients en détresse respiratoire. À l’inverse des recommandations Raoult que l’Italie a décidé de suivre : l’hydroxychloroquine y est prescrite aux patients ayant des signes débutants. C’est ce qu’explique le docteur Pierluigi Bartoletti, vice président de la Fédération italienne des médecins généralistes, au Corriere della Sera : « Nous venons de comprendre que le virus a une évolution en deux phases, et que c’est au cours de la seconde, après quelques jours (une semaine environ), que la situation peut brutalement, en 24 ou 48 heures, s’aggraver et conduire à une insuffisance respiratoire réclamant des soins intensifs. Les résultats que nous commençons à accumuler suggèrent que l’hydroxychloroquine administrée tôt, donne la possibilité d’éviter cette évolution à une majorité de patients et de désencombrer les salles de réanimation ». En attendant que la science se prononce, la guerre contre le Covid-19 continue…

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Précision de Aquilino Morelle suite à la publication de l’article :

 » Si j’ai effectivement de l’amitié et de l’estime pour Didier Tabuteau, même si je ne l’ai vu que très rarement depuis une quinzaine d’années, je ne connais pas Jérôme Salomon et ne suis pas proche de Martin Hirsch. Quant à Bernard Kouchner, ma collaboration avec lui remonte à … 1993. »

 

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