Comment la Poste déserte ses missions de service public en pleine crise

https://www.ifrap.org/

07 avril 2020 • Samuel-Frédéric Servière

La Poste constitue aujourd’hui un lien indispensable pour assurer le fonctionnement de l’économie (82% du courrier relève des relations inter-entreprises et 15% entre particuliers et entreprises) qui continue à poursuivre ses activités, mais aussi pour les administrations dans leurs fonctions régaliennes et d’urgence sanitaire ainsi que les particuliers et notamment les plus fragiles, s’agissant du paiement des minima sociaux et des activités bancaires. Pourtant le plan de continuité d’activité de l’entreprise peut susciter un grand nombre d’interrogations, car contrairement à 1940, l’entreprise qui se prévaut de disposer de missions spécifiques de service public peine à assurer le service que l’on serait en droit d’attendre d’elle. En sortie de crise cette attitude devra être analysée en détail et des décisions politiques la concernant ne pourront manquer d’intervenir.

Forte de 251.000 salariés, la Poste dispose également de 17.000 points[1] de contact et de 8.000 agences physiques. Pourtant, face à l’épidémie de Covid-19, ceux-ci assurent maintenant une activité terriblement réduite. Fin mars 2020 seuls 1.600 n’avaient pas baissé le rideau[2], alors même que leur activité venait d’être drastiquement réduite : ouverts avec des modulations territoriales, uniquement le mercredi, le jeudi et le vendredi au public, tout en tentant de maintenir le service aux personnes qu’elle déploie désormais (visites aux personnes âgées, portage de repas à domicile, etc.). L’entreprise explique que compte tenu de l’exposition au virus des postiers, il vaut mieux réduire fortement l’activité pour réussir ensuite à faire tourner les effectifs. Soit ! Mais les chiffres fournis laissent apparaître une autre image bien moins flatteuse :

  • Le droit de retrait : sur les 251.000 salariés, le droit de retrait représenterait moins de 2% des salariés parmi les postiers (soit moins de 700 sur les 35.200 agents travaillant dans les bureaux de poste stricto sensu). Pourtant la fédération SUD PTT fait état « d’au moins 10.000 droits de retraits » exercés[3] ;
  • Le taux d’absentéisme : lui est très élevé, puisqu’on relève 25% au niveau national pour les activités courrier. S’alignant sur celui par exemple d’EDF en la matière[4]. Ce taux forcément important bien que très variable suivant les territoires, doit être mis en relation avec la politique d’accueil dans les Ecoles des personnels jugés « prioritaires ». Ce qui est étonnant c’est que bien qu’assurant un service public que l’on peut juger essentiel (tant côté courrier, que côté banque), les personnels de la Poste n’ont pas été placés sur cette liste[5] ;
  • La recomposition des équipes et de l’organisation du service : ces mesures sont inévitables afin que l’entreprise se consacre à ses missions prioritaires et que les personnels puissent travailler dans des conditions « optimales ». La direction aurait ainsi pris position sur la limitation à 50% des effectifs habituels présents sur chaque site[6].

Attention à l’effet d’éviction par « dons de masques » : Cependant, la Poste, s’agissant des masques la Poste, subit un effet domino : la Poste a ainsi fait don d’un stock de 300.000 masques aux forces de l’ordre du ministère de l’Intérieur après LVMH et Bouygues, en soutien rapide au million de masques commandés en Chine par la Place Beauvau[7].  L’attitude est civique, mais elle impacte également la propre mission de service public essentiel de l’entreprise. Pourtant, la non utilisation partielle ou totale d’un stock stratégique de 24 millions de masques possédé par l’entreprise, fait aujourd’hui débat[8].

Enfin, l’activisme syndical qui ne diminue pas pendant la crise de Covid-19. La « réduction » du plan de continuité de l’entreprise ferait également suite à l’assignation en justice de l’employeur par un syndicat s’agissant des conditions d’exercice des missions. Il n’y a donc pas dans l’entreprise et dans le cadre de l’urgence sanitaire « d’union sacrée syndicale » pour l’effort de guerre. Résultat on se retrouvait fin mars avec 10% de son réseau ouvert (rapporté aux points de contact) contre 75% des guichets bancaires privés[9].

Visiblement le gouvernement a effectué d’insistantes pressions pour que le volume d’activité augmente rapidement puisque la Poste annonce pour le lundi 6 avril l’ouverture de 250 bureaux supplémentaires portant le nombre de points d’accès courriers et bancaires à 1.850 pour une durée limitée. Pour parvenir à ce résultat l’entreprise devrait s’appuyer sur des volontaires, des intérimaires et des CDD. Elle a été rappelée à l’ordre par la réalité :

  • Elle a tout d’abord été saisie par le Groupe Centre France en colère contre le choix initial de La Poste de réduire la distribution du courrier à 3 jours, voire de la supprimer dans certaines zones ;
  • Elle doit faire face en avril au paiement des échéances des minima sociaux (dont le versement a été accéléré au samedi 4 avril au lieu du 7 en raison de l’état d’urgence) : en effet, près de 50% des allocataires sur 5 millions (RSA, AAH, etc.) sont domiciliés à LA POSTE et 2/3 (1,5 million) ne disposent pas de cartes de retrait. La relation physique est indispensable, ce qui accroît encore la fracture numérique et significativement dans les territoires les plus isolés (dont ruraux).

Conclusion

La crise du Covid-19 constitue donc une loupe grossissante sur les angles morts ou les insuffisances des services publics essentiels (publics ou privés). Pour la Poste la question est particulièrement criante :

  • La numérisation de ses services est très imparfaite ;
  • La réalité des prestations « au dernier kilomètre » font montre de leur inapplicabilité. Si des postiers munis de terminaux mobiles pouvaient prendre contact directement avec les particuliers et les entreprises, la question des guichets physiques ne se poserait pas ;
  • L’impréparation s’agissant des stocks de masques a abouti à dépouiller l’entreprise au risque de menacer la continuité de son propre service essentiel (alors que la polémique sur un stock stratégique datant de 2009 resurgit) ;
  • Les plans de continuité d’activité en « cas de crise » semblent également à revoir puisqu’en pratique l’activité a drastiquement chuté, au détriment des particuliers, mais aussi des entreprises qui continuent leur activité ;
  • L’activité colis est très réduite alors même que le Covid-19 aurait mérité un plus grand recours aux plateformes d’achats en ligne pour « soutenir » la demande. Les syndicats n’ayant pas à se préoccuper de savoir si les colis envoyés sont « essentiels ou non » ;
  • L’attribution de cartes de retrait spécifiques pour les minima sociaux, devrait être étudiée afin d’éviter les engorgements inévitables constatés lundi 6 avril à l’ouverture des guichets de poste pour les 1,5 million de bénéficiaires détenteurs de comptes postaux sans carte bancaire ;
  • La disruption est en marche, les pouvoirs publics devraient en titrer toutes les conséquences en fin de crise.

[1] https://www.moneyvox.fr/actu/77938/la-poste-maintenir-les-17000-points-de-contacts-malgre-la-revolution-numerique. Notons par ailleurs que les activités courrier entre particuliers sont aujourd’hui résiduelles, de l’ordre de 3% du courrier acheminé par l’opérateur.

[5] https://www.banquedesterritoires.fr/de-nouvelles-regles-pour-laccueil-des-enfants-des-personnels-impliques-dans-la-crise-sanitaire, d’ailleurs les exécutifs locaux ont été obligés de pratiquer de facto l’intégration des policiers municipaux en tant que dernier maillon de contrôle du confinement, mais visiblement les « postiers » ne faisaient pas partie de l’équation.

 

Ce champ est nécessaire.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*