L’état d’urgence sanitaire va disparaître, pas sa disposition la plus sensible
En maintenant la possibilité de limiter ou d’interdire les rassemblements jusqu’au mois de novembre, le gouvernement menace d’entraver le droit de manifester.
POLITIQUE – Nous y sommes. Le “régime d’exception” mis en place dans la lutte contre le coronavirus vit ses derniers jours. C’est en tout cas ce qu’a fait savoir Matignon en amont du Conseil des ministres de ce mercredi 10 juin, où le “projet de loi organisant la fin de l’état d’urgence sanitaire” était inscrit à l’ordre du jour.
Entré en vigueur le 24 mars et prolongé une première fois jusqu’au 10 juillet, l’état d’urgence ne sera pas reconduit en raison, notamment, de “l’évolution à ce stade positive de la situation sanitaire”, selon Matignon. De quoi prévoir un retour à la normale une fois ce délai expiré? Pas vraiment. Car le gouvernement souhaite conserver quelques “outils” autorisés jusqu’ici par l’état d’urgence, au cas où le pays connaîtrait une seconde vague épidémique.
Et parmi ceux-ci, la possibilité pour Édouard Philippe “de limiter ou d’interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature”. Ce qui, sur le plan purement épidémiologique, peut s’entendre. Mais à l’heure où des manifestations se multiplient sur le territoire, cette disposition pose question, puisque la possible restriction de la liberté de se réunir entrerait de fait, certes sur une durée limitée à quatre mois, dans le droit commun.
Prétexte
Au sein du monde politique, cette disposition interroge. “Là, en réalité, ils suppriment l’état d’urgence pour remettre une autre forme d’état d’urgence, et ils l’inscrivent dans la loi”, a pointé la présidente du RN Marine Le Pen sur France inter. Députée insoumise de Seine-Saint-Denis, Danielle Obono considère pour sa part que cette initiative marque un nouveau pas vers la “démocrature”.
Ce que déplorent également plusieurs associations. Ce mercredi, un ensemble d’organisations, de la CGT à Attac en passant par la Ligue des Droits de l’Homme et le syndicat des avocats de France, appellent au “respect du droit de manifester”. Selon ces structures, des “sans-papiers sont poursuivis et les initiateurs des manifestations sont menacés par le préfet de police de Paris”.
″Émotion”
Car l’agenda social, lui aussi, se déconfine. Il y a une quinzaine de jours, des milliers de personnes (dont plusieurs élus) se sont réunies devant le site de l’usine Renault de Maubeuge. Jeudi 11 juin, le personnel soignant, via le Collectif interhospitalier, a prévu de manifester à Paris, où les rassemblements contre les violences policières se multiplient dans le sillage de l’affaire George Floyd aux États-Unis. Le Conseil d’État, qui a plusieurs fois rappelé le gouvernement à l’ordre durant la crise du covid-19, doit justement se pencher ce jeudi sur les interdictions de manifester après un recours déposé par plusieurs associations.
Du côté du gouvernement, on joue la carte du discernement, en assurant que l’idée n’est pas d’appliquer aveuglément l’interdiction de se rassembler. “Les manifestations ne sont pas [autorisées] dans les faits car il y a un décret du Premier ministre dans le cadre de la deuxième phase du déconfinement qui interdit les rassemblements de plus de dix personnes. Mais je crois que l’émotion mondiale, qui est une émotion saine sur ce sujet, dépasse au fond les règles juridiques qui s’appliquent’, a déclaré mardi Christophe Castaner, interrogé sur les rassemblements en hommage à George Floyd.
Une appréciation émotive (et donc arbitraire) du droit qui ne manque pas de faire bondir les juristes, déjà inquiets par la façon dont les libertés individuelles ont été malmenées durant le confinement. Et ce n’est pas le pouvoir donné au Premier ministre de limiter ou d’interdire les rassemblements par simple décret en Conseil des ministres qui devrait les rassurer.
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