Vous avez dit complotiste ?!
J’ai souligné dans mon dernier article mon inquiétude face au complotisme de la presse romande qui se met à voir partout des complotistes ourdissant de vilains complots dans la malveillante intention de faire fallacieusement croire que la version des autorités pourrait ne pas être aussi véridique qu’on a cherché à nous faire croire.
A défaut d’être dans l’argumentation (qui se craquèle en effet de partout comme un vieux plâtre défraîchi), reste la possibilité de dénigrer a priori. Toutes les étiquettes sont à vrai dire assez détestables lorsqu’elles servent à masquer la vacuité de la pensée et dénier à l’autre le droit à son opinion et même à sa réflexion. Le recours massif à ce piteux cache-misère en dit long sur un secteur aux abois. Sans s’en rendre compte, dépassée par les événements et la lecture médiocre qu’elle en a fait au long des mois, la presse tombe dans cela-même qu’elle dénonce.
Car le complotisme, le vrai, (pas l’étiquette commode que l’on colle pour éviter le débat) sert une fonction psychologique importante : redonner de la cohérence au chaos. Lorsque le réel paraît trop incohérent ou contradictoire, que l’intelligibilité vacille, imaginer un motif caché derrière les choses permet de redonner du sens, fut-il déraisonnable.
A voir les atermoiements et les mensonges d’état qui se sont succédé depuis des semaines, il peut être plus facile d’attribuer ce désastre révélateur de dysfonctionnements systémiques à Bill Gates qu’à la déliquescence de nos démocraties.
Et face à la démission de sa responsabilité de questionner et de faire office de contre-pouvoir, il est plus facile pour la presse qui s’est tant compromise à répercuter des descriptions fausses de l’épidémie d’attribuer à de vilains complostistes la remise en cause (dès lors injuste) de son travail qu’à sa propre duplicité…
Complotiste ou complotiste ?!
Nous devons alors aborder une autre question, centrale et importante.
Avec un questionnement socratique au préalable : lorsque le président des États-Unis, George W. Bush et son vice-président Dick Cheney envoyèrent le malheureux secrétaire d’État Colin Powell brandir de bonne foi[1] de fausses preuves devant l’assemblée générale des Nations-Unies pour « justifier » une déclaration de guerre illégale visant à s’emparer des champs de pétrole irakiens (et attribuer au passage de juteux contrats à quelques sociétés auxquels ils étaient liés par des conflits d’intérêt authentifiés plus tard par la justice américaine), étions-nous face à un complot ou non ?!
Si des questions comme celles-ci ne sont pas posées, nous ne pouvons pas traiter le sujet qui nous occupe ici sérieusement.
Je connais les théories complotistes, tout comme je connais la recherche -passionnante- en psychologie et en neurosciences sur les processus affectifs et cognitifs qu’elles impliquent[2].
Comme évoqué précédemment et sans évidemment entrer en détails dans la description de ces phénomènes, on peut relever quelques points saillants :
- La croyance en un complot simplifie la vie en donnant un axe qui la traverse en évacuant au passage l’incertitude, l’ambivalence, le paradoxe ainsi que le ressenti d’anxiété lié à un sentiment d’impuissance.
- Elle s’enferme dans des logiques auto-justificatrices (si vous ne croyez pas au complot c’est que vous en faites partie ou en êtes complices, ce qui prouverait si besoin était la réalité du complot.)
- Comme avec tout processus de rigidité cognitive, le psychisme repousse et rejette comme dangereux ou toxique tout ce qui diverge de sa logique. Il n’a plus d’yeux pour voir et d’oreilles pour entendre.
- L’évitement de l’altérité relationnelle ou cognitive conduit à des replis sur soi ou sur des groupes où chacun pense pareil.
A nommer cela, on voit bien je pense les dérives individuelles et groupales auxquelles cela peut conduire.
La question du complotisme tel que brandie par la RTS après d’autres médias concerne bien sûr autre chose : le soupçon que des vues divergentes ou critiques comme celles que j’ai énoncées au cours de cette crise s’enracinent dans des fantasmes ou même un délire de cet ordre.
Je me sens à vrai dire très libre face à cela. D’abord (et ça participe je crois à sa noblesse) parce que ma discipline, l’anthropologie, s’intéresse par définition à l’univers de l’autre et des autres. L’ouverture à l’inattendu, au différent, au dérangeant nous est chevillé au corps et à l’esprit. Vous aurez peine à trouver personne plus ouverte à la contradiction qu’un anthropologue digne de ce nom.
En ce qui me concerne, j’adore les contre-arguments car ils nous forcent à penser : si je trouve une bonne réponse à une objection, cela aura renforcé à la fois mon hypothèse et mon argumentation. Si je ne la trouve pas, c’est qu’il faut chercher encore. Et si en définitive il n’y en a pas, alors vient le temps du deuil d’une idée qu’on s’était faite et à laquelle il importe de renoncer.
Voyez, je ne dis pas simplement « eh bien, on change d’avis ! » : c’est plus profond et complexe que cela. Nos croyances et opinions constituent notre paysage intérieur, notre maison du dedans avec son territoire autour. Changer de conviction est une aventure en partie âpre et douloureuse mais toujours salutaire lorsque le réel l’impose.
Alors allons droit au but : est-ce que je crois qu’il y a un complot derrière ce que nous avons vécu avec le Covid ?
Complot ou pas complot ?
J’aime cette parole attribuée à Michel Rocard : « Il vaut toujours mieux privilégier l’hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante, le complot demande un esprit rare. »
Mais je ne suis au fond pas entièrement en accord avec cette phrase : à défaut de croire à un complot, je crois à des complots simplement parce que notre modèle de société accorde d’énormes facilités et laisse le champ libre à des sociétés et des personnes qui dévoient de manière crapuleuse les règles du jeu de notre « état de droit » dans la poursuite de buts malhonnêtes.
- Je sais comment nos « démocraties » ont ourdi des coups d’état à travers le monde pour dézinguer des gouvernements élus et imposer des dictatures conformes à leurs intérêts.
- Je sais que les inégalités sont partout organisées, entretenues et protégées.
- Je sais que des gens avides de pouvoir et d’avantages ont un avantage compétitif pour accéder aux plus hautes responsabilités -même s’il y a d’heureux contre-exemples.
- Je sais les complaisances, les myopies, les complicités et les basses œuvres de bien des acteurs sensés servir l’intérêt public et qui le trahissent peu ou prou.
- Je sais que les plus grosses entreprises au monde ne paient pas d’impôt alors que chaque honnête travailleur y est soumis.
- Je sais que les pharmas, avec la complicité des états, mettent sur le marché des médicaments sans bénéfice thérapeutique avéré, certains d’entre eux toxiques ou simplement hors de prix.
- Je sais que le complexe militaro-industriel infiltre et manipule nos politiques étrangères pour qu’elles déclenchent des guerres au profit de ces marchands de mort.
- Je sais que nos soi-disant états de droit ont cautionné, caché et participé à l’enlèvement, la torture et les assassinats extra-judiciaires de personnes privées de tous droits.
- Je sais que le gouvernement français a récemment réprimé des manifestations pacifiques dans la violence et le sang, avec de jeunes femmes et de jeunes hommes mutilés à vie d’un œil ou d’une main pour avoir fait usage de leur liberté de manifestation et d’opinion.
- Je sais que le même gouvernement a organisé un déni de justice en demandant aux parquets de réprimer aveuglément des prévenus en masse, avec une exonération à la même mesure pour les auteurs d’exactions et de violences policières.
- Je sais que nous détruisons la planète, les peuples et la dignité humaine pour assouvir la voracité sans fin d’industries devenues criminelles.
Alors, est-ce que je crois au complot ?
Pas forcément au grand complot généralisé, avec des Illuminati ou des Bildenberg se rencontrant en ricanant dans un palace ou un sous-sol et donnant des instructions aux journalistes-pantins de nos organes de presse.
Mais aux complots : tu parles !
Et avec ici comme souvent la question incertaine de l’intentionnalité délibérée : on peut en effet tabler sur les intérêts douteux et la mauvaise foi systémique d’acteurs plus ou moins gravement dévoyés, hypothèse probablement suffisante.
En ce qui concerne la crise du Covid, il est difficile à ce stade de ne pas comprendre comment les dés étaient de toute manière pipés d’une manière qui ne laissait aucune chance à l’émergence d’une gestion saine de la situation.
La mise en échec du seul traitement disponible dont (après le minable scandale du Lancet) les essais venant de toutes parts attestent de plus en plus qu’il est bel et bien efficace en est un exemple à grande échelle.
Quand la population entière se retrouve enfermée chez elle alors que soigner les personnes malades avant qu’elle soient à l’article de la mort devient anormal, empêché ou même interdit par les autorités -avec la presse comme relais de propagande- nous avons du souci à nous faire sur les points cardinaux qu’il nous reste.
Surtout quand le perseverare se substitue à l’analyse éclairée et à l’inventaire, comme si l’entêtement aveugle et l’insulte envers ceux qui pensent différemment pouvait suffire à masquer la gravité du problème.
[1] Premier général et premier secrétaire d’état de couleur aux Etats-Unis, cet honnête homme ne se remit jamais d’avoir été instrumentalisé et manipulé à des fins crapuleuses par son propre pays.
[2]Van Prooijen JW & Douglas KM, Belief in conspiracy theories: Basic principles of an emerging research domain, European Journal of Social Psychology48(2018) 897–908, 2018
Goreis A & Voracek M, A Systematic Review and Meta-Analysis of Psychological Research on Conspiracy Beliefs: Field Characteristics, Measurement Instruments, and Associations With Personality Traits, Front. Psychol., 11 February 2019
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