L’Humanité, 22 juillet 2020
Et si la population était bien fondée à réclamer une dotation gratuite en masques, en vertu de l’article 11 du préambule de la Constitution ?
Et si le masque était un dû ? Alors que le port de cet équipement est devenu obligatoire cette semaine dans les lieux clos, la question de sa gratuité se pose, son renouvellement pouvant peser lourd pour les foyers les plus modestes. C’est une question de santé publique, de justice sociale, mais aussi… de constitutionnalité, comme le souligne l’avocat au barreau de Paris Jean-Paul Teissonnière. Ce spécialiste du droit social et de la santé-sécurité des travailleurs lie directement ce point à l’article 11 du préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie intégrante de notre droit actuel. « Le texte prévoit que l’État garantit à tous la protection de la santé », expliquait-il dans une interview vidéo accordée à l’Humanité le 26 mai. « Ce texte vise expressément les plus fragiles (les mères, les enfants, les personnes âgées), montrant bien la préoccupation des auteurs de la Constitution, qui était la protection des plus fragiles. »
Pointant le « choix désastreux » du gouvernement en matière de « santé publique » dans la gestion de la crise, l’avocat estime d’ailleurs qu’il y a « des parties entières de populations, parmi les plus fragiles, qui sont à la merci de danger extrêmement grave ». Fournir des masques gratuitement et de manière obligatoire ne paraît donc pas extravagant, loin de là… D’autant que si le coût d’un masque n’est pas très élevé, son renouvellement « devient pratiquement inaccessible pour certaines catégories de la population », reconnaît Me Teissonnière. « C’est à cette rupture d’égalité entre citoyens que le gouvernement doit veiller. » « Il appartient à l’État de mettre en œuvre la politique publique permettant de garantir ce droit à la santé, et notamment des plus fragiles. » Si on poursuit ce raisonnement, si une personne venait à contracter le Covid-19 faute d’avoir pu accéder à des masques de protection, l’État pourrait-il être jugé responsable d’une mise en danger de la vie d’autrui ? La question mérite d’être posée…
Sachant que ce droit à la santé existe, notamment dans le domaine de la sûreté nucléaire. En cas de situation d’urgence, un dispositif prévoit, dans un rayon de 10 km autour des centrales, que les pharmacies puissent distribuer des capsules d’iode à la population. Des capsules qui sont stockées et renouvelées en permanence. Cet exemple illustre qu’en « cas de risque potentiellement important et mortel, l’État sait prendre des mesures, y compris financières, de manière à ce que la population soit protégée », relève l’avocat. Et ce, sans aucune contrepartie financière de la population elle-même. « On peut faire le parallèle avec les masques, concluait Jean-Paul Teissonnière. Pourquoi ce qui existe dans le domaine de la sûreté nucléaire n’existerait pas dans le domaine de la sécurité des citoyens en matière de pandémie ? »
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