10h50 : Didier, Joaquim et moi sommes à la place Wagram où doit se tenir en début d’après-midi une manifestation pour le RIC. C’est pour cela que nous avons pris le train si tôt à Chateauroux.
Lorsque nous arrivons il y a des CRS déployés à chaque angle de rue, mais les manifestants sont encore peu nombreux. Alors nous remontons l’avenue de Wagram jusqu’à la place de l’étoile, puisque nous avons du temps.
La place est calme, cerclée par des CRS mais ouverte. Nous allons sur l’avenue des Champs-Elysées, qui elle aussi est calme, les touristes et Parisiens se promènent par petits groupes.
Il est 11h à peine passées, les bancs sont libres alors nous en profitons pour nous asseoir et déjeuner pour l’un de nous.
Arrive vers nous une brigade de gendarmes pour un contrôle d’identité. Nous avons obtempéré sans protestation, attitude que nous avons globalement conservée lors de la suite des événements, en présentant chacun notre pièce d’identité. Ils vérifient, puis photographient nos cartes d’identité. Je leur demande alors pourquoi la photographie. Ils me répondent que c’est pour vérifier avec le fichier TAJ ( traitements d’antécédents judiciaires )
Ils nous demandent alors d’ouvrir nos sacs. Ils fixent sur mon casque de ski, mes lunettes de piscine et une banderole jaune. Un gendarme me demande ce qui est écrit sur la banderole, et je réponds « frexit ». Mes camarades ont un gilet jaune pour l’un, et un casque de vélo, un masque ffp3 et des lunettes de piscine pour l’autre. Un gendarme me dit que le casque est illégal. Etant donné qu’un décathlon est ouvert à moins de 100 mètres je lui réponds : « c’est une blague ? » ; mais pour lui non, pas du tout.
Les gendarmes nous demandent si nous avions l’intention d’aller à une manifestation, et nous assumons notre intention. C’est une manifestation déclarée, ça ne devrait pas poser de problème.
Les gendarmes nous demandent alors de les suivre aux fourgons positionnés au pied de l’Arc de triomphe. Ils remplissent alors des documents dans un fourgon, les sacs ouverts à nos pieds. Pendant qu’ils vérifient nos adresses d’autres hommes interpelés nous rejoignent.
Un drone piloté par les gendarmes se pose et décolle à plusieurs reprises à quelques mètres de nous.
L’usage de nos téléphones leur pose déjà problème.
Je signale alors à un gendarme s’il est conscient que ce qu’il fait c’est remplir un fichier d’opposants politiques. Il me répond sèchement : « peut-être ».
12 h : ils nous transfèrent au commissariat, sans autre indication. Nous rentrons tous les trois dans le fourgon sans nos sacs. Puis 4 autres hommes entrent à leur tour un peu après, dont un skater, dommage collatéral !
Je regarde par la petite grille du fourgon pour avertir nos proches de notre destination : le 75 rue de la faisanderie dans le XVIème arrondissement.
Nous traversons une petite haie d’honneur de scooters sans doute volés posés là et restons quelques minutes dans la cour. La police prend alors le relai de la gendarmerie, et nous salue par un « bonjour messieurs » !
Les policiers nous font entrer dans une pièce rectangulaire composée de 2 cellules de garde à vue, dont une occupée, d’un recoin servant de bureau aux deux policiers de permanence, et d’un banc avec des menottes pendantes où en nous serrant nous tenons finalement tous les sept. Les lieux sont à la limite de l’insalubrité. Sur le mur derrière le bureau un smiley a été dessiné à l’éponge tellement le mur est crasseux. Payer autant d’impôts pour que nos fonctionnaires accueillent les citoyens dans de telles poubelles ! Et que trouve-t-on dans les poubelles ?… Comment respecter son prochain et soi-même dans pareil environnement ?!?
Les sacs sont déposés à nos pieds, avec les objets apparemment contestés sortis par terre.
Un officier de police judiciaire nous appelle un par un pour nous identifier. Puis il appelle un nom que personne ne reconnaît. Après plusieurs essais il appelle par le prénom et le nom en m’apostrophant « c’est toi ou c’est pas toi ? » puisque je suis la seule femme. Alors oui c’est mon prénom, mais pas mon nom. Et là ça va commencer à dégénérer, il s’agace en insistant sur un nom déformé qui n’est pas le mien sans me montrer le document qu’il a sous les yeux. Il finit par me montrer un bout du papier qu’il tient où est inscrit le nom litigieux, et je vois le reste de l’orthographe qui correspond à mon nom de jeune fille, la première lettre n’est pas très bien écrite. Je confirme alors que c’est moi. Il est agacé et me dit alors qu’il faut le dire. Je lui réponds que je ne sais pas, je n’ai jamais vu ce document. A quoi il me répond que nul n’est censé ignorer la loi. Je lui réponds que ça n’a rien à voir, je ne sais pas ce qui est écrit sur ce papier que je n’ai jamais vu, le nom qu’il donnait n’est pas le mien, j’ai donné ma carte d’identité avec mon nom dessus. Il me répond que les cartes sont là-haut, me dit que ça suffit et me menace alors de garde à vue si je continue, que lui il s’en fiche il a le temps. Je lui réponds que c’est fort une garde à vue à cause d’un document que je ne connais pas, mal écrit par son collègue gendarme alors qu’ils ont ma carte d’identité. Il me répond : « c’est bon, toi c’est garde à vue ! ». Je lui rétorque que de toutes façons c’était joué d’avance, qu’il avait décidé ça dès le départ, me souvenant en moi-même le « bonjour messieurs » de l’arrivée. Il répond « non pas du tout » et poursuit sa procédure puis sort par le fond de la pièce, où nous pouvons voir un lavabo et un radiateur en très mauvais état. Cet endroit est vraiment très glauque.
Au bout d’un certain temps l’officier de police judiciaire revient avec une autre policière, et elle résume qu’elle a donc 7 auditions libres à préparer. La policière de permanence acte que c’est auditions libres pour tous ; l’officier de police judiciaire se retourne vers moi et me dit « même pour toi, tu vois je ne suis pas rancunier ». S’il attend un remerciement il a le temps de vieillir !
Puis nous avons attendu qu’il revienne nous distribuer nos procès-verbaux de convocation en vue d’une audition libre. Mes camarades et moi sommes convoqués les 21,22 et 24 septembre dans ces mêmes locaux (oh non pas ça !!! ) au motif suivant : « Que dans le cadre de l’enquête susvisée, il est soupçonné d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction de PARTICIPATION A UN GROUPEMENT EN VUE DE LA PREPARATION DE VIOLENCES CONTRE LES PERSONNES OU DE DESTRUCTIONS OU DEGRADATIONS DE BIENS, LORS DE MANIFESTATION SUR LA VOIE PUBLIQUE à PARIS LE 12/09/2020. »
L’homme au skate-board, dit le dommage collatéral, est alors le seul à être libéré.
En dehors de lui nous ne pouvons pas encore partir, nos effets personnels doivent être photographiés.
L’usage des téléphones nous est interdit, bien que nous ne soyons pas en état d’arrestation.
Quelqu’un demande pourquoi on est là, la policière de permanence lui répond que c’est politique.
Une policière entreprend de nous photographier en simulant très approximativement notre posture au moment de l’interpellation. Tous les trois nous étions assis, masqués, sacs fermés sur les genoux lors du « contrôle d’identité » et nous sommes photographiés debout, le sac sur le dos. Vraiment très approximative la posture… Puis elle photographie nos effets et nous les rend.
On nous a fait attendre encore jusqu’à ce qu’une autre policière (qui est restée sans masque tout du long) nous fasse à nouveau vider nos sacs et demande à sa collègue photographe de prendre de nouveaux clichés des objets soi-disant litigieux qu’elle a dit devoir confisquer.
Je demande alors à la policière chargée de photographier s’il y a un document qui nous sera remis établissant les objets qui nous sont pris. Elle me répond que tout sera dans les pièces du dossier le jour de l’audition libre. Je lui demande pourquoi ces objets sont confisqués, elle me répond que ce sont les ordres.
Nous attendons encore. Finalement les policiers de permanence reçoivent un appel les autorisant à nous libérer.
Nos cartes d’identité nous sont rendues.
Il est 14h25 lorsque nous sommes sortis du SAIP.
Quelques jours sont passés et il nous faut nous préparer aux auditions. Financièrement ce déplacement est une pénalité de plus pour nous. Des conseils que nous avons pu obtenir de collectifs et d’avocats nous ferions mieux de ne pas nous présenter à l’audition libre. Les probabilités que nous fassions l’objet d’un mandat d’arrêt sont quasi nulles, alors nous devrions laisser courir. Oui mais alors ça entérine les abus de pouvoir des forces de l’ordre, lesquels empirent très dangereusement à chaque manifestation.
Alors écoutons-nous sagement les conseils ? Si nous sommes encore révoltés après bientôt deux ans de persécutions et de mépris, est-ce vraiment pour baisser la tête maintenant ? Désormais nous avons tous les trois un choix à faire.
Pourvu que tout cela s’effondre pour vous, pour toi Magali.
Quant à la répression politique, elle est parfaitement illégale mais tellement assumée par ce malfaiteurs au pouvoir que cela n’étonne plus.
Mais on va réussir à nous libérer !