Malgré le solide filet de sécurité déployé pour protéger les ménages, la précarité augmente. Mais le gouvernement hésite à sortir à nouveau le carnet de chèque.
Début octobre, les associations comme la Fondation Abbé-Pierre, Médecins du monde, le Secours catholique, ATD Quart-Monde, ou encore Emmaüs ont sonné l’alarme auprès du Premier ministre Jean Castex. Selon leurs estimations, 1 million de personnes supplémentaires auraient basculé dans la pauvreté en 2020 alors que la France comptait déjà 9,3 millions de personnes pauvres en 2018 selon l’Insee*. Le Secours populaire affirme que ses bénévoles « font face à une augmentation soudaine allant de 15 à 50 % dans certains départements ». Les travailleurs précaires, les personnes en fin de droits, les jeunes, les personnes âgées et celles déboutées du droit d’asile seraient en première ligne.
Lire aussi Les 10 % des ménages les plus aisés ont accumulé la moitié du surplus d’épargne
La solution n’est pas une allocation trappe à pauvreté
De fait, le modèle social français couvre très efficacement les personnes en contrat à durée indéterminée, qui ont droit au chômage jusqu’à deux ans (voire trois pour les seniors) et ont pu bénéficier du bouclier de l’activité partielle. Mais il subsiste des trous dans la raquette : les « outsiders » du marché du travail, ceux qui ont perdu leur emploi en premier, parce que titulaires de CDD ou en intérim ou indépendants. Il y a aussi tous les étudiants qui ne trouvent plus les petits jobs, parfois au noir, qui leur permettaient de joindre les deux bouts comme les baby-sittings.
Lire aussi Pourquoi il faut relativiser l’augmentation des inégalités et de la pauvreté
Sous pression, le gouvernement prépare de nouvelles mesures. Elles devraient être annoncées samedi, Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, a déclaré le Premier ministre, Jean Castex. À moins qu’elles ne soient avancées lorsque Emmanuel Macron lui-même prendra la parole pour évoquer la gravité de la situation sanitaire, mercredi soir, à la télévision.
Lire aussi L’absurde débat sur les contreparties au plan de relance
Le Premier ministre semble plutôt vouloir prendre des mesures plus « structurelles », censées muscler les dispositifs « d’insertion », sur le modèle de la stratégie de prévention et de lutte anti-pauvreté annoncée par Emmanuel Macron en septembre 2018 et dotée de 8 milliards d’euros d’ici la fin du quinquennat. La meilleure protection contre la pauvreté, c’est l’emploi, martèle le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire. Cette stratégie prévoyait, parmi beaucoup d’autres mesures, un coup de pouce de l’État pour les communes « fragiles » qui financeraient des repas à un euro dans les cantines scolaires pour les plus modestes ou encore des petits-déjeuners gratuits à l’école dans les zones d’éducation prioritaire. Une stratégie mise à mal par le confinement.
1,9 milliard d’euros investis
À Bercy, on se défend par avance de n’avoir pas agi suffisamment face à la multiplication des critiques de l’opposition de gauche et aux appels à des gestes en faveur des ménages modestes. « Au total, plus de 1,9 milliard de soutien direct aux personnes précaires » ont été investis, rappelle-t-on à ceux qui dénoncent des crédits ridiculement faibles au regard du plan de relance de 100 milliards d’euros. 880 millions d’euros ont notamment été dépensés dès le 15 mai, pour financer une aide exceptionnelle. Quatre millions de foyers titulaires du RSA ou de l’allocation spécifique de solidarité ont touché une prime de 150 euros majorée de 100 euros par enfant. En juin, ce sont 200 euros qui ont été versés à 800 000 jeunes et étudiants précaires pour 160 millions d’euros. Plus d’un demi-milliard a ensuite été débloqué pour augmenter la prime de rentrée scolaire versée aux familles modestes. Quant aux associations d’aide alimentaire, elles ont touché 100 millions d’euros supplémentaires et la même somme a été débloquée pour l’hébergement d’urgence des SDF. Les associations de lutte contre la pauvreté ont elles aussi touché 100 millions d’euros. Enfin, les étudiants boursiers bénéficient d’un repas universitaire à un euro contre plus de 3 euros normalement.
Face à cette réalité, nombreux sont les acteurs de la lutte contre la pauvreté qui ont réclamé l’ouverture du RSA aux moins de 25 ans qui n’y ont droit qu’à des conditions bien plus restrictives que celles imposées à leurs aînés.
Les limites du « quoi qu’il en coûte »
Ceux qui s’attendent à ce que l’État ouvre largement son carnet de chèques seront donc déçus, d’autant qu’il faut aussi prendre des mesures de soutien aux entreprises face aux nouvelles mesures de restriction sanitaire. L’élargissement du fonds de solidarité aux entreprises de 50 salariés dans le secteur du tourisme pourrait coûter 500 millions d’euros par mois jusqu’à décembre…
L’exécutif n’exclut pas pour autant de prendre une nouvelle mesure exceptionnelle d’ici la fin de l’année. Mais selon nos informations, la décision n’est toujours pas arbitrée. Certains plaident, au gouvernement, pour attendre de voir qu’elle sera la situation économique après les fêtes avant de calibrer une mesure sans dégrader trop la situation budgétaire, tant l’incertitude est grande. Le déficit attendu est déjà abyssal, à 10,2 % du PIB. Le « quoi qu’il en coûte » commence à montrer ses limites, surtout devant le risque de voir le pays se retrouver dans une situation sanitaire bien pire que celle de ses voisins, ce qui pourrait susciter l’inquiétude sur sa capacité à rebondir.
Vers un chèque vert ?
Si mesure il y a, ce qui est tout de même le plus probable, elle pourrait prendre la forme d’un « chèque vert ». Un peu à la manière des titres-restaurants, il ne pourrait être dépensé que pour acheter des produits non polluants et/ou fabriqués (au moins en partie) en France, comme recommandé par le Conseil d’analyse économique. Une idée reprise par le rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, Laurent Saint-Martin. Si elle était confirmée, sous une forme ou sous une autre, cette mesure pourrait cibler les étudiants, les jeunes actifs et les familles, notamment monoparentales. Elle serait intégrée au budget de clôture des comptes pour 2020, plutôt que dans le projet de loi de finances 2021, en cours d’examen au Parlement. Cela aurait l’avantage de permettre d’ouvrir des crédits dès cette année. Mais le gouvernement s’exposerait aux critiques sur son manque de réactivité sur ce sujet, l’examen ne devant pas débuter avant début novembre.
*Attention, toutefois, à ne pas trop noircir le tableau non plus, car le seuil de pauvreté représente 60 % du revenu médian, contre 50 % avant 2008, ce qui représente 1 063 euros pour une personne seule. C’est pourquoi l’Insee mesure également l’intensité de la pauvreté dont le niveau était stable en 2018.
Poster un Commentaire