Marathon CNews : 25 heures en enfer cathodique

CQFD (mensuel de critique et d’expérimentations sociales), 12 novembre 2020

On pensait avoir trouvé une bonne idée : se confronter le temps d’une longue journée aux programmes de la chaîne d’information la plus réactionnaire de France. Et puis on est passés à l’acte, organisant un « marathon CNews » au local de CQFD. Entre misère journalistique et continuelle propagande d’extrême droite, récit d’un chemin de croix, suivi d’un entretien avec le journaliste Samuel Gontier.

Ce lundi soir, il règne une étrange ambiance dans le local de CQFD. Un écran est posé sur la table de la cuisine. Depuis le vieux canapé de cuir et quelques chaises pliantes, nous sommes six à le regarder, non sans appréhension. Car le spectacle va commencer. Au programme : 25 heures devant CNews, chaîne d’info privée ultra-réactionnaire aux courbes d’audience galopantes. L’idée : disséquer le quotidien des programmes de cette succursale de Canal +, au-delà des courtes vidéos qui relayent les plus odieuses saillies verbales de ses éditorialistes sur les réseaux sociaux.

Anciennement nommée I-Télé, CNews s’est faite porte-voix, entre autres joyeusetés, du racisme le plus décomplexé. Éric Zemmour y officie ainsi quatre fois par semaine dans l’émission Face à l’info présentée par Christine Kelly. C’est dans ce cadre qu’il a éructé cette considération sur les mineurs étrangers isolés, le 29 septembre dernier : « Ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs. C’est tout ce qu’ils sont. » Un dérapage ? Non, une tradition chez cet admirateur du général Bugeaud [1], qui le 31 août dernier balançait au sujet d’agressions estivales : « On sait que les victimes s’appellent Mélanie et les assassins Youssef. »

Embauché en 2019 par l’homme d’affaires Vincent Bolloré, propriétaire du groupe Canal +, le polémiste d’extrême droite est le fer de lance de la stratégie à droite toute de la chaîne. Mais il est loin d’être le seul à clapoter dans des eaux politiques troubles, que ce soit parmi les invités ou les intervenants réguliers de la chaîne. Exemple entre cent, la patronne du très réac mensuel Causeur et chroniqueuse régulière de la chaîne, Élisabeth Lévy, allumée sauce pinard-saucisson s’illustrant régulièrement par son fiel envers les immigrés, les féministes et les tenants d’une société progressiste.

Après le meurtre de l’enseignant Samuel Paty le 16 octobre, la vague raciste a encore enflé sur la chaîne, implosant littéralement. De la députée européenne Nadine Morano déplorant la présence de femmes voilées dans sa circonscription à l’éditorialiste Guillaume Bigot appelant à la déportation des islamistes aux îles Kerguelen en passant par Élisabeth Lévy lâchant « Nous sommes ligotés par notre droit-de-l’hommisme », la logorrhée collective [2] n’avait qu’un objectif : taper sur les musulmans et ceux qui défendent leurs droits.

Loin de causer du tort à la chaîne, cette stratégie éditoriale semble au contraire porter ses fruits : les taux d’audience ne cessent de grimper. Cet été, CNews a dépassé LCI pour devenir la deuxième chaîne d’information française derrière BFM TV, caracolant régulièrement au-dessus de la barre des 500 000 téléspectateurs. Surtout, elle semble avoir une influence de plus en plus marquée sur le jeu politico-médiatique français, nivelant les débats par le bas, vers cette zone obsédée par un dit « ensauvagement » de la société – quand Darmanin décrit son rejet des rayons de nourriture « communautaire » dans les supermarchés, on se jurerait au beau milieu d’un débat sur CNews.

Voilà pourquoi on s’est retrouvés le lundi 26 octobre à 19 heures dans l’antre de CQFD pour un marathon télévisuel éprouvant. L’objectif : observer la bête en direct afin de comprendre ce qui se joue dans cet espace médiatique et les dispositifs qu’il mobilise. Conséquence de quoi : on s’est relayés pour ne rien rater, du début du Zemmour du lundi soir à la fin du Zemmour du mardi soir, pour un total de vingt-cinq (longues) heures, deux jours avant l’annonce du reconfinement, trois jours avant l’attentat de Nice. On vous en livre ici les moments marquants.

Lundi, 19 h — Musique oppressante, générique cheap, plateau moche et fonctionnel, on y est : Face à l’info commence, avec la falote présentatrice Christine Kelly aux commandes. Comme dans l’immense majorité des émissions de la chaîne, les débatteurs sont essentiellement de vieux mecs blancs, tandis que la présentatrice est cantonnée à un improbable rôle de complice mi-potiche mi-instit’. Outre Zemmour, il y a là trois spécimens : Régis Le Sommier, rédacteur adjoint de Paris Match qu’on entendra peu puisqu’il semble un peu moins frappadingue que les autres ; Harold Hyman, journaliste franco-américain farfelu à opinions et bretelles dérangeantes ; et Marc Menant, invraisemblable type à tête de vampire jauni issu du journalisme sportif. On comprend vite que ceux-ci ne serviront qu’à une chose : passer les plats à la star de la chaîne. Le sommaire évacué, le voilà ainsi invité à délivrer son premier « édito », consacré à la politique française dans le monde arabe, le président turc Erdogan ayant récemment traité Macron de malade mental. L’exercice dure une grosse vingtaine de minutes et se révèle particulièrement opaque. « La France est ciblée parce qu’elle est faible », regrette Zemmour, avant d’expliquer que la Chine, elle, a la chance de pouvoir massacrer les Ouïghours sans que personne ne moufte. Puis il s’embarque dans une valse de digressions loufoques, mêlant un Charles de Gaulle inspiré par le royaliste Charles Maurras aux écrits « extraordinaires » du collaborationniste Jacques Benoist-Méchin. Soudain apparaît Saint Louis. Puis le Quai d’Orsay en prend pour son grade : « On est passés des barbouzes du SAC et de Foccart à des juristes féministes  ! » L’ensemble est complètement incompréhensible, et au local comme sur le plateau, la question première semble être : de quoi parle-t-il  ?

19 h 21— Ils chahutent, ils s’amusent, ils minaudent – « Calmez-vous, les garçons », rigole Kelly. Cravate violette, veste grise, Zemmour appelle à imiter la Russie de Poutine et à « jouer des divisions du monde arabe ». Puis il réenfourche son cheval de bataille, extirpant de son discours confus la phrase qui pourra ensuite être reprise en boucle par médias et réseaux sociaux : « Il faut que l’immigration musulmane cesse d’être un poids sur nos épaules. » Suivent quelques vagues considérations sur les « traditions chrétiennes » bafouées, puis les minauderies reprennent. Ce marathon va être long.

19 h 48 — Le loufoque Marc Menant, rebaptisé Vampirello par nos soins tant son sourire est flippant, a droit à son numéro. Lyrique, il consacre une chronique à Gilles de Rais, camarade de baston de Jeanne d’Arc et serial killer médiéval. On ne comprend pas grand-chose, à part que papy est très excité et que la foule pleurait le jour de l’exécution du criminel. C’est un peu gênant.

20 h 10 — Christine Kelly l’avait promis en début d’émission : « On va prendre de la hauteur. » Verdict à l’heure du générique de fin : c’est pas gagné. À la pauvreté incroyable des interventions, notamment sur l’élection américaine, s’est accolée la misère d’un dispositif ramené au degré zéro de l’entertainment : de vieux gars radotant de façon monocorde sur un plateau. Seule consolation : l’émission n’est ni précédée ni suivie ni interrompue par des publicités, les annonceurs ne se bousculant pas pour y être associés [3]Cheh.

20 h 32 — « Mais qui sont ces gens  ? », se demande-t-on. Et pourquoi les faire parler eux ? À quel titre ? L’Heure des Pros 2 a commencé depuis vingt minutes et l’émission tourne déjà au bordel en bande désorganisée. Ici aussi, ça débute avec quatre vieux mecs blancs et une femme. Et là encore, leurs considérations n’apportent rien. Choquantes ou pas, elles restent toujours au ras des pâquerettes. Ancien journaliste sportif, l’animateur star Pascal Praud, cheveux blancs et petites lunettes bleues, n’est expert de rien, mais ça ne l’empêche pas de déblatérer sur n’importe quel sujet, à tel point qu’il anime deux émissions sur CNews, une le matin l’autre le soir. Il y a aussi l’incroyablement bileux Ivan Rioufol, du Figaro, sorte de sous-Louis-Ferdinand Céline momifié, obsédé par l’immigration et le « choc des civilisations ». Et une certaine Sophie Obadia, dont on apprend qu’elle est avocate, point barre. Mais des experts ? Aucun, hormis dans ces images reprises à RTL sur lesquelles on entend le président du conseil scientifique Jean-François Delfraissy évoquer la situation sanitaire. Le reste est meublé par des considérations de café du commerce sur le coronavirus et de propos acerbes sur le monde musulman.

Dans son émission du lendemain matin, l’ancien journaliste sportif Pascal Praud s’emportera contre les politiques en temps covidés : « Quelles sont leurs compétences  ? Ils donnent l’impression que chacun de nous pourrait les remplacer. » L’œil, la paille, la poutre, une vieille histoire…

21 h 47 — On profite de l’émission d’Yves Calvi, L’Info du vrai, « empruntée » à la grille de Canal + et donc peu représentative de l’esprit CNews, pour discuter des ficelles de ce qu’on a vu jusqu’ici. Et le constat est accablant : il n’y a aucune forme de journalisme, aucune interview de terrain, simplement de lourdingues débats d’opinion qui s’éternisent. Et qui ne se distinguent que sur un point : invités et chroniqueurs sont à la fois dénués de toute compétence spécifique et terriblement réacs. Bonus : ils rient beaucoup, grassement, dans une atmosphère de connivence dégoulinante, matraquant encore et encore leur insignifiance analytique.

L’association de critique des médias Acrimed a parfaitement résumé les effets pervers du dispositif [4] : « C’est sur ce type de journalisme-comptoir caractéristique des talk-shows que prospèrent tous les “fast-thinkers”, et plus encore les chroniqueurs d’extrême droite. Commenter des faits divers, invectiver, idéologiser des ressentis, politiser la peur, butiner les sondages : leurs positions et leurs propos sur l’islam, la sécurité, l’immigration ou l’autorité trouvent dans les médiocres dispositifs un moule à leur mesure. […] Affranchis des faits comme de toute règle scientifique, les commentateurs sont portés par le commentaire ambiant et par les récits médiatiques dominants, en vogue depuis des décennies : “On vient vers vous, on vous demande : ’La France est-elle en déclin  ?’ Vous dites oui ou non  ? Et vous Gérard, oui ou non  ?” (Pascal Praud, 16  sept.) Du pain bénit pour le “oui” des réactionnaires. »

22 h 09 — Castaner a le Covid, nous apprend un bandeau au bas de l’écran. Conséquence de quoi : on trinque. Pendant ce temps, Calvi et ses invités parlent intersectionnalité, islamo-gauchisme, ravages des cultural studies… Là aussi, ça frôle les abysses conservateurs, sauf que les moyens sont là, patte Canal + aidant : il y a des reportages aux États-Unis, des images à commenter, des pensées un peu plus diverses et développées. Déprimant, mais un peu plus élaboré.

22 h 35 — Joie, pour Soir Info, le présentateur Julien Pasquet, ex-journaliste sportif (encore un !) rentré dans l’histoire du journalisme en août dernier grâce à son splendide « Mais on s’en fiche des chiffres  ! » lors d’un débat sur l’ » ensauvagement » de la France, a invité Florian Philippot, ex du FN, roulant désormais pour son propre parti, les Patriotes. Et c’est très représentatif de ce qu’on observera pendant ces 25 heures : les invités sont très souvent d’extrême droite, qu’il s’agisse du RN ou de Debout la France. Sinon, un bon contingent LR et LREM, ainsi que quelques PS et LFI disséminés ici et là. Niveaux « journalistes », c’est encore pire, avec surreprésentation de réacs azimutés, comme Eugénie Bastié ou Marion Mourgue, toutes deux grandes progressistes au Figaro. Les autres invités affichent souvent des profils un peu étranges, à l’image de Kevin Bossuet, prof dans le 93 (et scribouillard à Valeurs actuelles, ce qui n’est pas précisé), qui ce soir se lance vite dans d’inquiétantes envolées : « Quand on a l’amour de la France chevillé au corps », s’enflamme-t-il causant République, avant qu’une urgentiste explique par Skype qu’elle voudrait que « Mbappé et Neymar s’investissent contre le Covid ». Il y a du niveau. Quand Kevin explique qu’il a vu des gens postillonner en terrasse des cafés, on répond en postillonnant sur l’écran – tel est notre désespoir.

23 h 30 — Philippot porte la même cravate violette que Zemmour plus tôt. Et il tient le même discours : « Il faut jouer sur les divisions du monde musulman. » Oh Lord !

23 h 52 — « Mais ils vont la passer combien de fois la pub lyrique sur les saumons norvégiens  ? », s’étonne l’un d’entre nous. Réponse : beau coup. Un point positif, vu que c’est à peu près le seul moment où on ne voudrait pas se crever les yeux au fer rouge tant ce qu’on voit est affligeant.

Mardi, 1 h 23 — Rediffusion de Vive les livres : François-Marie Banier, photographe et ex-gigolo de luxe de l’héritière Bettencourt, parle de ses bouquins. Fait notable : il dit sa fascination pour la Gay Pride, puis des choses belles et humaines sur les migrants afghans. Est-on bien sur CNews ?

1 h 54 — Dans Reportage, il y a un sujet sur le nouvel album de Cabrel. Un peu d’air dans cet océan anxiogène ? Même pas : « Dans son nouvel album, nous décrit le journaliste, Francis Cabrel parle de beaucoup de choses qui l’ont touché, à commencer par la violence de la société, les jeunes filles voilées et les tueurs armés comme à la guerre […]. » Interview de l’artiste : « Le monde est inquiétant. À chaque coin de rue, [vous pouvez tomber sur] quelqu’un de détraqué. » Je déprimais, je déprime et je déprimerai.

2 h 28 — 4e diffusion de L’Édition de la nuit : un journal télévisé sans reportage digne de ce nom – aucune interview, seulement un commentaire issu de dépêches d’agences lu par un journaliste sur des images d’archives. Ça devient rude. Il n’y a plus qu’un seul d’entre nous, phare dans la nuit. Meskine, il s’enverra encore six rediffusions avant l’aube.

5 h 55 — Début de la matinale. Et l’occasion de se rendre compte que les mêmes têtes reviennent d’émission en émission. Ainsi des deux invités fils rouges : Daniel Scimeca, médecin généraliste, et Patrick Karam, vice-président du Conseil régional d’Île-de-France (son appartenance LR n’est pas précisée…). Ils étaient déjà là hier, ces bougres.

06 h 09 — Sur le plateau, ça fait quelques minutes qu’on débat des mesures à prendre contre le corona. Patrick Karam fait une suggestion intelligente : offrir des masques aux salariés pauvres qui, par souci d’économie, portent les leurs un peu trop longtemps.

C’est alors que le présentateur demande : – « Daniel Scimeca, pourquoi est-ce qu’on a l’impression que la Chine s’en sort mieux que la France et le reste de l’Europe  ? – Écoutez. La Chine, d’abord, a un fonctionnement très autoritaire. Moi j’aime pas dire que la Chine n’est pas démocratique, c’est un type de démocratie qui n’est pas dans notre logiciel à nous mais en tout cas c’est sûr que les libertés individuelles, c’est une notion totalement différente d’ici et je pense que cela [et des] stratégies de reconfinement local [expliquent cette] réussite. » Fatigue.

7 h 12 — Ancien conseiller de Macron, Gaspard Gantzer, accusé par un invité d’être représentatif de l’es prit ENA de LREM, se défend de toute méconnaissance médicale : « J’ai des médecins dans ma famille  ! »

7 h 30 — Le bandeau annonçant l’entretien de 8 h 15 avec Jordan Bardella clignote désormais toutes les deux minutes.

8 h 15 — Roulement de tambour : Bardella, vice-président du RN, est interviewé par Laurence Ferrari. Celle-là même qui confiait, il y a quelques années, au magazine Elle : « À travers mes émissions, j’essaie de donner des clés aux électeurs pour qu’ils votent pour un projet, et non pas contre. » Ce matin, elle s’acquitte avec brio de cette mission en servant sur un plateau une soupe maison de questions labellisées RN à un Bardella sérieux comme un futur ministre de l’Intérieur. « Ils n’ont rien préparé, ni anticipé », assène-t-il, causant des macronistes et du Covid. « Nous sommes tous des cibles », ajoute-t-il, parlant terrorisme, « cinquième colonne » et « intelligence avec l’ennemi ». Sur le plateau, personne ne lui porte la contradiction : pour dérouler ses arguments néofascistes, ce n’est pas une ruelle qu’on laisse à Bardella, ce sont les Champs-Élysées. Boycott des produits français par des pays musulmans, Turquie, risque terroriste, fermeture des mosquées radicales… Bardella est plus qu’à son aise : triomphant. Et avant de partir, il place la petite phrase qui finira en bandeau : « La France doit devenir invivable pour ceux qui la détestent. »

9 h — Retour de Pascal Praud et de ses autoproclamés « snipers ». Il y a le pote à Zemmour Éric Naulleau, Laurent Joffrin l’ex de Libé et Charlotte d’Ornellas de Valeurs actuelles. Praud blague : « Y a que des gens de gauche sur ce plateau. » Ah ah. L’heure est au Covid et le show café du commerce continue, à base de « les gens, ils… » (compléter d’un propos réac).

10 h 52 — Depuis une petite demi-heure, un autre poète est aux manettes : Jean-Marc Morandini. Chemise blanche, smoking blanc, sourire crispant, le roi de la télé-poubelle continue dans la voie de ses camarades. Pour les « reportages », lui aussi puise dans les images de ses confrères de TF1 ou M6. C’est le cas quasiment tout le temps sur CNews, avec omniprésence de la mention « images d’illustration ». Pour le reste, ça cause en plateau, toujours sans grand intérêt. Une rhumatologue éveille notre attention : selon elle, il faudrait mettre le couvre-feu en semaine à 18 h, parce que sinon les gens auront la tentation de profiter d’une heure de détente post-boulot avant de rentrer chez eux. Le lendemain soir, Macron annoncera le reconfinement.

11 h 52 — Morandini est surexcité : il réunit sur un même plateau l’ex-patron du Raid et celui du GIGN. La gloire. Comme de juste, l’institution policière se voit gratifiée de vigoureux coups de brosse à reluire.

13 h 48 — Valse des journaux qui s’en chaînent. À Midi News, il y avait Franck Allisio, vice-président du groupe RN à la Région Paca. Et puis de longues discussions nauséeuses sur les mosquées après la fermeture de celle de Pantin. Au final, Allisio n’est pas pire que les autres. Et c’est bien l’enseignement de ces débats sur le terrorisme ou le confinement : il n’est quasiment plus possible de différencier la parole d’un élu RN de celle d’une encartée à LREM voire d’un conseiller municipal PS : tous tiennent un discours semblable. À la seule différence que celles et ceux du RN plastronnent en mode : on vous l’avait bien dit.

14 h 32 — C’est La Belle Équipe, présentée par une certaine Clélie Mathias. Vampirello est de retour. Ainsi que trois autres vieux mecs blancs à tête de mort. Se confirment encore les choix plateaux de CNews : une meuf pour faire genre et quatre gugusses qui débattent. Le taux de conneries rancies à la seconde est affolant, avec Vampirello qui se lâche sur les « pleurnicheries » des musulmans dénonçant le racisme, lâchant notamment : « Mais qu’elle enlève son foulard  ! » Parfois un autre invité se réveille, fait mine de s’offusquer, puis ça repart dans l’invective et le racisme. Ce n’est plus une chaîne, c’est un égout.

16 h 32 — On se rend compte que l’exercice tourne en rond, tant les dispositifs sont les mêmes pour chaque émission. Certaines sont certes moins pires que d’autres, à l’image de L’Heure des choix à 16 h, avec parfois des débats plus contradictoires, quelques invités valables voire intéressants – mention spéciale à Me Vincent Brengarth, avocat de la mosquée de Pantin tentant de rappeler les bases de l’État de droit – mais sinon tout est interchangeable. On reconnaît d’ailleurs des habitués, qui passent d’une émission à une autre, comme l’ancien boss de l’OM Jean-Claude Dassier, qui aligne beauferie sur beauferie, ou notre favori Vampirello, invraisemblable baratineur de l’enfer réac.

Mal ficelés, composés pour ne rien coûter, basés sur le matraquage et les propos de comptoir, les débats tendent tous vers le pire avec une constance terrifiante. On pense aux amigos de Libertalia qui ont récemment envoyé bouler Jean-Pierre Elkabbach qui leur demandait s’il y avait possibilité de débattre sur CNews avec l’auteur d’un livre publié par leur maison d’édition. « On a une éthique », ont-ils rétorqué au vieux tromblon qui leur demandait pourquoi ils refusaient le débat. Y aller, c’est forcément s’abaisser.

17 h 27 — Notre coup de cœur musico-publicitaire : le slogan chanté « Vendezvotrevoiture.fr », que notre graphiste entonne sans trembler. Le saumon norvégien reste cependant le top en la matière, suscitant des cris de joie à chaque apparition. Oui, la folie nous guette.

18 h 32 — Ça fait une heure et demie que Laurence Ferrari, qui était déjà là à 8 h 15, anime son émission Punchline. Et depuis 23 heures et 28 minutes, on n’a toujours pas entendu un seul mot sur la Pologne, où une grève générale est prévue le lendemain contre une réforme interdisant l’IVG presque totalement. Rien non plus sur le tout récent référendum chilien ayant pourtant permis d’en finir avec la Constitution héritée de l’ère Pinochet.

19 h 21 — L’ordi sur lequel on regarde l’émission en streaming commence à nous lâcher. Lui aussi n’en peut plus. Du coup on scrute l’émission de Zemmour au ralenti. Coup de théâtre : il consacre un édito au Chili ! Las, c’est pour vilipender les « capacités exceptionnelles de manipulation de la gauche ». Ensuite il tape sur les féministes – « Elles ont 150 ans de retard ces pauvres filles. » C’est un chouïa moins confus qu’hier mais toujours complètement orienté et décousu. Zemmour se lâche, rigole, fait le paon. Et nous : on frise la démence.

20 h et des poussières — Praud lance L’Heure des pros 2. « Le moment est sombre », commence-t-il. Tu l’as dit bouffi. On éteint. On se regarde. Et on se le jure : plus jamais ça.

par Emilien Bernard,

***

Samuel Gontier : « Un niveau de propagande incroyable »

Journaliste à Télérama, Samuel Gontier mène un salutaire travail d’information sur les dérives de l’audiovisuel français. Il a tout récemment signé une enquête sur CNews, coécrite avec Richard Sénéjoux, « Comment CNews est devenue la Fox News française ». Il revient ici sur la radicalisation idéologique d’une chaîne clairement inféodée à l’extrême droite.

Regarder CNews, c’est se confronter au degré zéro de l’information. Comment en sont-ils arrivés là ?

« Il faut remonter à 2016 pour comprendre, soit l’époque où Bolloré fait de la future CNews (alors I-Télé) son joujou politique. Il y a notamment un épisode important, qui est la grève suscitée par l’arrivée de Morandini, alors mis en examen pour corruption de mineurs. Les journalistes réclament notamment une charte d’indépendance, en vain. Résultat : plus de quatre-vingts d’entre eux claquent la porte.

Jusqu’à cette période, la chaîne n’était pas pire que BFM TV, avec des intervenants relativement ouverts, des reportages, des enquêtes. Mais à partir de là, ils ont décidé de continuer avec deux fois moins de moyens et en se recentrant sur les débats, parce ça ne coûte rien de foutre quatre gugusses en plateau. C’est comme ça qu’on arrive à une situation où sur certaines tranches horaires il n’y a même plus de journal. »

C’est donc un calcul de leur part ?

« Ça mêle deux choses : un pari économique, qui est de s’adresser à une niche, un public de vieux mâles blancs. Mais c’est aussi un pari idéologique, de la part du très catholique Bolloré et de son homme de l’ombre, Serge Nedjar. Ils ont clairement décidé de faire une chaîne de propagande. Et ça va totalement à l’encontre de la convention signée avec le CSA pour l’attribution d’une fréquence publique. Or, dans les faits, c’est devenu un média offert à l’extrême droite.

Il faut aussi rappeler que cette radicalisation a été progressive. Il y a eu une montée en puissance depuis 2016, via les débats sur la délinquance, le voile… Depuis peu, ils ont atteint un niveau de propagande incroyable. “On a l’impression que c’est le bureau du RN qui dicte l’agenda”, m’a dit une source à CNews. Il y a clairement un effet d’entraînement : ils voient que ça marche, qu’il n’y a pas de sanction, et ils se montent le bourrichon entre eux. »

Vous décrivez un véritable climat de terreur régnant dans la rédaction…

« Oui, on a même eu du mal à trouver des employés acceptant de nous parler. Parce que celui qui critique est viré immédiatement. C’est : vous êtes avec nous ou contre nous. Il y a par exemple un énorme tabou sur leur problème avec les femmes. Car les plateaux le montrent : beaucoup d’intervenants sont de purs machos qui ne supportent pas qu’elles aient une parole forte. Quand c’est le cas, nous a dit une source, “on ne les invite plus”. »

Tout cela fonctionne sur la connivence. Sachant que les meilleurs journalistes sont partis en 2016, ils ont promu des incompétents aux dents longues. Ceux-là restent dans la ligne, à l’image de Monsieur “On s’en fiche des chiffres”, Julien Pasquet, ou de Marc Menant, ami de Bolloré – tous deux issus du journalisme sportif. Régnant sur ce petit monde, il y a Serge Nedjar, figure de l’ombre venue de la publicité et homme de Bolloré. Lui est partout, et même en régie pendant les émissions de Zemmour, pour valider ce qui passe ou pas (il y a quinze minutes de différé).

Bancal, leur modèle semble pourtant fonctionner…

« Oui, c’est ça le pire : ça marche. Au-delà de l’audience instantanée, avec Zemmour qui dépasse régulièrement les 500 000 spectateurs, il y a un effet cumul, car les émissions s’enchaînent avec les mêmes messages. Sur une journée, CNews va toucher des millions de spectateurs, sachant que les séquences-chocs sont reprises sur les réseaux sociaux. C’est comme cela que la chaîne participe à l’agenda politique du moment. Regardez les invités des matinales au lendemain de l’attentat de Nice : il n’y avait que des gens d’extrême droite, même sur France Info, avec Jean Messiha. Comme si était entériné le fait qu’ils étaient les mieux placés pour parler de terrorisme.

Dans le même temps, il y a une course à l’écha lote entre les chaînes. LCI s’étant fait doubler par CNews, elle copie ses recettes. C’est ainsi qu’elle a embauché l’ancien conseiller de Marion Maréchal, Arnaud Stéphan, comme éditorialiste, et aussi Alain Finkielkraut, Caroline Fourest, Éric Brunet… On en est au point où à côté de ces deux chaînes là, BFM apparaît aujourd’hui comme raisonnable, alors qu’il y a quelques années elle était vue comme le diable.


Notes


[1Il a été mis en demeure en 2019 par le CSA pour avoir vanté l’action de ce militaire lors de la conquête de l’Algérie : « Quand le général Bugeaud arrive en Algérie, il commence à massacrer les musulmans, et même certains juifs. Eh bien moi, je suis aujourd’hui du côté du général Bugeaud. C’est ça être français  ! »

[2Samuel Gontier (lire son interview ci-contre) l’a brillamment résumée dans un article publié le 20 octobre sur son blog « Ma vie au poste » : « Après le meurtre de Samuel Paty, le concours Lépine des idées d’extrême droite ».

[3Notamment grâce à la campagne « name and shame » lancée par les activistes de Sleeping Giants.

[4Article du 6 octobre 2020, signé Pauline Perrenot et intitulé « Chaînes d’info, l’extrême droite en croisière ».

Ce champ est nécessaire.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*