Des syndicats de journalistes, d’avocats, de salariés, des associations défendant les droits humains, les libertés numériques ou l’écologie, des groupes gilets jaunes ou féministes, en tout 106 associations ont signé le 12 novembre une lettre commune pour s’opposer à la proposition de loi dite de « sécurité globale ». Ce mardi 17 novembre, alors que le texte arrive à l’Assemblée nationale, des rassemblements sont prévus dans de nombreuses villes comme à Paris, Toulouse, Lyon, Bordeaux ou encore Marseille.
« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. » C’est le libellé de l’article 24 de la proposition de loi qui rajoute un Art. 35 quinquies à la loi de 1881 régissant la liberté de la presse. Un ajout qui inquiète les journalistes, particulièrement celles et ceux qui documentent les interventions de la police, notamment dans les manifestations.
« Même sans cette loi, sur le terrain on empêche déjà les journalistes de filmer. Les policiers interpellent souvent les collègues pour leur dire “baisse ta caméra”, alors qu’ils ont le droit de les filmer », explique Dominique Pradalié, co-secrétaire générale du syndicat national des journalistes (SNJ). Pour elle, la loi sur la « sécurité globale » décuplera ce phénomène : « son caractère flou, avec la question du préjudice que pourrait porter une vidéo filmée à un policier, fait que les journalistes vont de moins en moins oser filmer les policiers ». Le SNJ, comme les autres syndicats de journalistes, appelle à manifester pendant que les parlementaires étudieront le texte cet après-midi. Mais sa co-secrétaire regrette une absence de réaction des patrons de presse et de trop rares positionnements des sociétés de journaliste, à l’exception des journaux indépendants,
Surveillance globale
La question de la liberté de la presse n’est pas la seule posée par la loi « sécurité globale ». Parmi les 32 articles de la proposition de loi, portée par Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot avec le soutien des députés LREM et Agir ensemble, deux autres articles sont dénoncés comme liberticides par les associations qui se mobilisent aujourd’hui. Tous deux ont trait à la surveillance et à la collecte d’image par les forces de l’ordre. Le premier, l’article 21, prévoit que « lorsque la sécurité des agents de la police nationale ou des militaires de la gendarmerie nationale ou la sécurité des biens et des personnes est menacée, les images captées et enregistrées au moyen de caméras individuelles peuvent être transmises en temps réel au poste de commandement du service concerné et aux personnels impliqués dans la conduite et l’exécution de l’intervention ».
Le second, l’article 22 porte lui sur les « caméras aéroportées ». Il définit les conditions dans lesquelles les autorités peuvent procéder au traitement d’images au moyen de caméras installées sur des drones ou des hélicoptères. Or, celles-ci sont très larges, s’appliquant à presque tous les contextes, dont celui des manifestations. « Dans un contexte de manifestation, on sait que le fait d’être filmé peut avoir un effet dissuasif », avance Anne-Sophie Simpere d’Amnesty International France. Ces dispositions devraient être « très encadrées par des critères très trics de nécessité et de proportionnalité, particulièrement dans le cadre des manifestations », explique la chargée de mission de l’ONG.
Alors, parano les associations ? Pas vraiment pour Amnesty Internationale qui rappelle que « des manifestants rassemblés pour défendre les droits des soignants ont reçu des amendes après avoir été identifiés par des caméras de surveillance. Ils ont été sanctionnés pour participation à une manifestation interdite, alors même que cette interdiction prise par le gouvernement a ensuite été jugée illégale par le Conseil d’État, car disproportionnée ». Avec cette proposition de loi sur la sécurité globale, l’ONG craint « une surveillance indiscriminée, voire de masse ».
Une opposition qui grandit
À Paris, le rendez-vous fixé par les opposants au texte est à 16 h derrière l’Assemblée nationale ce mardi. Pendant ce temps, les députés examineront la proposition de loi et une partie de ses 1300 amendements. À 18 h, d’autres manifestants se rassembleront : à Lyon devant la préfecture, à Toulouse au Monument aux combattants, à Marseille place des Chartreux, et à Bordeaux sur le parvis des droits de l’homme. Des rassemblements déclarés, pour lesquels la Ligue des droits de l’homme a produit un tutoriel sur le droit de manifester pendant le confinement, avec une attestation spécifique pour se déplacer jusqu’aux lieux des manifestations.
Une mobilisation qui devrait durer encore quelques semaines, le temps de l’examen en urgence de la proposition de loi par les deux chambres du parlement. Et une opposition qui voit ses critiques étayées par plusieurs acteurs institutionnels. Hier, trois rapporteurs du Conseil des droits de l’homme de l’ONU s’inquiétaient dans une lettre aux autorités françaises d’un texte portant « des atteintes importantes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée, le droit à la liberté d’expression et d’opinion, et le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique ». Avant lui, la Commission nationale des droits de l’homme déplorait vendredi dernier un processus législatif qui évinçait l’avis du Conseil d’État. De son côté, la défenseuse des droits rendait un avis très critique, notamment sur le nouvel usage des caméras piéton.
Les débats et les mobilisations sont donc loin d’être terminés, même si l’exécutif se verrait bien boucler l’examen de la proposition rapidement. D’autant que de nombreux amendements ont pour objet de durcir encore le texte. Et que d’autres sujets pourraient apparaître. Notamment celui des nouveaux pouvoirs donnés à titre expérimental à certaines polices municipales, mais aussi aux sociétés privées de sécurité. Sans plus de garanties de contrôle pour ces nouveaux pouvoir.
Photo : Serge d’Ignazio
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