LR :Éliane Mandine est chargée de recherche, retraitée de chez Sanofi, militante pour la reconnaissance de la santé comme un bien commun.
Eliane Mandine*
La pandémie de Covid-19 est une tragédie économique, sociale et humanitaire pour la planète entière. Le nombre de décès dus au coronavirus dans le monde atteint 2 millions, le seuil des 70000 décès a été franchi en France. La population est fatiguée de se soumettre à des mesures restrictives rendues nécessaires par le démantèlement du service public de santé. Ces mesures sont décidées verticalement, perturbent les modes de vie et limitent la liberté d’aller et venir. L’attente est grande pour un développement rapide de traitements ou vaccins, qui permettraient de mieux vivre avec la maladie. Au point de se raccrocher à la première des prophéties, porteuse d’un peu d’espoir.
La frénésie des médias
Dès que les laboratoires Pfizer, associés à l’allemand BioNTtech, suivis une semaine plus tard par la société de biotechnologie américaine Moderna, ont annoncé avoir développé un vaccin à 95% efficace contre le Covid-19, les médias se sont emballés.
Ils se sont aussitôt lancés dans une promotion propagandiste comme on pourrait le faire pour un vulgaire savon qui redonnerait toute sa jeunesse à une peau fatiguée. Les professionnels du monde médical ont été convoqués. Forts de leur position de sachant et d’experts en toutes choses, ils se sont évertués à sublimer des discours en résultats réels. Il fallait prendre pour argent comptant un simple communiqué de presse. Qu’aucunes données scientifiques n’aient été publiées n’a semblé gêner ni les journalistes, ni les politiques ni les médecins qui défilaient sur les plateaux des chaines de télévision, ou sur les ondes radio. Ils ont invoqué la capacité d’innovation des équipes, la victoire de la science, un record de vitesse tenant du miracle, une prouesse des scientifiques et des laboratoires d’avoir en un temps si court, réussi à mettre au point un vaccin aussi efficace (95%) sans effets secondaires graves. A longueur de journée ils ont martelé que les vaccins contre le SARS-CoV-2 devaient être mis à la disposition de la population. Qu’on attendait que les administrations soient à la hauteur des espérances, en délivrant sans délai les autorisations de mise sur le marché.
Les citoyens ont été priés de se faire vacciner, pour se protéger mais surtout protéger les autres, que c’est un acte de solidarité, une contribution au bien commun. C’est de la responsabilité de chacun de se faire vacciner pour contribuer à la disparition du Covid-19, comme il a été possible d’éradiquer la poliomyélite[1].Tout un chacun doit prendre conscience que la fin de la crise est entre ses mains, que tous les outils sont à la disposition de la société, que c’est à elle à se prendre en charge. Les enjeux de santé publique sont si grands qu’il n’est pas inconcevable de rendre cette vaccination obligatoire.
A se demander de quels enjeux il s’agit et pour qui : l’exécutif confronté à la grogne grandissante de la population, les firmes pharmaceutiques, à apparaitre comme le sauveur de l’humanité en étant le premier à délivrer le produit miracle, tous ceux qui se bousculent dans les medias pour une prime au meilleur « supporter », ou la société dans l’espoir d’échapper au désastre ? Une telle unanimité de la part des communicants, s’affranchissant de toute déontologie, incite à penser que la focalisation sur les mérites de ces vaccins n’est pas neutre. Elle relève de choix stratégiques au service de la fabrication du consentement des populations aux décisions de santé publique, définies par un gouvernement des experts sous la pression des lobbies des multinationales du médicament.
Les manques dans les données fournies
Reporter la responsabilité de l’Etat d’agir sur l’évolution de l’épidémie sur les individus, tout en culpabilisant la population, méfiante vis-à-vis des vaccins et susceptible de les refuser, est une habile diversion pour ne pas parler de la qualité de ce qui est offert.
Peu de voix se sont élevées dans les médias traditionnels, pour préconiser la prudence, souligner que les résultats sont préliminaires, déduits d’une étude clinique inachevée, les statistiques prématurées établies à partir d’échantillons ridiculement petits.
Encore moins de voix ont tenté de convaincre que tout miser sur les vaccins pouvait s’avérer insuffisant sur le long terme, qu’il fallait aussi investir dans le développement de traitements curatifs.
La technologie utilisée, l’ARN messager comme agent pour induire une réponse immune, est nouvelle. Ce type d’agent n’a jamais été testé chez l’homme. En l’absence de données cliniques, aucun argument ne permet d’affirmer qu’il est anodin d’introduire du matériel génétique (ADN ou ARN) dans le corps humain. Des réactions inflammatoires ou des réponses auto-immunes ne sont pas à exclure au-delà du délai de 2 mois, sorti on ne sait de quel chapeau, soit disant suffisant pour juger de la manifestation ou non d’effets secondaires. D’autant plus que de nombreuses inconnues demeurent sur les mécanismes cliniques induits par les coronavirus. Il est bien hasardeux de vouloir raccourcir les études cliniques. Le simple bon sens recommande à l’inverse de se donner du temps, en élargissant les cohortes de volontaires pour déceler des effets difficilement prévisibles, et donc non maitrisables. Les vaccins doivent s’inscrire dans une démarche de prévention et n’autoriser aucune prise de risque.
Alors qu’à ce stade, en toute honnêteté, on ne pourrait parler que d’une tendance positive observée avec les produits inoculés, encourageant à poursuivre les études, les 2 sociétés américaines se glorifient de détenir des vaccins efficaces à 95 %. Ce qui signifie que les personnes vaccinées auraient 95 % de chances en moins de développer les symptômes de la maladie. Ce qui est différent de 95 % de chances de ne pas être contaminées par le virus, c’est-à-dire d’avoir développé une immunisation par la production d’anticorps dirigés contre l’agent infectieux.
Maintenir la confusion n’est pas sans importance sur le plan de la stratégie marketing. Si la vaccination protège à 95 %, il est raisonnable que la population entière soit vaccinée. Si elle ne fait que diminuer la probabilité de développer les symptômes de la maladie, le marché « se réduit » aux personnes sensibles, plus étroit et moins lucratif. Souvenons-nous que 95% des adultes de moins de 45 ans atteints de Covid-19 guérissent spontanément. Seules 10 à 15% des personnes plus âgées développent des complications, liées à divers facteurs de comorbidité tels que le diabète, l’hypertension, l’obésité, l’âge…
Si les symptômes de la maladie sans effets secondaires, dans des études menées à leur terme, sont réellement atténués par ces vaccins, ils peuvent s’avérer utiles pour une protection des personnes à risque, leur permettant de vivre avec le virus, plutôt que d’affronter les épreuves douloureuses de l’hospitalisation et de la réanimation. En revanche, même administrés à tous les habitants de la planète, la probabilité d’une éradication mondiale du virus reste faible.
Recommander l’inoculation de ces nouveaux vaccins, dont les effets à long terme sont inconnus, à l’humanité entière relève d’une honteuse instrumentalisation,
Lever les réticences de la population
Les agences de santé, les unes après les autres les ont pourtant validé, sous la pression de l’urgence à sortir de la crise sanitaire. Ils seraient la seule arme sur laquelle miser contre la pandémie de Covid-19, au prix d’un report de la prise en compte d’éventuels effets secondaires. Choix très discutable sur un plan éthique. C’est un pari sur la santé des patients qui est fait, ce qu’avoue à demi-mot la Pr Odile Launay (RTL, 27 novembre) : « On peut donc accepter qu’il y ait des effets indésirables » pour les personnes qui se feront vacciner en priorité, à savoir les plus fragiles. De leur côté, les laboratoires se sont mis à l’abri en demandant une clause d’exemption de responsabilité : en cas de défaut de sécurité du produit, les états prendront en charge l’indemnisation des effets secondaires graves.
Ce sera donc bien après la campagne de vaccination que l’on disposera du critère clinique d’efficacité (diminution ou non de l’incidence de la maladie que le vaccin est censé prévenir). La population a conscience de faire office de cobaye, que les études vont être faites, non plus sur des volontaires, mais sur toute la population, dans la vraie vie. Cette politique de l’urgence, conduite d’en haut, au détriment d’une sécurité maximale, n’aide pas à gagner la confiance dans la stratégie vaccinale proposée. A la logorrhée médiatique succède alors une stratégie plus subtile de communication des experts. Un panel de médecins et de scientifiques ont signé un appel pour la transparence et l’accessibilité des informations sur les essais cliniques. Les signataires préconisent « le droit de chacun de connaitre la nature et l’utilité des composants présents dans les vaccins »[2]. Demander la transparence est un exercice classique de pédagogie consistant à divulguer parcimonieusement du « savoir » pour une meilleure acceptabilité de l’innovation, et lever les inquiétudes du public. « Consentir c’est être partenaire d’une décision dont on partage la responsabilité », écrit E. Hirsch dans le Monde[3]. C’est si joliment dit… et si éloigné du vécu.
Lever les réticences de la population à se faire vacciner est de l’intérêt des multinationales du médicament et des gouvernants. Les premières espèrent en retirer des marges de profit gigantesques. Les firmes pharmaceutiques entendent profiter du contexte économique mondial, au bord de la rupture, et du désarroi des populations, pour obtenir des Etats des achats de doses à un prix intéressant, en plus des financements publics dans la recherche, et des subventions directes pour le développement des vaccins, pour les infrastructures de production et de logistique, déjà engrangés.
Pour les gouvernants il y a urgence à sortir du marasme ambiant. Ils ont besoin de redorer leur blason suite à la pitoyable gestion des masques et des tests, mais aussi de stopper la dégringolade du PIB. La reprise des activités économiques est intimement liée à la sortie de la crise sanitaire. En sortir « Quoi qu’il en coûte », limiter le plus possible les dégâts économiques pour retrouver au plus vite le chemin de la croissance, seul recours envisagé à une possible explosion sociale. Sans jamais s’inquiéter de la contradiction entre la relance des échanges commerciaux à travers le monde que la reprise économique va nécessairement générer, et le fait que la pandémie actuelle, ou celles à venir, a justement été facilitée par cette mondialisation.
Il serait temps pourtant de tirer les leçons de la pandémie de Covid-19.
le 27-01-2021
*Eliane Mandine, chargée de recherche, retraitée de chez Sanofi, militante pour la reconnaissance de la santé comme un bien commun.
[1] Ce qui est faux, un article dans le monde du 02-09-2020 titrait : « la polio au plus haut depuis dix ans à travers le monde ».
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