Le vaccin du groupe pharmaceutique suédo-britannique a été massivement administré au Royaume-Uni. Pour les médias locaux, les craintes sont excessives.
Au Royaume-Uni, où le vaccin a été largement administré – selon le ministère de la santé britannique, au 28 février, près de 10 millions de personnes en avaient reçu une première dose –, la presse ne manque pas de réagir face à ce coup d’arrêt temporaire, qui affecte la campagne vaccinale mondiale.
« Les Britanniques doivent-ils s’inquiéter ? », interroge The Telegraph. « Les nombres suggèrent que non », répond d’emblée le quotidien conservateur, avant d’égrainer les données chiffrées. Selon AstraZeneca, quelque 17 millions de doses de ses vaccins ont été administrées dans le monde. « Cela signifie que le risque de souffrir d’une TVP [thrombose veineuse profonde] ou d’une EP [embolie pulmonaire] après la vaccination est de 37 sur 17 millions, soit environ un sur 460 000 », fait valoir le journal.
« Au taux de prévalence actuel, dans une population de 17 millions d’habitants, on peut s’attendre à ce que 326 cas apparaissent naturellement »
Or, insiste-t-il, « au taux de prévalence actuel, dans une population de 17 millions d’habitants, on peut s’attendre à ce que 326 cas apparaissent naturellement dans la semaine qui suit la vaccination, ce qui fait que le chiffre de 37 commence à paraître très faible ». D’autant que les TVP et les EP sont plus fréquentes chez les populations prioritaires pour la vaccination, c’est-à-dire les personnes âgées et celles souffrant de comorbidités, poursuit-il.
« La plupart des scientifiques roulent des yeux » face à la décision de certains gouvernements européens, abonde le quotidien de centre gauche The Guardian. Bien sûr, « les cas de caillots sanguins existent, mais ils ne sont pas plus fréquents chez les individus vaccinés contre le Covid, d’après les données disponibles à ce jour ». Les autorités réglementaires internationales, dont l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou encore l’AEM, affirment d’ailleurs qu’à ce stade rien ne prouve que le vaccin soit la cause des complications observées.
« Nuire réellement à l’objectif »
Dans les colonnes du Telegraph, le docteur Peter English, ancien président du comité de santé publique au sein de l’Association médicale britannique, rappelle que « lorsqu’un vaccin est administré à des millions de personnes, il est inévitable que certains événements indésirables, qui se seraient produits de toute façon, se produisent peu après la vaccination ». Lui regrette cette suspension qui « risque de nuire réellement à l’objectif de vacciner suffisamment de personnes pour ralentir la propagation du virus et mettre fin à la pandémie ».
Interrogé par le quotidien écossais The Scotsman, le professeur Neil Mabbott, titulaire de la chaire d’immunopathologie au Roslin Institute de l’université d’Edimbourg, abonde :
« Il n’est pas très surprenant que nous puissions, par hasard, observer quelques individus malchanceux qui ont eu un incident de coagulation peu après la vaccination. »
S’il explique comprendre les craintes et la prudence des pays européens, il les invite toutefois à tourner les yeux vers le Royaume-Uni : « Ils verront que ces vaccins sont remarquablement sûrs. »
Le journal conservateur Times publie, lui, une tribune du premier ministre, Boris Jonhson, vantant les mérites du vaccin, élaboré avec l’université d’Oxford et aujourd’hui « utilisé dans le monde entier ». Car, estime le locataire du 10 Downing Street, « aussi fructueux que soit le programme de vaccination britannique, il ne sert pas à grand-chose d’obtenir une immunité nationale isolée ». « Nous avons besoin que le monde entier soit protégé. Nous avons besoin que le monde entier ait la confiance nécessaire pour s’ouvrir au commerce, aux voyages, aux vacances et aux affaires », y martèle le chef du gouvernement britannique.
« Dans toute l’Europe, les conséquences d’un retard lamentable dans la course au déploiement du vaccin – et l’embarras supplémentaire d’être bien en retard sur le Royaume-Uni du Brexit, dont on nous a assuré qu’il serait à la dérive sans le reste d’entre nous – sont visibles dans les sondages. »
« D’autres éléments que les preuves »
La BBC se demande si les Européens ne manqueraient pas d’une « vision d’ensemble ». Ce n’est pas la première fois que des pays de l’UE font preuve de prudence à l’égard du vaccin d’AstraZeneca, déconseillé un temps aux plus de 65 ans. Or, les effets de cette précédente décision se font toujours sentir, juge le radiodiffuseur public. « Dans une pandémie qui évolue rapidement, où chaque décision peut avoir des conséquences majeures, le principe de précaution peut parfois faire plus de mal que de bien », fait valoir la BBC.
Pour The Guardian, si les arguments scientifiques ne « font pas mouche » dans cette affaire, c’est parce que « les gouvernements, contrairement aux organismes scientifiques, doivent prendre en compte d’autres éléments que les preuves ». « Ils s’inquiètent de la confiance de la population – dans le vaccin, mais aussi dans la façon dont les ministres traitent ces préoccupations », détaille le journal, citant notamment le cas de la France, où « le public se méfie depuis longtemps des entreprises pharmaceutiques ».
Autre facteur potentiel, selon le titre, la question de l’approvisionnement. « Au Royaume-Uni, les stocks sont abondants. En Europe, il n’y en a pas. AstraZeneca vient de réduire à nouveau ses livraisons proposées à 30 millions de doses au premier trimestre, soit environ un tiers de ce qui avait été promis initialement. Il est plus facile de suspendre le vaccin en Europe s’il n’est de toute façon pas disponible en grandes quantités », résume-t-il, pragmatique.
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