C’est l’un des magasins au coeur de l’affaire dite d’espionnage chez Ikea France. Au deuxième jour du procès de l’enseigne, le tribunal a cherché à établir les responsabilités concernant des recherches illégales sur des syndicalistes du magasin de Franconville (Val-d’Oise).
Dans ce magasin théâtre d’importantes grèves en 2010, des salariés syndiqués ont dévoilé des pratiques de surveillance dont ils s’estimaient victimes, aboutissant à l’ouverture d’une information judiciaire en 2012.
Selon l’accusation, plusieurs centaines de personnes ont été passées au crible dans le pays, leurs antécédents judiciaires ou leur train de vie scrupuleusement examinés.
A Franconville, l’une d’elles est l’ancien délégué syndical Force ouvrière (FO) Adel Amara. « Ce procès doit être exemplaire. Ils ont violé notre intimité », a-t-il déclaré lundi à l’ouverture du procès au tribunal correctionnel de Versailles.
A son sujet, l’instruction mentionne un audit de 2010 recommandant une « enquête discrète et complète sur A.A. » qui pourrait « servir aux services de police » pour « sortir l’intéressé par les voies externes et légales ».
En 2012, Adel Amara a été licencié pour comportement agressif à l’égard de plusieurs salariés, dont Claire Hery, alors codirectrice de Franconville, qui a déclaré à la barre mardi avoir eu « peur pour (son) intégrité physique et psychologique ».
Jugée dans ce procès qui doit durer jusqu’au 2 avril, l’ancienne codirectrice qui est aussi ancienne directrice des ressources humaines d’Ikea France, a nié tout lien avec l’audit incriminé ou être au courant de recherches illégales visant les salariés syndiqués de son magasin.
Aucun lien de causalité entre les recherches au sujet d’Adel Amara et son renvoi n’a été démontré, a souligné l’avocat d’Ikea France Emmanuel Daoud.
– Caissière infiltrée –
Au cœur de ce « système d’espionnage » selon les termes du parquet de Versailles, le prévenu Jean-François Paris, ancien directeur de la gestion des risques.
Le quinquagénaire a notamment reconnu avoir eu recours à une fausse caissière, infiltrée pour « prévenir » en cas d’actions syndicales jugées problématiques.
« On était sur un magasin où le service paie avait été envahi par les organisations syndicales lors des mouvements. On était inquiet que cela recommence », a-t-il dit.
M. Paris a aussi reconnu avoir demandé des renseignements sur Adel Amara. Ce dernier « se vantait d’avoir été en prison et de ne pas avoir peur de la police », a-t-il justifié.
Pour ce faire, il a indiqué avoir sollicité Jean-Pierre Fourès, patron d’une société privée d’investigation dont Ikea France était cliente.
Ce dernier, ancien membre des renseignements généraux, est accusé d’avoir fourni des données confidentielles sur de nombreux salariés d’Ikea France en ayant recours au STIC, un vaste fichier policier qui permet de connaître le passé judiciaire des individus, au-delà même des condamnations. Des données pourtant strictement confidentielles.
M. Fourès, aujourd’hui âgé de 73 ans, conteste ces accusations.
L’enquête a par ailleurs montré qu’une personne avait bien consulté en 2010 le STIC au sujet de 20 salariés de Franconville, dont Adel Amara: il s’agit de Laurent Hervieu, alors policier au commissariat d’Ermont.
« Si j’ai fait des consultations, ce n’est que dans le cadre de procédures », a-t-il assuré d’une voix calme à l’audience, évoquant des enquêtes qui n’auraient finalement pas abouti pour « vols pour escroquerie ». Les enquêteurs n’ont pas pu confirmer l’existence de telles procédures.
« A votre connaissance est-ce qu’Ikea a fourni un quelconque avantage au commissariat où vous étiez? », a demandé Me Vincent Lecourt, un des avocats du syndicat FO.
« Des meubles au commissariat où j’étais, même si je ne sais pas pourquoi, et aussi au commissariat de Franconville », a répondu Laurent Hervieu, notamment poursuivi pour « divulgation illégale volontaire de données à caractère personnel nuisibles ».
Outre l’enseigne Ikea France, qui encourt jusqu’à 3,75 millions d’euros d’amende, quinze prévenus physiques au total doivent répondre des chefs de collecte et divulgation illicite d’informations personnelles, violation du secret professionnel ou encore de recel de ces délits, exposant certaines d’entre eux à une peine maximale de dix ans d’emprisonnement.
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