par myriamlevain
Publié le 15 mars 2021
Courte par sa durée (72 jours), grande par sa portée (Marx la considérait comme un “point de départ d’importance dans l’histoire du monde”), la Commune est proclamée en mars 1871. Elle a marqué les esprits par ses mesures sociales, qui n’ont pas pris une ride, et l’implication des femmes. À l’occasion de ses 150 ans, retour sur 5 figures de militantes qui ont porté le mouvement.
Pour replacer la Commune dans la frise historique de la France, il faut faire un rapide détour par la Guerre franco-prussienne. Nous sommes le 4 septembre 1870 et c’est la défaite de Napoléon III à Sedan. Le peuple de Paris, loin d’être ok avec cette décision, envahit le Palais-Bourbon et proclame la République pour poursuivre la guerre. Un effort que les Parisiens -et les Parisiennes qui créent alors le premier bataillon des “Amazones de la Seine” pour défendre la ville-, porteront jusqu’au 28 janvier 1871 lorsque Paris capitule après un long siège et une famine dévastatrice. 150 000 personnes issues des classes aisées quittent la ville. Les autres se sentent trahies. Les forts sont livrés, les armes rendues. Mais pas toutes! Puisque les Parisien·ne·s ont cotisé pour une bonne partie des canons, ces derniers sont gardés dans les faubourgs de la capitale. Lorsque le gouvernement tente de les récupérer dans la nuit du 17 au 18 mars 1871 à Montmartre, les femmes sont les premières à intervenir: elles persuadent les soldats de se rallier à elles. Le peuple se soulève, l’administration quitte Paris: le 28 mars 1871, la Commune de Paris est proclamée et une “République parisienne” voit le jour.
“L’idée que les femmes ont été passives et ne se sont réveillées qu’au XXème siècle est fausse!”
Évidemment absentes du gouvernement de la Commune pour des raisons juridiques, les femmes prennent part au débat en créant des clubs politiques populaires, des journaux, des soupes populaires ou des écoles mixtes. Loin du mythe de la pétroleuse que le roman national cherche à leur coller, les Communardes sont organisées et impliquées. Comme l’explique l’historienne Michèle Perrot: “L’idée que les femmes ont été passives et ne se sont réveillées qu’au XXème siècle est fausse!” Dans un gouvernement prêt à instaurer la séparation des Églises et de l’État, l’école laïque, gratuite et obligatoire, la suppression du travail de nuit pour les boulangers, la création des crèches, l’égalité du salaire hommes-femmes, l’interdiction des maisons closes (liée à l’époque à l’extrême pauvreté des femmes qui y font leur “cinquième quart”, comprenez une activité d’appoint) mais aussi l’autorisation de l’union libre, la place des femmes n’est pas anodine. Elles sont convaincues que dans cette politique expérimentale se trouvent les germes d’une révolution sociale et sont des milliers à s’investir. Retour sur 5 grands personnages qui militeront toute leur vie pour obtenir les droits qu’elles revendiquent durant cette période.
Louise Michel, la porte-étendard
Plus connue pour sa légende de “veuve rouge” que pour ses actes, Louise Michel fut longtemps la seule femme à être mentionnée aux côtés des communards. Cette institutrice, née en 1830, infatigable féministe qui consacra sa vie à combattre les inégalités de genre, de classe et de race, est élue présidente du Comité de vigilance des citoyennes du 18ème arrondissement de Paris en 1870. Dès lors, elle joue un rôle central: elle anime le Club de la Révolution, rédige des articles pour le journal Le Cri du Peuple, sert comme ambulancière, participe aux batailles. Elle se rend le 24 mai 1871 et est envoyée en exil dans la colonie pénitentiaire de Nouvelle-Calédonie en héroïne. Là-bas, elle s’emploie à instruire les Kanaks et soutient leurs revendications anti-coloniales. Autrice de nombreux romans, pièces de théâtre et poèmes, elle voyage dans toute l’Europe et en Algérie, après sa libération, pour porter des discours féministes et anti-impérialistes. En 2020, l’artiste Banksy finance la transformation d’une ancienne vedette des douanes françaises en navire de sauvetage en Méditerranée qu’il baptiste Louise Michel, en la mémoire de cette anarchiste.
Nathalie Le Mel, la révolutionnaire
“Plus de défaillances! Plus d’incertitudes! Toutes au combat! Toutes au devoir!”, exhorte Nathalie Le Mel, le 12 mai 1871 au club de la Délivrance. Cette libraire, ouvrière-relieuse, militante et féministe crée La Marmite, l’ancêtre de nos Restos du Cœur qui nourrit alors 8000 ouvriers dans 4 établissements parisiens, puis co-fonde l’un des premiers mouvements féministes de l’histoire en 1871, l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. Présente aux combats sur la barricade de Pigalle, elle soigne également les blessés. Déportée avec son amie Louise Michel en Nouvelle-Calédonie sur la presqu’île Ducos, elle ne cessera de se battre pour l’égalité salariale entre hommes et femmes à son retour, dans les colonnes du journal L’Intransigeant. Elle meurt dans la misère à 95 ans à Ivry-sur-Seine.
André Léo, la plume
Née Victoire Léodile Béra, elle fonde avec Paule Minck et Louise Michel, dès 1866, la Société pour la revendication des droits de la femme afin de défendre le droit à une école primaire laïque pour les filles, l’égalité d’accès au travail et l’égalité civique des femmes mariées. D’une famille bourgeoise et cultivée, devenue romancière, journaliste et théoricienne, elle publie en 1869 son texte le plus connu La Femme et les mœurs, liberté ou monarchie, dans lequel on peut déjà lire: “C’est encore une nouveauté presque bizarre que de revendiquer la justice pour la femme, (…) privée de toute initiative, de tout essor, livrée, soit aux dépravations de l’oisiveté, soit à celle de la misère, et partout soumise aux effets démoralisants du honteux mélange de la dépendance et de l’amour…” Sous la Commune, elle contribue à la création de l’influent journal La Sociale et y prône l’émancipation autant que le “ralliement de la paysannerie”: “Ils ont les mêmes oppresseurs (…) le socialisme doit conquérir le paysan comme il a conquis l’ouvrier.” Une plume acérée dans un esprit vif, qui sera oubliée de son vivant.
Paule Minck, l’oratrice
Alors qu’en 1868, la loi autorisant les réunions publiques est votée, une femme d’origine polonaise ne cesse de prendre la parole; 76 fois selon le décompte de l’historien Alain Dalotel. La même année, cette ardente républicaine fonde une organisation mutualiste féministe révolutionnaire, la Société fraternelle de l’ouvrière, et adhère à l’association Internationale des travailleurs en défendant les droits des femmes au travail salarié et l’égalité salariale. Cette femme, qui part même prêcher la bonne parole en Province où d’autres Communes se sont déclarées (Lyon, Saint-Etienne, Narbonne, Marseille, etc.), c’est Paule Minck, l’autrice du pamphlet Les Mouches et l’Araignée à l’encontre de Napoléon III. Elle parvient à s’échapper en Suisse avant son arrestation et ne rentre en France qu’à la proclamation de l’amnistie des Communards dix ans plus tard. Elle continue ses conférences et ses prises de parole dans la presse, participe au Parti ouvrier français en candidatant aux législatives de 1883 (sans en avoir le droit) et s’engage aux côtés des Dreyfusards. Une vie d’engagements.
Elisabeth Dmitrieff, la marxiste
Aristocrate russe arrivée à Paris en mars 1871 en tant que représentante du Conseil général de l’Internationale, la jeune femme de 19 ans a l’oreille de Karl Marx alors résident à Londres. Elle est l’une des fondatrices les plus actives de l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, aux côtés de Nathalie Le Mel. Cette union, très centralisée, assure un contrôle continu dans tous les arrondissements de la ville pour procurer des soins aux blessés. La postérité lui prête souvent le rôle de conspirationniste étrangère venue semer la zizanie à Paris dans le rang des femmes. Pourtant, les textes prouvent qu’elle n’avait qu’un objectif: donner aux ouvrières le contrôle de leur propre travail. Réfugiée en Suisse, elle retourne dans son pays natal pour la fin de sa vie.
Bérengère Perrocheau
NB: Si ces 5 femmes et militantes appartenaient à l’élite, avaient eu accès à l’instruction et ont inscrit leurs noms dans l’histoire -rendant leur mémoires plus aisée-, n’oublions pas que la grande majorité des communardes étaient de simples ouvrières travaillant dans des métiers liés au textile, dont on retrouve les noms dans les archives de la police: notons Elodie Duvert, restauratrice, qui défendit les barricades, Marie Rogissart, couturière, qui organisa les femmes pour arrêter les réfractaires à la Commune, Marceline Leloup, couturière, qui représenta le 11ème arrondissement au Comité central de l’Union des Femmes, Sophie Poirier, couturière et présidente du Comité de vigilance de Montmartre, Blanche Lefèvre, blanchicheusse, qui fut tuée sur une barricade, Aline Jacquier, brocheuse, qui milita pour constituer des chambres syndicales chez les ouvrières, Eulalie Papavoine, couturière, ou Marie Limonier, apprêteuse, qui servirent comme ambulancières sur les champs de bataille, et tant d’autres.
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