Les soignants n’applaudissent pas Macron

Tourcoing, le 27 octobre 2020. Centre hospitalier de Tourcoing (CH Dron). Covid 19. Dans l’une des villes les plus touchées par l’épidémie, le service de réanimation du CHU est désormais entièrement consacré au Covid-19. SUR LA PHOTO: Service de réanimation. Les médecins se rendent dans toutes le chambres afin de faire un bilan de l’état de chaque patient. Ici dans la chambre Mohamed, 62 ans, les médecins regardent la radio de ses poumons.
les mobilisations de 2019 pour lutter contre la baisse des moyens à l’hôpital jusqu’aux désaccords sur la stratégie de confinement, les relations entre l’exécutif et les blouses blanches sont particulièrement difficiles.

par Charlotte Chaffanjon

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publié le 1er avril 2021 à 20h24
C’est à eux qu’Emmanuel Macron a demandé en premier mercredi soir de faire «un effort». Encore un. «Pour augmenter nos capacités en réanimation», a précisé le chef de l’Etat. Bien sûr, le Président a salué «l’action remarquable» des soignants, qu’on applaudissait tous les jours il y a un an a-t-il rappelé, en particulier des équipes de réanimation et de soins critiques, qui «mutualisent, innovent non seulement pour soigner les 28 000 malades du Covid à l’hôpital, mais aussi pour transformer des salles d’opération en salle de réanimation, pour assurer une continuité de soins pour les patients atteints de maladies graves comme le cancer, pour tous les moyens d’urgence, faire en sorte que tous les reçoivent et que tous puissent avoir les soins dont ils ont besoin».
«Il ne suffit pas d’acheter des lits chez Ikéa»

C’est beaucoup. Mais en décidant soudain de porter de 7 000 à 10 000 lits les capacités en réa, Macron leur promet bien tardivement «des renforts supplémentaires» et «l’ouverture de nouvelles capacités d’accueil dans certains hôpitaux parisiens». Même si le Premier ministre, Jean Castex, estimait récemment que c’est plus compliqué que cela, qu’«il ne suffit pas d’acheter des lits chez Ikéa pour ouvrir des places en réa».

Quant à la campagne vaccinale, idem, le chef de l’Etat les appelle à «accélérer, encore et encore», alors que les doses se font attendre. «Cette mobilisation est celle du gouvernement, de nous tous et de tous les soignants», a-t-il développé. Voilà pour la nouvelle feuille de route du Président à l’adresse des soignants, celle qui doit permettre de voir un jour «la lumière au bout du tunnel».

Accords pour «remettre de l’humain mais aussi des moyens»

Le problème, c’est que la relation est glaciale entre Emmanuel Macron et les blouses blanches depuis le début du quinquennat. «Ce qui peut paraître froid, ce n’est pas le chef de l’Etat, c’est la réalité», balaie-t-on au ministère de la Santé. Tout de même. A l’été puis à l’automne 2019, les soignants se mettaient en grève pour protester contre la baisse des moyens accordés à l’hôpital par Agnès Buzyn et Gérald Darmanin, alors comptable des finances publiques. La mobilisation menée par le collectif Inter-Hôpitaux menaçait de transformer leur colère en crise majeure, comparable à celle des gilets jaunes pour le pouvoir. Le Covid-19 a stoppé nette la mobilisation dans la rue, les soignants laissant leurs pancartes pour faire face à la première vague de l’épidémie.

Mais la colère est toujours là. «Dans une crise sanitaire, il y a plein de risques politiques, le sujet des soignants en est un, oui», craint un ministre en pointe dans la lutte contre le Covid-19, même si la crise sanitaire a contraint le chef de l’Etat à se pencher sérieusement sur la situation de l’hôpital public. La formule «quoi qu’il en coûte», lancée par Macron lors de sa première allocution solennelle du 12 mars 2020, était en premier lieu destinée aux soignants et aux moyens que l’exécutif allait mettre en œuvre pour l’hôpital public dans cette crise sanitaire. En juillet, cette promesse, comme celle de répondre aux revendications salariales des soignants, se traduit par les accords du Ségur de la santé. Après plusieurs semaines de concertations, le gouvernement dégaine 30 mesures et consacre 8,2 milliards d’euros à «la revalorisation des métiers des établissements de santé et des Ehpad et à l’attractivité de l’hôpital public».

Le but, résume alors le nouveau ministre de la Santé, Olivier Véran, c’est de «remettre de l’humain mais aussi remettre des moyens et du sens dans notre système de santé». Mais la deuxième vague, puis la troisième, mettent la lumière sur des moyens qui n’arrivent pas, ou trop peu. «La mise en œuvre ne peut se faire qu’au long cours, c’est un changement profond qui a lieu, on continue de travailler avec les syndicats, les fédérations hospitalières, etc.», admet un conseiller de Véran, qui souligne que toutes les augmentations de salaires promises ont été mises en œuvre depuis décembre 2020. «On a une transformation profonde à faire. Il y a encore beaucoup de boulot pour associer pleinement les acteurs de la crise sanitaire. Au-delà du Ségur, il a une reconstruction complète à faire au sein de l’hôpital français», admet de son côté un ministre.

Bras de fer

Le début de l’année 2021 a mis en lumière la récente méfiance d’Emmanuel Macron envers la communauté scientifique après s’être, l’an dernier, totalement reposé dessus pour justifier les restrictions de libertés. En ne reconfinant pas le pays le 29 janvier, malgré les prédictions inquiétantes des épidémiologistes, le Président a décidé d’assumer… qu’il décidait seul. Dernier épisode du bras de fer qui se joue : une tribune de 41 médecins urgentistes et réanimateurs dans le Journal du dimanche alertant le chef de l’Etat que, sans un sérieux coup de frein, ils seraient «obligés de faire un tri des patients». Trois jours après, le chef de l’Etat a annoncé la fermeture des établissements scolaires pour trois semaines et l’élargissement de l’interdiction de circuler à plus de 10 kilomètres dans tout le pays. Si ça ne suffit pas, les blouses blanches auront la mauvaise impression que Macron, en cette fin de crise, fait un dernier sacrifice : le leur.

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