Dans un discours empreint d’inacceptables ambiguïtés prononcé ce matin au mémorial de Gisozi, Emmanuel Macron a absous l’État français de toute complicité dans le génocide des Tutsis de 1994. En passant sous silence les compromissions les plus graves de l’État français avec le régime génocidaire, le président de la République minimise en réalité la « responsabilité accablante » qu’il prétend reconnaître.
Au mémorial de Gisozi, Emmanuel Macron n’a su ni reconnaître clairement les responsabilités de l’État français dans le génocide des Tutsis, ni demander sincèrement pardon aux victimes au nom de la France. Au lieu de cela, il s’est évertué à diluer les responsabilités françaises dans celles que porte la communauté internationale vis-à-vis de ces événements. Il a déclaré que la France « n’a pas été complice » en taisant délibérément des faits établis depuis longtemps et qui attestent du contraire [1]. Macron a dit vouloir « poursuivre l’œuvre de justice » contre les Rwandais soupçonnés de génocide, nombreux dans notre pays. Cela au moment même où le parquet de Paris, dépendant du pouvoir exécutif, a demandé un non-lieu dans le dossier Bisesero, rendant ainsi incertain un procès pour explorer les responsabilités des décideurs militaires et politiques de l’époque à propos de faits qui relèvent bien, selon les parties civiles, d’une complicité de génocide [2].
En voulant « assurer la jeunesse rwandaise qu’une autre rencontre est possible » et en vantant « l’opportunité d’une alliance respectueuse », il cherche à finaliser le rapprochement qu’il a opéré avec le régime de Kigali, au détriment de la vérité, de la justice et du pardon. Pardon qui doit non seulement être demandé, ce que Macron n’a pas fait explicitement, mais qui doit surtout faire l’objet au préalable d’une reconnaissance des fautes passées. Or le récit que fait Macron de la « responsabilité accablante » de la France est celui d’une France pétrie de bonnes volontés, mais qui n’aurait pas vu, pas su, pas pu, pas compris et ce, en dépit des nombreuses enquêtes académiques et journalistiques qui démontrent le contraire.
Selon Patrice Garesio, co-président de Survie : » C’est un retour de 10 ans en arrière. En 2010 Nicolas Sarkozy avait reconnu des erreurs. En 2021, Emmanuel Macron verrouille toute possibilité de reconnaissance de la complicité de la France dans le génocide, ainsi que toute éventualité de sanction contre les Français visés. »
Ce discours de Macron, salué par le président Kagame permet de réconcilier la France et le Rwanda à moindre frais tout en ménageant en même temps les nostalgiques de l’Empire et du « rayonnement de la France », idée qui constitue pourtant une des racines intellectuelles de l’implication française dans ce génocide. Le discours de Macron n’y change rien, la relation si toxique à l’Afrique que permettent les institutions de la Cinquième République est plus que jamais d’actualité.
[1] Comme la formation du Gouvernement Intérimaire Rwandais (GIR) dans les locaux de l’ambassade de France, la réception à Paris, alors que le génocide était en cours d’exécution, du ministre des affaires étrangères du gouvernement qui orchestrait le génocide, la livraison d’armes à ce gouvernement malgré l’embargo des Nations Unies, ou encore l’exfiltration au Zaïre, à travers l’opération Turquoise, de ce même gouvernement lors de sa déroute. Pour plus de détails, voir https://survie.org/themes/genocide-des-tutsis-au-rwanda/la-france-et-le-genocide-des-tutsis/
[2] Voir à ce sujet :https://survie.org/themes/genocide-des-tutsis-au-rwanda/article/le-parquet-de-paris-refuse-de-rendre-justice-aux-tutsis-de-bisesero
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