Le temps des Cerises

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Le temps des Cerises, par Robert Duguet par aplutsoc

Curieux cheminement dans la conscience du mouvement ouvrier et plus généralement de l’histoire d’un peuple que celui de cette chanson. Nous venons de fêter le 150ème anniversaire de la Commune de Paris. J’étais sur mon lieu de vacances, les Pyrénées Orientales, ces derniers jours. Pour le 14 juillet traditionnellement dans les communes du département il y a des concerts publics : on y chante et danse souvent le plus souvent sur des airs de sardane catalane. Cette année j’ai été fort surpris de voir un chœur interpréter « El temps de les cireres » en langue catalane.

Si l’auteur, Jean Baptiste Clément (1836-1903), est connu comme poète-chansonnier, il fut aussi un militant révolutionnaire, membre de l’Internationale Ouvrière. Fliqué pour ses prises de positions hostiles à Napoléon III, il se rend une première fois à Bruxelles en 1867. Plutôt libertaire il y revient en 1870 pour échapper à une peine de prison. C’est par Bruxelles qu’il regagne Londres après l’écrasement de la Commune. Revenu en France en 1879, il rejoint alors le courant possibiliste de Paul Brousse et refuse la position guesdiste : toute réforme améliorant le sort des opprimés est un point d’appui pour le socialisme. Toutefois le broussisme refuse les alliances avec les partis « bourgeois », notamment le parti radical.

« Le Temps des Cerises », texte écrit en 1866 et mis en musique en 1868 par le chanteur d’opéra Renard, est en fait originellement une chanson d’amour. Ebloui par les charmes d’une jolie infirmière, le poète est éconduit par celle-ci :

« Quand vous en serez au temps des cerises,

Si vous avez peur des chagrins d’amour,

Evitez les belles !

Moi qui ne crains pas les peines cruelles

Je ne vivrai pas sans souffrir un jour…

Quand vous en serez au temps des cerises

Vous aurez aussi des chagrins d’amour ! »
Si Clément a écrit des chansons révolutionnaires, celle-ci n’a pas à l’origine ce caractère. On peut relire la célèbre « Semaine sanglante » par ces temps de macronisme, de répression policière et du Sacré Cœur de Montmartre déclaré monument historique sur instigation de la néosocialiste Hidalgo :

« Demain les gens de la police

Refleuriront sur le trottoir,

Fiers de leurs états de service,

Et le pistolet en sautoir.

Sans pain, sans travail et sans armes,

Nous allons être gouvernés

Par des mouchards et des gendarmes,

Des sabre-peuple et des curés. »
Transportons-nous le 28 mai 1871 vers la dernière barricade de la Commune, rue de la Fontaine aux Bois : Louise Michel s’était rendue le 24 mai afin de faire libérer sa mère incarcérée à Satory. Alors que les versaillais fusillent dans le cimetière du Père Lachaise, 8 hommes restent debout sous un immense drapeau rouge : il y a là Théophile Ferré, initiateur du Comité de Salut public du 24 mai et Jean Baptiste Clément. Une jeune femme venant de la barricade de la rue Saint Maur qui vient de tomber se met en devoir de soigner les blessés. Ferré lui crie : « mets -toi à l’abri, ils vont tirer au canon ! » Un court instant Clément croit reconnaitre Louise, celle qu’il a aimé d’un amour impossible en 1866. Un boulet de canon le renverse, l’assourdit, l’enterre à demi. Quand il rouvre les yeux, la jolie infirmière a disparu. Quelques instants après la barricade tombe. A-t-elle été tuée ? A-t-elle pu fuir ? Fera t’elle partie de ces milliers de morts anonymes ?

Souvent la mémoire populaire a pu laisser croire que la chanson était dédiée à Louise Michel. Dans « La Commune Histoire et souvenirs » (1898), cette dernière précise qu’elle désigne : « l’ambulancière de la dernière barricade et de la dernière heure. J.-B. Clément lui dédia longtemps après la chanson des cerises. Personne ne la revit. »1 En fait dans la période révolutionnaire, un couplet fut ajouté à la chanson, était-il de la main de Clément ou anonyme, c’est-à-dire d’une élaboration collective ? Comme cette Chanson de Craonne, antimilitariste et révolutionnaire, recueillie par Paul Vaillant Couturier et qui fut vraisemblablement le fruit d’une élaboration collective dans les tranchées de la boucherie de 1915.

« Quand il reviendra, le temps des cerises,

Pandores idiots, magistrats moqueurs,

seront tous en fête.

Les bourgeois auront la folie en tête…

A l’ombre seront poètes chanteurs.

mais quand reviendra le temps des cerises

Siffleront bien haut, chassepots2 vengeurs. »
De son exil à Londres puis à Bruxelles jusqu’en 1879, c’est en fait la version sentimentale qui s’imposera, toutefois chargée du souvenir d’un printemps de cerisiersen fleur, où les forces de la vie et de l’amour pouvaient l’emporter sur le vieux monde capitaliste « de l’exploitation et de l’agiotage3… » Le couplet révolutionnaire n’y fut ajouté que ponctuellement. La version originelle suffisait, elle s’était chargée d’un contenu révolutionnaire, reprise par les générations à venir et des millions de poitrines.  A la fin de son exil Clément était dans le dénuement le plus total et il céda tous les droits au chanteur Renard en échange d’une pelisse !

Notes :

1 Dans son « Roman de Louise » (Albin Michel, 2014), le Libertaire Henri Gougaud imagine une fin tragique quelque peu romantique : le boulet de canon aurait emporté la jeune infirmière. C’est contredit pas les notes de Jean Baptiste Clément ainsi que par les Mémoires de Louise Michel. Mais enfin, on lui pardonne un récit qui a les formes d’un roman historique…
2 Le Chassepot était alors le fusil du guerre de l’armée française.
3 Déclaration inaugurale de la Commune.

aplutsoc | 26 juillet 2021

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