Démocratie, dictature : à propos des formes de régime politique dans une société de classe, et particulièrement en France en ce moment.

Nouvel article sur Arguments pour la lutte sociale
 

par aplutsoc

Présentation

Nous continuons la discussion amorcée par la contribution du camarade Pastéque, suivie de celle d’Alain Dubois, par une contribution d’Olivier Delbeke, membre du comité de rédaction.

Texte

Depuis les révolutions de 1848 dont Marx et Engels ont été aussi bien des analystes que des protagonistes engagés, il existe une longue tradition marxiste d’analyse des formes politiques que peut prendre une société de classe, en l’occurrence la société capitaliste.

La classe capitaliste, détentrice des moyens de production et à travers cela détentrice du pouvoir économique, social et idéologique sur la société, a toujours su s’appuyer sur l’État, et pas uniquement en cas de dernier recours, lorsque la violence de l’appareil militaro-policier devient la dernière cartouche à tirer pour préserver l’ordre bourgeois face à la montée des classes travailleuses.

Contrairement aux boniments de la propagande libérale sur la primauté du marché, l’État bourgeois, du plus libéral au plus colbertiste ou bismarckien, a toujours fonctionné de façon interventionniste sur les plans économique et social pour permettre le bon fonctionnement des affaires et la réalisation des profits. A ce titre, les formes politiques de la domination bourgeoise et leur analyse ont toujours été un sujet de préoccupation pour le mouvement ouvrier.

Entre un régime qui interdit grèves et syndicats, et un régime qui les tolère, les autorise ou cherche à intégrer les organisations ouvrières dans les filets du « dialogue social », il y a bien des conséquences pratiques différentes dans la façon de s’organiser et de se mobiliser pour les travailleurs.

Entre un régime de dictature qui interdit les partis, en commençant par ceux du mouvement ouvrier, et des régimes qui convoquent régulièrement des élections avec des parlements disposant de plus ou moins de pouvoirs sur le fonctionnement de la société et de l’État, dans la définition des lois, cela donne des cadres d’intervention très distincts pour les partis du mouvement ouvrier.

Dans l’histoire des formes politiques depuis les révolutions anglaise du 17ème siècle et française de 1789, les variations dans les modalités du suffrage électoral ont été nombreuses et ont reflété les rapports de force entre les classes : caractère censitaire ou universel, universel incluant ou excluant les femmes, détermination de l’âge d’ouverture du droit de vote ou de se porter candidat, ouverture du scrutin à des électeurs étrangers, définition de la carte électorale et possibilités de découpages à façon des circonscriptions, etc…

Dans le cas de la France, il semblerait que bien des militants s’emmêlent les pinceaux face au lourd héritage légué par l’histoire du pays depuis 1789. Notre pays a connu toutes les formes de régime politique de la société capitaliste, de la démocratie parlementaire à la dictature bonapartiste : période révolutionnaire de 1789 à 1794, période du Directoire, après Thermidor, et de l’Empire, restauration monarchique avec un parlement basé sur le suffrage censitaire, 2ème République, Second Empire enterrant la forme républicaine, 3ème République constituant le firmament du parlementarisme triomphant, État vychiste enterrant la forme républicaine et le parlement, 4ème puis 5ème République.

Il est utile de rappeler que la 3ème République, stade suprême du parlementarisme dans ce pays, est née sur les ossements des martyrs de la Commune de Paris, et s’est nourrie du sang et de la sueur de l’exploitation des esclaves coloniaux des Antilles à l’Afrique, et de Madagascar à l’Indochine. Et que cette même 3ème République a fait naufrage en 1940 dans le régime bonapartiste sénile (ce qui ne veut pas dire inoffensif) de Vichy-Pétain. Sur la crise du parlementarisme et le besoin pour le capital de passer à une autre forme de domination politique, celle du bonapartisme, on ne peut que renvoyer à la lecture du recueil des textes de Trotsky portant le titre « Où va la France ? », paru en 1936, et qui tient la chronique de la crise sociale et politique du pays de 1934 à la grève générale de Juin 36.

De même, malgré l’adoption de la loi de 1905 instaurant la séparation de l’Église et de l’État, la laïcité a toujours été restreinte, avant même l’apparition de l’exception du régime de l’Alsace-Moselle à partir de 1919, par le fait de l’inégalité juridique et politique entre les citoyens à part entière et les esclaves coloniaux, à commencer par l’Algérie qui alors comptait parmi les départements du territoire national (« L’Algérie c’est la France ! », comme disait Mitterrand en 1954 face au soulèvement naissant du FLN…).

Les droits démocratiques et sociaux, inscrits dans le préambule de la constitution, souvenir des rapports de force de la Libération inscrits dans la Constitution de 1946, ont été et restent soumis à une offensive constante du pouvoir présidentiel depuis de Gaulle, avec le point d’inflexion de 1968 au plan social, reflet du poids de la grève générale, et l’embellie passagère de 1981-1983 avant le tournant vers la rigueur et l’ouverture du chapitre du néo-libéralisme en France. Le niveau de maintien ou de recul de ces droits démocratiques et sociaux est directement indexé à l’état des rapports de force entre les classes, entre l’État et la société.

Aujourd’hui, en France, l’État a une forme républicaine (et laïque !) avec des élections à tous les échelons des instances politiques : de la commune à la présidence, mais cela est restreint par la prédominance du Bonaparte qu’est le président, qui surplombe et domine le Parlement et en réduit les prérogatives au niveau d’une chambre d’enregistrement.

Les pouvoirs du président dans le cadre de la 5ème République donnent la primauté à l’exécutif sur le législatif. Certes, une proposition de loi peut être avancée par des députés, mais ceux-ci ont intérêt à pouvoir compter sur un large soutien dans l’hémicycle voir un soutien massif dans l’opinion, pour pouvoir l’imposer face à l’exécutif.

Qu’est-ce qui change aujourd’hui dans le cadre de la présidence Macron ?

Nous vivons depuis bientôt quarante ans de pouvoir visant à l’adaptation néo-libérale du pays, tant sur le plan social – voir les aléas de la Sécu, du droit à la retraite et du code du travail – que sur le plan de la démocratie locale – montée en puissance des régions puis super-régions contre les échelons communaux et départementaux. A cet exercice, les partis politiques sur lesquels se sont appuyés les Bonaparte présidents successifs, se sont usés : aussi bien le PS pour la gauche dite « de gouvernement » que l’historique UNR-UDR-RPR-UMP-LR, continuation du gaullisme originel de Mon-Général !

Le summum de l’expression du mépris du peuple et de sa souveraineté a été le moment du vote parlementaire de ratification du TCE à l’été 2005, parfaite négation de la volonté exprimée dans les urnes contre ce même traité de sanctuarisation du capitalisme et de la construction de l’UE qui s’y rattache.

De scrutin en scrutin, l’abstention est montée jusqu’au niveau de la claque anti-système de la 5ème qui a été celui des scrutins départementaux et régionaux de ce printemps 2021. Avec, rappelons-le, pour la première fois dans l’histoire de la 5ème, un président Bonaparte dépourvu d’un « parti du président », d’une « société du 10 décembre », sans relais ni implantation au niveau local, reposant presque exclusivement sur le poids de l’appareil d’État centralisateur et omniprésent des préfets, recteurs et directeurs d’ARS.

D’où, cette impression, du mouvement des Gilets Jaunes au mouvement des salariés lancé au 5 décembre 2019, que le pouvoir ne repose plus que sur la force des matraques et des LBD. Durant la crise sanitaire, l’explosion de l’ubuesque réglementaire et de l’incohérence autoritaire est apparue de façon criante, favorisant le mouvement de rejet ou de méfiance vis à vis de la vaccination, mouvement favorisé aussi par l’absence de critique ou de contestation de la politique sanitaire du pouvoir, pourtant ôh combien inégalitaire et inefficace en dépit des coups de menton présidentiels lors des allocutions télévisées.

Macron avait réussi en 2017 à se propulser au pouvoir par la seule bénédiction du capital financier, sans même disposer d’un appareil politique construit, bénéficiant de l’usure au pouvoir de Hollande et ses sbires, vidés de toute légitimité par leurs œuvres de destruction, notamment celle du code du travail de Rebsamen à El Khomri.

L’absence de contestation, d’opposition sérieuse durant le quinquennat de Hollande est à mettre au compte du sabotage de toute issue politique par les forces principales du Front de Gauche, Mélenchon et le PCF, chacun dans son registre. Tous avaient, à partir du mouvement des bonnets rouges de 2014, signé l’enregistrement de leur refus de s’opposer à la politique des gouvernements Hollande, ouvrant un boulevard à la démagogie sociale d’une Marine Le Pen, celle-ci se précipitant pour récupérer le désespoir social des salariés licenciés de Wirlpool, alors que la Le Pen n’a jamais bien dissimulé les fondements libéraux de son programme économique (Rien pour le SMIC et surtout pas d’ISF !).

A partir du moment où ceux d’en bas ne sont plus représentés politiquement, il ne sert à rien de se lamenter sur le fait qu’on leur renvoie à la figure un cynique « cause toujours, tu m’intéresses ». Finalement, le vide de toute représentation politique du monde du travail a été occupé par l’expression de la colère sociale via le mouvement, profond et large, des Gilets Jaunes.

Les centaines de milliers, sinon les millions, qui ont pris la rue les samedis et dimanches suivants le 17 novembre 2018 exprimaient la fin de la séquence 1997 (Jospin, années Gauche plurielle) – 2017 (fin du hollandisme, dégringolade du PS, installation du commis bancaire Macron). Mais cette expression, cette explosion sociale, ne résolvait pas pour autant instantanément la question de la représentation politique de la population laborieuse.

Donc aujourd’hui, tant que ceux d’en bas n’auront pas atteint le niveau d’organisation nécessaire à la construction de la grève générale et d’une nouvelle représentation politique, l’exécutif pourra toujours les narguer à la manière du « cause toujours … ».

Nous rentrons dans la séquence des présidentielles dont la seule fonction est celle de la légitimation de celui qui mènera la charge anti-sociale et anti-démocratique dont le système capitaliste a besoin. Ce sacre présidentiel a une fonction vitale pour ce régime, auquel se rattache aussi l’élection de l’assemblée nationale. La tache de l’heure pour ceux d’en bas est de ne surtout pas rentrer dans cette séquence mortifère pour leurs intérêts matériels. Continuons le travail de délégitimation de ce régime, de ces gouvernants qui ne rendent des comptes qu’au CAC40. Préparons sa chute !

OD, le 27-08-2021.

aplutsoc | 6 septembre 2021 à
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