[ad_1] 2021-11-06 00:30:53 Revolution Permanente
« L’hôpital public n’est pas juste l’affaire des soignants, c’est l’affaire de tous ». C’est ce que nous résume Caroline Brémaud, médecin aux urgences de l’hôpital de Laval, en Mayenne. Elle est non syndiquée et militante au collectif Santé en Danger, un collectif national qui réunit plus de 200 000 adhérents, ainsi qu’à l’association mayennaise Lutte contre les Déserts médicaux. Si elle et ses collègues sont en grève depuis le 9 octobre, c’est pour dénoncer la fermeture du services des urgences.
En effet les habitants de Laval et des alentours vont devoir se passer d’un accès aux urgences pendant 4 nuits cette semaine -au minimum- suite à la fermeture du service annoncée par la direction pendant les nuits de lundi, jeudi, samedi et dimanche qui s’explique par le manque de médecins dans l’hôpital. « Les usagers doivent faire le 15 ou le 116 117 pour avoir une évaluation médicale au téléphone et pour qu’on leur donne la marche à suivre. Soit on leur envoie un moyen de [transport, pour les emmener à l’hôpital], soit on leur conseille de voir un médecin le lendemain » explique-t-elle. Une “régulation médicale” est donc mise en place pour faire le tri entre les patients et prendre en charge seulement les urgences vitales : pendant la nuit, entre minuit et huit heures du matin, les passages aux urgences sont limités à une petite dizaine de patients.
« Nous on est un désert médical à Mayenne, alors qu’on est une région plutôt attractive, à une heure et demi de Paris. Il faut des médecins généralistes, pour que les patients puissent y aller. Sinon ils n’ont pas d’autre choix que d’aller aux urgences, ce qui fait saturer nos services. En plus de ça les Urgences sont trop petites pour accueillir tout le flux de patients, il manque des lits sur l’hôpital, ce qui fait que les patients restent sur des brancards dans les couloirs des heures voire des jours » témoigne Caroline Brémaud.
Une situation dramatique que la médecin dénonce fermement avec le reste du personnel en grève depuis un mois désormais. La médecin nous explique : « C’est simple, on est 5 équivalents temps plein, pour une cible entre 16 et 18 normalement. On est que 2,6 équivalents à faire des nuits, alors que normalement, sur un front de garde sur une seule ligne, il faut être 6. On peut même pas en faire un complet. Cet été on a voulu essayer de faire des nuits tous seuls, et c’était une catastrophe. Sur l’hôpital il manque des paramédicaux pour gérer des lits, dans un contexte où notre hôpital se trouve dans la moyenne nationale des 20% de fermetures de lits par manque de personnel. »
En manque de personnel depuis des mois, travaillant dans des conditions de plus en plus difficiles, sans moyen, et après avoir traversé une pandémie de Covid 19 ayant fatigué les corps et les esprits, le monde d’après pour les soignants est plus que difficile. Une étude réalisée par l’OMS rappelle d’ailleurs, qu’environ 70% des soignants et des infirmiers sont exposés à un risque de burn-out et un interne se suicide tous les 18 jours en études de médecine. Une situation terrible dont l’Etat et le gouvernement Macron sont directement responsables en continuant de fermer des lits de réanimation : le dernier rapport du conseil scientifique daté du 05 octobre montre que 20% des lits d’hôpitaux ont fermé en France, soit près de 5700 lits !. De plus, en septembre dernier, le gouvernement français présentait son projet de Loi de finance pour 2022 avec une baisse historique du budget pour la santé accentuant la casse du système de santé.
« On ne peut comprendre la problématique des urgences que si on prend en compte le problème de la santé publique en général » affirme la médecin au téléphone. Une déclaration que partage Marie-Pierre, infirmière et co-présidente du collectif Inter-Urgences que nous avons également interviewé : « Ce qu’il se passe à Laval c’est une catastrophe, et c’est malheureusement pas un cas isolé. On est en colère parce que c’est quelque chose qui arrive depuis longtemps, et qu’on a face à nous un gouvernement qui se congratule car il serait soi-disant le plus investi dans le système de santé. Une mascarade. »
Une situation qui s’exprime dramatiquement par la fermeture temporaire des urgences l’hôpital de Laval, mais qui démontre la réalité de l’hôpital public aujourd’hui, touché durement par les conséquences de saturation dû au covid, mais aussi par les coupes budgétaires menées par les gouvernements successifs. Marie-Pierre nous décrit au téléphone : « 800 lits ont été fermés à cause du manque de soignants. On est face à un gouvernement qui ne veut pas réaliser la gravité de la situation. Malgré les beaux discours, rien n’est fait pour que les soignants aient envie de rester. ». Comme Caroline Brémaud, elle dénonce le Ségur de la Santé qui n’a donné que des miettes aux travailleurs de la santé : « Le Ségur était pas pour tout le monde. Les conditions dans lesquelles on travaille, c’est pas vivable, c’est une question de nos métiers, de respect qu’on porte à nos soignants ». De son côté, Caroline Brémaud nous explique à son tour : « Même avec le Ségur, les salaires c’est une catastrophe. Au-delà de l’échelon 7 [ndlr : spécificité de la fonction publique], quand ils font du temps additionnel, leur taux horaire est plus bas que le taux horaire de base… il faudrait déjà qu’ils soient payés a minima autant, voire plus ! Il y a rien qui va ». Elle décrit des conditions de travail sans cesse attaquées, qui dégradent à leur tour l’offre de soins : « Aux urgences on a un problème de charge de travail, c’est quasiment 500 heures de temps additionnel pour nous, avec des gardes de 12 à 24 heures. C’est colossal. À Laval, on est trois médecins en journée pour 100 passages par jour. Ça fait un an qu’on demande à l’administration de faire venir au moins un médecin en plus pour ouvrir 4 lignes, mais ils ne répondent pas ».
Une situation qui impose une pression constante aux travailleurs de l’hôpital, saturés et n’ayant aucun temps pour les patients. Marie-Pierre de l’Inter-Urgences nous raconte : « Avec la loi qui a instauré le financement à l’acte, on répartit la charge de travail en théorie en fonction de ces actes et de comment ils sont minutés. Par exemple, une prise de sang ça devrait se faire en dix minutes. Sauf qu’avec le patient qui est anxieux, ça marche pas ! Dans cette liste d’actes, il n’y a pas tous les soins relationnels, pas les prises en charge d’infirmières, aides soignants… Ça donne une certaine robotisation de nos métiers, qui fait perdre tout son sens à notre travail. On n’a pas fait ça pour travailler à la chaîne. »
« C’est pas parce qu’on est en grève que les urgences ferment mais parce que les urgences ferment qu’on est en grève »
En grève illimitée depuis désormais plus d’un mois, les hospitaliers de Laval, médicaux et paramédicaux, font de fait face à une difficulté pour leur combat, puisqu’ils sont réquisitionnés. « À un moment il va falloir monter au créneau pour que les politiques prennent conscience, parce que Véran et tous les autres, ils ne voient pas le problème » dénonce Caroline Brémaud. « Le covid a été un catalyseur de l’effondrement du système de santé, or ça concerne tout le monde. Le rôle du médecin, c’est de, sans jugement, sans se poser de question, porter des soins à tous : c’est pas uniquement pour ceux qui ont des moyens ». Pour elle comme pour Marie-Pierre, l’un des problèmes majeurs est la désertification médicale. Une réalité qui met en danger la santé des patients, et dégrade sans cesse les conditions de travail des soignants, toujours plus sous pression : « Laval c’est pas une si petite ville, et les urgences ferment, dans le plus grand des silences, c’est un scandale »
Je m appelle Caroline je suis cheffe de service des urgences de Laval et demain je serai en grève parce que j aime mon métier mes collègues mes patients… Pour défendre l indispensable !ne rien dire c est consentir.Partagez si vous soutenez #urgences #GreveGenerale #SAMU #medecin pic.twitter.com/t8EqqvkFdB
— Caroline Brémaud (@bremaudcarolin1) October 8, 2021
Face à leur grève, la direction, ainsi que la Préfecture, n’apprécient guère, et cherchent à intimider les grévistes : « La direction ne me parle plus. En plus ils ont communiqué très tardivement sur les fermetures, ce qui met gravement en danger la population. J’ai eu le droit à un texto sur mon portable personnel, pour me dire qu’ils appréciaient pas, et en pointant que je dégradais l’image et la communication de l’hôpital. Selon eux, si on met trop Laval en avant, on n’arrivera pas à recruter derrière ». Des déclarations qui s’inscrivent dans la logique du gouvernement de pointer du doigt les hospitaliers comme boucs émissaires.
Elle conclut : « Ce que je veux faire remarquer, c’est que je suis passionnée par mon métier comme tous les urgentistes. Je suis pour l’instant que contractuelle, et je suis en train de monter un dossier pour être embauchée. Ainsi, je me marie avec l’hôpital, donc c’est que j’y crois, mais il faut se battre, mais quand on nous demande de travailler toujours plus on peut pas prendre les patients en charge comme il faut. J’ai envie d’avoir du temps pour les patients, de les prendre en charge humainement dignement avec le temps qu’il faut ».
Bien loin du “quoi qu’il en coûte », ses mesures d’austérité ont des conséquences directes sur la vie de milliers de travailleurs de la santé qui se voient obligés d’exercer dans des conditions de plus en plus difficiles pour des salaires plus que misérables. Nous apportons toute notre solidarité à la grève des médicaux et paramédicaux à l’hôpital de Laval, qui bataillent pour leurs conditions de travail, leur dignité, mais aussi celle de la prise en charge des patients et de notre santé. Ils appellent à une mobilisation collective le 4 décembre, avec le Collectif Inter-Urgences, à Paris et devant tous les hôpitaux, aux côtés de Collectifs de défense des hôpitaux de Mayenne et les comités de défense des hôpitaux Bichat et Beaujon.
Si des actions sont en cours de préparation, il ne faut pas laisser cette fermeture se faire dans le silence. Organiser un plan de bataille, avec le soutien de la population et d’autres secteurs de la fonction publique et du privé, pour exiger des moyens massifs pour l’hôpital public, des embauches et revalorisations de salaires pour les travailleurs, ainsi qu’une nationalisation du privé centralisé sous public. Stop à la casse de notre santé, elle ne peut être rentabilisée, ni vendue !
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