« Mon gilet jaune est toujours accroché dehors chez moi » : témoignages de ceux qui sont encore mobilisés

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par Mathilde Dehimi publié le 

Le 17 novembre 2018, des milliers de personnes répondent à un mot d’ordre lancé sur les réseaux sociaux : se munir d’un gilet jaune pour protester contre un projet de hausse des taxes sur l’essence. Où sont-ils, trois ans après ? Témoignage de manifestants de la première heure.

Un rond-point de gilets jaunes en Bretagne © AFP / Martin Bertrand / Hans Lucas

Trois ans plus tard, les gilets jaunes sont toujours régulièrement dans la rue, relancés par les manifestations antipass ou anti-vax. Mais on est loin des chiffres atteints au plus fort du mouvement.

Parmi les expériences « gilets jaunes », une a particulièrement marqué : l’Assemblée des assemblées les 26 et 27 janvier 2019, quand plusieurs représentants de régions se sont réunis à Commercy, une commune de 5.800 habitants, dans la Meuse pour essayer de construire un mouvement selon un principe de démocratie participative. Tout était absolument mis au vote, des décisions de fond au fait de lancer des porte-clefs gilets jaunes.

Certains se sont ensuite lancés en politique, échouant à la mairie de Commercy mais emportant celle de Ménil-la-Horgne, non loin de là.

Ce sont deux gilets jaunes parmi d’autres. Pas de leader : il n’y en a pas, disent-ils.

Emmanuelle, 49 ans, travaille dans l’industrie agroalimentaire à Commercy. Jonathan, 38 ans est fonctionnaire territorial et a créé un nouveau syndicat proche de Sud Solidaires pour ses collègues à la suite de son engagement gilet jaune. Tous deux sont gilets jaunes depuis le tout premier jour et le sont restés. Ils racontent à France Inter leur bilan, trois ans après le début du mouvement.

Les débuts

Jonathan se souvient : « Il y a trois ans, on était 500 à 900 à bloquer tous les ronds-points de la ville. Le rond-point des vaches bleues, c’est là où on a pris les premières décisions. Il y a ensuite eu la cabane en centre-ville où on se rassemblait, on était plus visible pendant quelques mois puis le maire l’a fait démonter. »

« À la base, je m’étais engagé dans les marches pour le climat parce que j’ai des convictions plutôt écolos. Et quand j’ai vu la mobilisation des gilets jaunes qui était en train de se créer, pour moi, c’était évident qu’on ne pouvait pas faire de l’écologie sans prendre en compte le côté social, la solidarité, et donc qu’il fallait être là et militer. Ça m’a apporté beaucoup. J’ai grandi en HLM en région parisienne, j’ai réussi à m’en sortir, à faire des études. Et puis, petit à petit, j’ai un peu coupé les ponts aussi avec un milieu social dans lequel j’ai grandi. Les gilets jaunes m’ont permis de renouer avec mon milieu d’origine. »

Emmanuelle complète : « La cabane, c’était un point de rencontre et d’information. Il y en a qui passaient le matin, d’autres faisaient les trois huit et passaient en fin d’après-midi. Ça a commencé au début avec l’essence mais en fait, le sujet qui est arrivé très vite, ça a été le fait qu’on était obligés de survivre et non pas vivre, le fait de n’avoir rien dans les frigos, que tout augmente et que les gens arrivent de moins en moins à s’en sortir, toujours moins de loisirs, moins de sorties, toujours travailler plus, toujours avoir moins d’argent et être plus taxé. Et on s’est rendu compte que c’était général. On se croyait isolés à ce moment-là et on s’est rendu compte que c’était les mêmes soucis pour tous. »

La démocratie participative

Emmanuelle : « C’était une superbe expérience parce qu’on a tous été dedans. On a travaillé d’arrache-pied parce qu’on a passé des nuits et des nuits et des heures à travailler dessus, à voter chaque question, chaque mot, chaque réponse. Tout ce qui a pensé à tous était énorme. On voulait vraiment avoir quelque chose avec le temps, la transparence la plus totale. » Il répète le mot trois fois, puis évoque « le fait que tout le monde puisse parler sans avoir peur, sans qu’il y ait de leader, sans qu’il y ait de tête, sans qu’il y ait de je ne sais pas quoi, en fait, mais tout le monde était égal, tout le monde pouvait parler. Il n’y avait rien de caché, tout était voté. C’était un truc de dingue, un côté peut-être un peu féérique parce que c’est hyper compliqué de mettre ça en place par la suite, même si on l’a fait pendant les réunions, on a passé plus de temps à voter pour un crayon noir ou un crayon rouge que certaines choses, mais au moins, on la fait vraiment de façon démocratique. »

Jonathan : « C’était un formidable outil d’émancipation pour les personnes qui ont participé à l’Assemblée des assemblées. Elle continue d’ailleurs, la dernière, c’était en région parisienne. Il y a plein de débats, il y a plein de difficultés. C’est à l’image du mouvement des gilets jaunes. C’est compliqué, mais on ne lâche rien. »

Porter le gilet jaune

Jonathan le reconnait : « Ce n’est pas toujours simple d’assumer le gilet jaune. Le plus difficile, je pense, c’était quand on a commencé à nous qualifier de fous, de haineux, de racistes par les pro-Macron. Moi, le gilet jaune, je le mettais quasiment tout le temps au début du mouvement, on se sentait très soutenu et on a senti le regard des gens qui a commencé peu à un peu à s’assombrir. À cause notamment des violences qui pouvaient être montrées un peu de façon déformée par certains médias. Mon gilet jaune est toujours accroché dehors chez moi en centre-ville. C’est juste un moyen de reconnaissance entre nous alors qu’on a voulu faire de nous une catégorie social. »

Et maintenant ?

Emmanuelle veut rester mobilisée : « J’ai fait presque toutes les manifestations, j’en ai raté deux parce que j’avais mal au dos. Je continue parce que : qu’est ce qui a changé ? Est-ce qu’on a des libertés ? On en a aucune de tous les côtés. Que ce soit avec le pass sanitaire, sur la liberté de manifester, sur les droits de l’homme, la violence policière, la loi globale, le chômage. C’est toujours ceux qui ont déjà pas d’argent qui vont encore trinquer là-dedans. Donc je continue tant qu’il n’y aura pas quelque chose qui ira pour aider le peuple. On n’en n’a rien à faire des riches, nous, on est les gens du peuple et normalement un président, il est là pour aider son peuple, pas les multinationales et les lobbies. »

« Si on regarde, l’essence est plus chère que quand on a commencé il y a trois ans. Maintenant, il y a l’électricité et le gaz qui augmentent. Le chômage maintenant, il faut cotiser encore plus longtemps pour pouvoir être dedans. Les gens n’arrivent déjà pas à s’en sortir. »

Jonathan est sur la même ligne : « Je suis resté un militant très actif. Depuis, j’ai aussi créé un syndicat dans ma branche professionnelle. Je me suis fédéré avec une fédération qui était très militante, Sud Solidaires. Comme la majorité des Français, je ne connaissais pas mes droits syndicaux, je ne savais pas comment ça fonctionnait. J’ai rencontré des membres de Sud à Nancy, dans une manif en plein centre-ville. Pendant le blocage, on a discuté de comment on faisait pour créer un syndicat. »

« Sur les gilets jaunes, il y a beaucoup de gens qui sont retournés chez eux. Il y en a qui sont restés militants gilets jaunes. Il y en a qui sont restés militants citoyens. Il y en a qui sont retournés dans leur collectif de lutte ou d’associations, etc. Mais tout le monde est resté un peu en contact. »

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