latribune.fr le 14/01/2022
POLITISCOPE. Avec le blocage des tarifs réglementés, pour limiter la hausse des prix à 4 %. EDF va devoir vendre une quantité plus importante d’électricité nucléaire bon marché à ses concurrents. La panique gagne l’électricien dont le cours de bourse s’est effondré. Le PDG Jean-Bernard Lévy vient de convoquer pour lundi le « top 200 », les 200 plus hauts cadres d’EDF. On évoque déjà une nécessaire recapitalisation d’EDF. L’État remettra-t-il encore au pot ? Ou l’exécutif imagine t-il faire appel à des investisseurs extérieurs ? La question va être explosive à trois mois de la présidentielle.
Il n’y a pas que sur le front de la pandémie que rien ne va plus pour l’exécutif : la bombe énergétique est en train d’exploser un peu partout dans le monde. Face à ces enjeux considérables en plein dérèglement climatique, la France apparaît depuis de trop nombreuses années comme immobile sur le sujet, incapable de formaliser une nouvelle stratégie globale. Résultat, les annonces et les alertes s’enchaînent, et la panique gagne une bonne partie des acteurs du secteur, et en particulier chez EDF.
Pour l’électricien national, les mauvaises nouvelles s’accumulent depuis plusieurs semaines. Cette semaine, le groupe public a d’abord reconnu officiellement que l’EPR de Flamanville, ce réacteur prototype de troisième génération qui multiplie les déboires, accuse un nouveau retard : la date de chargement du combustible dans la cuve du futur réacteur est « décalée de fin 2022 au second trimestre 2023 », a annoncé EDF. L’annonce a fait l’effet d’une déflagration alors que le président Macron a annoncé à plusieurs reprises depuis l’automne son intention de relancer la filière nucléaire française. D’autant que cela fait bien longtemps que Jean–Bernard Lévy, le PDG d’EDF, tente désespérément un arbitrage de l’État pour lancer la construction de six réacteurs EPR en France.
En réalité, cette annonce était un secret de polichinelle. Au plus haut de l’État, on savait déjà. Ainsi, quand Emmanuel Macron fait ses déclarations pro nucléaires à l’automne, il est déjà informé du énième retard de l’EPR de Flamanville. Il sait déjà que le prototype n’est pas encore prêt à voir le jour, et c’est justement pour cette raison qu’il ne l’évoque jamais dans ses discours. En visite chez Framatome en décembre 2020, le président avait d’ailleurs dévoilé un agenda qui ne laissait guère de doutes : « La décision définitive de construction de nouveaux réacteurs doit être préparée et devra être prise au plus tard en 2023, lorsque Flamanville 3 sera entré en service ». Pour une figure du nucléaire français, il est clair que l’EPR n’a plus les faveurs de l’Elysée malgré l’activisme de Jean–Bernard Lévy sur le sujet. Mais quel pourrait être un plan B qui tiendrait la route ?
L’année 2021 avait pourtant bien terminée… Fin décembre, on apprenait via quelques fuites de presse que la France était en train d’imposer le nucléaire comme énergie verte dans le cadre des débats Bruxellois sur la « taxonomie verte ». Les articles se réjouissaient alors d’une victoire « française » face au front anti nucléaire au niveau européen (front en partie mené par l’Allemagne). Mais comme souvent, le diable se loge dans les détails. Et peu de journalistes ont remarqué que les arbitrages en cours allaient permettre à l’Allemagne, grand importateur de gaz russe, de faire passer également le gaz en énergie verte ! Ce qui signifie en réalité que l’Allemagne va pouvoir fournir l’Europe entière en gaz (via Nord Stream, et Nord Stream 2), en contournant les taxations écologiques.
Car derrière les discussions sur la « taxonomie verte », il n’était pas uniquement question des autorisations de financement public, il s’agissait aussi de statuer sur le périmètre des taxations écolos… Derrière cette victoire apparente, on trouve donc une véritable victoire du lobby gazier, une énergie pourtant carbonée. Il y a quelques jours, le 23 décembre 2021 exactement, on apprenait ainsi (très discrètement) qu’Engie vient de signer un important contrat d’achat de gaz de schiste avec le groupe US Cheniere Energie… Fin 2020, un premier contrat d’importation de gaz de schiste entre Engie et les États–Unis avait finalement été cassé par le gouvernement, notamment sous la pression des associations écologistes. Cette fois-ci, le nouveau contrat a bien été signé et paraphé.
Cette information est d’importance car comme on l’a vu avec le retour du grand froid ces dernières semaines, le parc nucléaire français n’arrive plus à fournir en énergie la population et les entreprises françaises, et EDF est obligé d’importer de l’électricité d’autres pays européens, et notamment l’Allemagne. Pour quelles raisons ? Tout simplement parce que le parc nucléaire est particulièrement vieillissant, et son taux de disponibilité est en chute libre. L’électricien national aurait besoin de dizaines de milliards d’euros d’investissement pour sortir de la zone rouge en terme de disponibilité de son parc. Là encore, on apprenait cette semaine qu’une anomalie avait été constatée à la centrale de Penly, un défaut de corrosion déjà constaté dans les centrales de Chooz et Civeaux. Résultat, la production nucléaire d’EDF sera inférieure à 330 téra wattheures cette année, et pourrait meme tomber à 300, au plus bas depuis trente ans. Une fuite en avant.
Pour ne rien arranger, le gouvernement a décidé aujourd’hui le blocage des tarifs réglementés, pour limiter la hausse des prix à 4 %. EDF va devoir vendre une quantité plus importante d’électricité nucléaire bon marché à ses concurrents. Depuis ce jour, la panique gagne EDF. Jean-Bernard Lévy vient de convoquer pour lundi le « top 200 », les 200 plus hauts cadres d’EDF. L’heure est grave. Son cours de bourse a chuté fortement, se retrouvant au plus bas depuis septembre 2020. L’Elysée est au pied du mur. On évoque déjà une nécessaire recapitalisation d’EDF. L’État remettrait il encore au pot ? Ou l’éxécutif imagine t-il faire appel à des investisseurs extérieurs ? La seule chance d’Emmanuel Macron est que l’énergie ne fait pas encore les gros titres au cours de ce début de campagne présidentielle. Jusqu’à quand ?
Marc Endeweld
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