>> 1) Une première réunion pour dérouler un tapis rouge au ministre ?
Il s’agissait de la première réunion du comité de suivi des recommandations de la mission flash sur les urgences et les soins non programmés.
Elle se déroulait un mois après la publication du rapport de la mission flash et 3 semaines après l’instruction transmise aux ARS pour la mise en application des 41 recommandations.
« Il s’agit d’une boîte à outils (qui pourra être élargi à la fin de l’été) et d’une nouvelle méthode » selon le Ministre de la santé, François Braun, « pour rénover le système de santé ».
Cette réunion est « la première marche d’une grande concertation qui va démarrer début septembre » a-t-il ajouté.
Le ministre, dans sa présentation évoque 3 principes de base :
– « une méthode de travail basée sur l’écoute, l’action et les résultats (avec l’évaluation de ces résultats) »
– « l’importance que je veux donner aux territoires (pour aller chercher les bonnes idées) »
– « s’appuyer systématiquement sur un triptyque : les soignés / les soignants / les élus »
Le ministre dit faire le tour des territoires en ce moment « pour rencontrer des professionnels heureux » suite à la mise en œuvre de ces mesures. Il a cité Dijon, Saint Etienne, Arras, Fontainebleau…
Pour la CGT, ce n’est pas du tout le retour que nous avons du terrain !!!
Officiellement, le but de cette réunion était de « faire un premier bilan des mesures mises en place ainsi que des freins qui pourraient bloquer ». Dans la pratique, il a été surtout question de dérouler un tapis rouge au ministre et à l’action des ARS.
La réunion a duré 2h50mn. Environ 70 participants à cette réunion (DGOS, ARS, CNAM, représentants des associations de maires, représentants des usagers, syndicats de médecins, syndicats de personnels non médicaux…).
Une prise de parole par organisation. Environ 40 prises de parole.
Beaucoup de médecins sont intervenus. De très nombreuses interventions du secteur privé et libéral. Ce gouvernement fait la part belle aux libéraux, que ce soit dans la parole ou dans les financements (meilleures indemnisations des déplacements des IDE libéraux, partage de la permanence des soins entre public et privé…)
La plupart des interventions allaient dans le sens de féliciter le ministre de la santé pour sa mission flash et ses 41 mesures proposées : « On sait que vous faites au mieux »… « vous avez été très complet monsieur le ministre »… « On sera à vos côtés »… « Excellent travail monsieur le ministre »… « Merci pour votre discours de transparence et de vérité »… « Comme les autres participants, nous tenons à vous remercier pour la mission flash et ses mesures »…
Beaucoup d’efforts ont été déployés pour donner l’impression, ou plutôt l’illusion d’un consensus, autour de la mise en place ces mesures.
Quelques critiques, mais souvent à la marge : des points particuliers de mise en œuvre, pour demander plus de flexibilité (sur l’organisation, les statuts…), demander plus de complémentarités public/privé (comme avec les CPTS) ou davantage de téléconsultation (et plus globalement d’outils numériques pour le secteur privé). Des difficultés entre différentes « régulations médicales » ont été relevés (centre 15 / 116-117/ régulation par des médecins libéraux variable selon les territoires…). Plusieurs intervenants ont quand même dû convenir de « tensions RH » bien réelles et des inquiétudes pour le mois d’août et la rentrée. A noter que l’ARS Occitanie a indiqué au ministre que les établissements qui avaient fait le choix de recruter en amont de la crise en voyaient les effets aujourd’hui avec moins de difficulté pour trouver du personnel (condition de travail moins dégradées ?) et donc, beaucoup moins de recours aux mesures visant à « réguler » l’accès aux soins.
La CGT a réalisé l’intervention la plus punch, la plus critique vis-à-vis du gouvernement et des mesures de la mission flash (en s’appuyant sur des exemples concrets de dysfonctionnements, ou de mise en danger des populations), tout en portant les revendications des personnels. FO et la CFDT sont intervenus ensuite pour dire qu’ils n’apportent leur caution ni à la méthode ni aux mesures proposées. Au niveau des représentants du personnel médical, seule l’AMUF a eu une voix discordante pour dénoncer la situation comme le manque de lits d’aval ou les difficultés des SAMU (manque d’ARM…). Concernant les représentants des élus, seul le représentant des maires ruraux a dénoncé le tri des patients et des difficultés grandissantes d’accès aux soins.
Une conférence sera organisée en septembre à laquelle toutes les organisations seront associées.
Des réunions en bilatérale ont également lieu en ce moment avec toutes les organisations présentes.
Pour ce qui est de ce comité de suivi, les prochaines réunions sont prévus :
– Le 30 août à 11h30
– Le 16 septembre à 10h30
Elles dureront environ 2h00 à chaque fois
>> 2) Une volonté, non pas d’améliorer la situation à l’hôpital, mais de changer de système
On a surtout senti une volonté de minimiser la gravité de la situation. La campagne brutale et honteuse pour donner l’injonction aux patients de ne plus venir aux urgences et à l’hôpital ne semblait choquer personne.
On avait l’impression que le manque d’effectifs n’était pas un problème puisqu’il a été occulté globalement des discussions à quelques rares exceptions dont la CGT.
Les différents représentants des élus étaient très peu revendicatifs et suivaient globalement le mouvement pour encenser le ministre.
La volonté du ministère est surtout d’avancer très vite. On nous a annoncé des mesures temporaires pour l’été, mais on a ressenti leur volonté de les pérenniser au delà de cette période. Ils parlaient de « boîte à outils », mais cela allait bien au delà ! Il s’agit d’un changement de système !
Ils saisissent l’occasion de la crise des urgences pour accélérer la transformation du système de santé avec un hôpital public devenant progressivement une solution de dernier recours au bénéfice de structures et d’acteurs privés de premier recours bénéficiant des équipements médicaux et des outils numériques.
De nombreuses interventions, et notamment de médecins libéraux, ont insisté pour demander plus de flexibilité (sur les statuts, sur la formation, en matière d’organisation…), des actes mieux rémunérés, davantage de complémentarité public/privé, plus de moyens pour les structures privées…
Alors que les établissements sont sous l’eau, et que nous n’avons jamais connu une situation aussi chaotique, les interventions semblaient l’occulter, elles n’étaient pas du tout sur les questions de formation, de recrutements, de donner plus de moyens aux hôpitaux… L’intervention de la CGT semblait en décalé avec le discours ambiant qui était surtout dans la logique de réduire l’afflux des patients à l’hôpital, donner plus de place au privé, développer la télémédecine et changer de modèle.
>> 3) Une intervention de la CGT pour remettre les pendules à l’heure
Ci-joint l’intervention de la CGT Santé lors de cette réunion avec le ministre :
» Bonjour Monsieur le ministre, merci de nous avoir invités à cette première réunion.
Pour la CGT les choses ont été claires dès le moment où nous avons pris connaissance du rapport de la mission flash ! Nous estimons que ces recommandations vont à l’encontre de nos demandes et de la sécurité de la population. Et tout particulièrement la campagne honteuse, culpabilisante, dangereuse qui dit aux patients : ne venez plus, n’espérez plus être accueillis et soignés à l’hôpital sans passer par le 15 !
On voit aujourd’hui les conséquences de ces mesures.
On voit même désormais des courriers donnés à des patients hospitalisés comme au centre hospitalier d’Orléans pour qu’ils libèrent plus vite leur chambre en trouvant eux même si nécessaire les solutions pour organiser leur transfert vers d’autres établissements. Nous sommes scandalisés par ce genre de processus !
Nous n’acceptons pas la banalisation de ce discours qui renverrait vers les patients la responsabilité de la saturation actuelle des établissements et du système de santé ! Nous tenons à rappeler un chiffre : 12% de la population n’a pas de médecin traitant,
Nous avons suffisamment été dans la rue ces dernières années, en annonçant la catastrophe qui est en cours aujourd’hui, pour savoir que ce ne sont pas les patients qui sont responsables du manque de moyens, du manque de lits et du manque de personnels à l’hôpital !
Ce qui nous remonte de nos syndicats et des professionnels, c’est que c’est bien le manque de lits d’aval qui encombre les urgences et non les patients qui viennent par eux-mêmes et qui repartent après les soins.
On estime donc que les conséquences sont gravissimes quand les patients ne peuvent plus accéder directement aux urgences, on l’a encore vu récemment aux Sables d’Olonne, avec cette famille qui a dû trouver elle-même des solutions pour leur bébé qui était en train d’étouffer. Ils ont d’abord été refusé aux urgences ou ils se sont présentés, en application des préconisations de la mission flash. Finalement, sans réussir à joindre le 15, ils ont enfin été accepté dans d’autres urgences à plusieurs km de là. Leur bébé est resté hospitalisé 5 jours !
Un autre élément qu’on tient à vous dire monsieur le ministre, c’est que nous voulons particulièrement marquer notre désaccord avec vos propos tenus lors de votre visite au CHU de Nantes disant qu’il n’y avait pas de fermetures de services d’urgences actuellement. Nous avons des retours de nos syndicats qui nous indiquent qu’il y a des dizaines de services qui sont actuellement fermés. On pourrait vous citer Draguignan, Loches, Amboise, Marmande, Laval etc… SAMU Urgences de France annonce que 42 services seraient actuellement fermés. Les fermetures de nuit ou de week-end sont parfois annoncées la veille pour le lendemain à la population par voie de presse. C’est un chaos généralisé et le déni du gouvernement, par votre voix, monsieur le ministre, nous semble dangereuse et nous craignons des drames, qui commencent à arriver.
Sur les éléments factuels de la situation, nous voyons depuis le début de l’été, depuis l’instruction du 11 juillet, des centres d’appel SAMU enregistrer des augmentations exponentielles de leurs appels (20%, 30%, voire 50%… selon les endroits). Et nous sommes très loin des taux de 90 ou 95% de décrochés dans la première minute, puisque ces taux sont en train de s’effondrer pouvant parfois atteindre moins de 10%.
Tout cela est vérifiable, nous pensons notamment aux témoignages récents concernant le département de Seine-Saint-Denis.
Les délais d’attente pour avoir un médecin généraliste, dans le circuit de la régulation dite « non urgente », explosent également ! Des heures d’attente au téléphone… Beaucoup de patients abandonnent…
Et malgré tous ces filtres, malgré ce tri des patients (car il n’est plus question de jouer sur les mots aujourd’hui), de nombreux syndicats nous font remontrer que l’activité des services d’urgences n’a pas été modifiée. Bien au contraire, il y aurait souvent une augmentation d’activité liée aux fermetures des urgences d’hôpitaux proches. On observe plus de passages aux urgences avant les fermetures de nuit par exemple, où à l’ouverture au petit matin, avec des patients qui retarde leur prise en charge.
Ce qui nous remonte aussi par rapport à la recommandation d’hébergement en EHPAD en relai d’hospitalisation, c’est qu’actuellement, il y en a de moins en moins d’infirmières particulièrement la nuit. La généralisation d’hébergement hospitalier dans les EHPAD ne nous parait pas du tout possible en l’état actuel
Les professionnels des services d’urgences nous disent que ce sont les lits pour hospitaliser leurs patients qui manquent. On l’a d’ailleurs vu dans beaucoup de photos avec des brancards qui s’accumulent dans des couloirs, utilisées y compris par certaines directions comme à Saint Nazaire pour dissuader de manière cynique les patients de venir à l’hôpital !
Les plans blancs qui ont été remis en place dans plusieurs établissements ces dernières semaines ont provoqué encore plus de fermetures de lits, avec des interventions chirurgicales reportées sur la rentrée. C’est une bombe à retardement ! Nous allons avoir un mois d’août, encore plus difficile que le mois de juillet, et pourtant, le grand absent des mesures du gouvernement c’est une réelle rupture avec la politique actuelle, puisque les restructurations d’établissements continuent, les réductions capacitaires continuent… Par exemple, la fusion des hôpitaux de Beaujon et Bichat, avec 400 lits fermés à la clé, n’est toujours pas remise en question !
Pour nous, il y a des mesures à prendre immédiatement :
– la titularisation des 250 000 contractuels de la fonction publique
– la réintégration des suspendus
– l’augmentation du point d’indice à 20%
– la revalorisation des indemnités de nuit, week-end et jour férié
La situation est grave ! La fatigue, la défiance et la colère sont très importantes ! Nous estimons, Monsieur le ministre, que vous devez répondre à ces revendications immédiates pour endiguer la fuite des personnels et pour faire revenir celles et ceux qui sont partis ! Ainsi qu’un grand plan de formation et de recrutement à la hauteur des besoins !
Enfin, la Fédération CGT Santé a eu des retours d’évènements graves sur le mois de juillet. Nous avons décidé de recenser ces incidents (sédation des patients restants sur des heures sur des brancard aux urgences d’Alençon… hospitalisation directe d’enfant à Manosque avec la rate et le foie fissurée sans passer par les urgences avec retard de diagnostic… des ambulances bloquées pendant des heures à l’hôpital de Montpellier…) et de lancer une campagne d’alerte au président de la république et à vous monsieur le ministre de la santé pour rendre publique ces situations dramatiques que nous vivons et que nous estimons aussi induites par la mise en œuvre de ces mesures !
Nous craignons particulièrement le mois d’août qui arrive !
Des collègues nous indiquent vouloir quitter l’hôpital à la rentrée si ça ne s’améliore pas !
Il est urgent de répondre aux revendications ! «
Pierre Weber
Je me demande… Non en fait je ne me le demande plus! Qu’est ce qu’on va foutre dans ce genre de réunions encensoir? On perd du temps et de l’énergie. Les technocrates savent très bien ce qui se passe dans les services, le manque de lits, de soignants, de moyens, l’exaspération et le désespoir de ceux qui restent et qui se demandent combien de temps ils vont encore tenir… Pas besoin de le leur expliquer puisque c’est eux qui organisent le naufrage. Les tenants de l’ultra libéralisme leur ont donné la feuille de route : Il faut désorganiser l’hôpital public au point qu’il n’y ait plus qu’une perspective, refiler le bébé aux capitaux privés. Pour les Orpéa de tous poils la réélection de Macron et de sa clique c’est un investissement sur 5 ans qui doit produire des résultats. Ils ont déjà un projet juteux parmi d’autres, l’E Santé un processus numérique de diagnostic à distance dont le but revendiqué est l’augmentation vertigineuse des profits et la diminution du nombre de lits d’hospitalisation et des effectifs. Quand au bénéfice apporté aux patients, ils s’en foutent comme de leur première surblouse. L’état complice met la main à la poche pour rassurer les investisseurs en lâchant les premières subsides via BPI France une banque publique qui joue avec nos impôts. Une pléiade de start-up numériques est en cours de développement pour rentabiliser tout ce qui pourra « solutionner » la crise de l’hôpital public : cabines de « téléconsultations », télé-suivi à domicile, visio-consultation à distance en psychiatrie, ça s’appelle Doctopsy. Le meilleur des mondes encore pire que celui imaginé par Aldous Huxley lui même! A lire dans https://www.monde-diplomatique.fr/2022/07/BALBASTRE/64832. Devant les menaces qui pèsent sur notre modèle de santé publique il est plus important de dire les périls aux citoyens.nes que de tenter de plaider devant un ministre qui n’a que mépris pour le personnel soignant, au point qu’il réfute la réalité de la fermeture des services d’urgences. Il me parait indispensable de lancer une vaste opération vérité, pédagogique, une rencontre entre les usagers et les soignants pour revendiquer en commun un vrai service public de la santé…
MONDE-DIPLOMATIQUE.FR
La mine d’or de l’e-santé
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