« j’écoute tout le monde me raconter, qu’aujourd’hui, ce n’est pas difficile d’être homo. que c’est courant. que c’est admis. il y a toujours cette x personne, prénom à l’appui, pour servir d’exemple — regarde, elle est homo, ça ne gêne personne. et c’est encore regarder à côté. c’est parler de personne au nom de tout le monde. mais pas de x, cet·te homo qui exagère. alors quand j’ai peur de tout inventer, je me souviens seulement de toutes les choses horribles que je me suis dites. toute la haine que je me suis portée, sans l’aide des autres. toute la honte dont je me drape encore. les reproches que je m’adresse. tous les blocages desquels je participe. toutes les portes que je me ferme. Les insultes dont je me berce. tout le monde pense qu’aujourd’hui trans-pédés-gouines riment avec pride-paillettes. nos exubérances n’ont d’égales que nos peurs. nos fiertés n’ont d’égales que nos hontes. oui, les paillettes sont aussi le visage de la pudeur. »
Dans Colza de Alice Baylac, p54
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Nous, trans-pédés-bi·es-gouines, LGBTQIA+ et autres queeros des campagnes, voulons concilier nos identités avec nos aspirations à vivre, à travailler et à agir en milieu rural.
Nous revendiquons notre droit d’exister et de nous épanouir comme nous sommes, où bon nous semble.
Certain·es d’entre nous sont en quête de lieux où rayonner d’extravagance et d’anormalité sans avoir à se poser mille questions, à commencer par : suis-je en sécurité ? Nous fouillons les campagnes pour nous retrouver, nous regarder, nous soutenir et danser, hors des villes que certain·es ont quittées, si grandes et pourtant si étouffantes, foisonnantes mais étriquées.
D’autres n’aiment pas se mettre en avant, se montrer et être regardé·es. Pourquoi ? Pour une partie d’entre nous, parce que nous avons été contraint·es, dans les campagnes où nous avons grandi, à nous cacher : aux autres, et à nous-mêmes. Parce que trop souvent nos réalités étaient dures à vivre, à assumer dans cette société tellement intolérante. L’égalité des identités et des sexualités, prônée et censée être garantie par un cadre légal, est si peu effective ! L’hétéronormativité, la cisnormativité* nous ont appris, à nos dépens, la nécessité de la discrétion, jusqu’à faire de nous, parfois, des êtres qui ne font pas de vagues.
Nous avons besoin aujourd’hui, malgré l’effort que ça nous demande, de sentir nos carapaces se ramollir et nos boucliers se transformer. Pour nous et pour toutes les personnes qui se reconnaissent dans ces mots. C’est à nous-mêmes de le faire.
Faire la place à nos joies mais aussi à nos colères, celles de devoir lutter, quotidiennement, contre l’oppression et la violence de notre société, de tout un système.
Nos marginalités n’ont malheureusement pas toujours la place d’exister. Il s’agit, pour nous, le 24 septembre prochain de laisser nos révoltes, nos revendications, nos bizarreries s’exprimer, d’interroger et déborder les normes par nos pluralités.
Prendre place donc, ce 24 septembre, en milieu rural : c’est d’autant plus important que nous y avons peu de lieux de sociabilité spécifiques et que l’anonymat y est paradoxalement impossible.
Plusieurs d’entre nous ont grandi à la campagne, ont manqué de représentations pour voir, savoir qu’une diversité d’identités, de manières de se vivre et de relationner existent en dehors de l’écrasant modèle hétérocispatriarcal. Celleux qui ont passé leur enfance en milieu rural ont eu l’impression que c’est en ville que ça se passe et de fait, nous sommes très nombreux·ses à y être passé·es pour se rencontrer, nous-mêmes et notre communauté. Celles-là, comme ceux qui sont arrivé·es au fil de leurs existences à la campagne, se demandent comment continuer de briller, rencontrer et baiser hors la ville. Dans quels espaces endosser les paillettes, se sentir exister ?
Nous, trans-pédés-bi·es-gouines, LGBTQIA+ et autres queeros des campagnes, sommes en colère : combien d’années encore, combien de personnes, de générations d’enfants, vont subir des violences morales et physiques, ces violences systémiques dues au ravage des mentalités hétérocentrées ? Combien d’années encore à être discriminé·es, à n’avoir légalement que des petits bouts de droits ?
Nous prenons place, ensemble, nous nous montrons, nous luttons, crions et nous continuerons de le faire tant que la honte n’aura pas changé de camp, tant que l’un·e de nous ne sera pas regardé·e comme ce qu’ielle est et pas comme ce qu’ielle n’est pas.
Nous invitons nos proches, nos allié·es, celleux qui ne sont pas sûr·es, se questionnent, qu’on n’a pas encore rencontré·es, qui habitent maintenant en ville ou encore en ville, dans les campagnes proches ou lointaines, à venir défiler avec nous !
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*Cisnormativité : désigne un système social dans lequel la norme est d’être cisgenre, c’est-à-dire de se reconnaître dans le genre assigné à la naissance. Concevoir le monde comme cisgenre a pour conséquence de négliger, invisibiliser et réprimer les expressions de genres non-conformes.
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