Treize ans après son interdiction, le Mediator, médicament prescrit à environ cinq millions de personnes contre le traitement du diabète mais également comme coupe-faim, continue de faire parler de lui. Les laboratoires Servier, qui l’ont mis sur le marché en 1976, sont jugés en appel à Paris à partir de 13h30, lundi 9 janvier. Le procès est prévu pour durer près de six mois. En première instance, il s’était étalé sur dix mois, dont une interruption de deux mois pendant le confinement du printemps 2020. Le tribunal correctionnel de Paris a rendu son jugement le 29 mars 2021.
Les laboratoires Servier ont été condamnés à payer 2,7 millions d’euros d’amende pour tromperie aggravée et homicides et blessures involontaires. Reconnu coupable des mêmes chefs, l’ancien numéro deux de la firme, Jean-Philippe Seta, a été condamné à quatre ans d’emprisonnement avec sursis et à 90 600 euros d’amende. Le tribunal correctionnel de Paris a considéré qu’ils avaient été « les auteurs d’une fraude d’une ampleur considérable et inédite, dont ont été victimes des milliers de patients », alors qu’ils « disposaient, à partir de 1995, de suffisamment d’éléments pour prendre conscience des risques mortels » liés au Mediator.
Un appel de la relaxe partielle
Bien qu’il reconnaisse des « dissimulations » de la part de la firme sur les propriétés « coupe-faim » du Mediator, le tribunal correctionnel de Paris estime, dans son jugement, que celles-ci « ne peuvent pas constituer à elles seules des manœuvres frauduleuses ». Ainsi, il a relaxé Jean-Philippe Seta, comme le groupe pharmaceutique, du délit d’escroquerie. C’est de cette relaxe partielle que le parquet de Paris a fait appel, le 6 avril 2021. Car la condamnation est bien en deçà des réquisitions du ministère public, qui avait réclamé, en juin 2020, un total de 10,228 millions d’euros d’amende à l’encontre de la maison mère et de cinq sociétés des laboratoires Servier.
Le tribunal correctionnel a également relaxé le groupe Servier du chef d’obtention indue d’autorisation de mise sur le marché, estimant que les faits étaient prescrits. Le parquet de Paris a aussi fait appel de cette relaxe.
Une décision saluée par les victimes
« Cet appel était une décision voulue par mes clients », avait à l’époque salué, en réaction à la décision du parquet de Paris, Charles Joseph-Oudin, conseil de plusieurs centaines de victimes directes. « Dans la décision du tribunal, il y avait un élément très troublant : le fait que la Sécurité sociale et les mutuelles ne soient pas remboursées de sommes très importantes », avait ajouté l’avocat auprès de l’AFP. Or, c’est sur le fondement du délit d’escroquerie au préjudice de la Sécurité sociale, qui a remboursé à 65% le Mediator, et des mutuelles, « que reposaient les demandes (…) en réparation des préjudices liés au remboursement du médicament », explique, dans un communiqué du 6 avril 2021, le procureur de la République de Paris de l’époque, Rémy Heitz.
Cet appel « concerne l’ancien directeur opérationnel et certaines sociétés du groupe Servier », précise Rémy Heitz. En revanche, le parquet de Paris spécifie bien que l’appel ne remet pas « en cause les condamnations intervenues sur d’autres fondements, notamment les homicides et blessures involontaires ou la tromperie aggravée, ni les autres relaxes prononcées par le tribunal ». Par exemple, une ancienne sénatrice, poursuivie pour complicité de trafic d’influence, soupçonnée d’avoir modifié la rédaction d’un rapport sur le Mediator après une « visite clandestine » au Sénat d’un conseiller du groupe Servier et ancien directeur général de l’Inserm, a été relaxée, faute de preuve.
L’appel ne concerne pas non plus l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex-Afssaps), condamnée à 303 000 euros d’amende pour avoir tardé à suspendre la commercialisation du Mediator malgré sa toxicité, et qui accepte la décision de justice la concernant.
Une condamnation contestée par Servier
Deux jours après l’appel du parquet de Paris, les laboratoires Servier ont annoncé dans un communiqué en prendre « acte ». « Cette décision entraîne donc la tenue d’un nouveau procès dont le parquet de Paris porte la responsabilité. Les laboratoires Servier étaient disposés à accepter le jugement du tribunal afin de mettre définitivement un terme à cette affaire judiciaire, malgré leur condamnation qu’ils estiment infondée », écrit la firme. Et d’ajouter : « En conséquence, les laboratoires Servier ont pris la décision de faire appel de leurs condamnations au titre des délits de tromperie aggravée et d’homicides et blessures involontaires. »
La décision d’interjeter appel du parquet de Paris, suivie de celle des laboratoires Servier et de Jean-Philippe Seta, ont donc mené à un nouveau procès. Six personnes morales et une personne physique sont rejugées devant la cour d’appel de Paris pour escroquerie, tromperie, homicides et blessures involontaires, ainsi que pour obtention frauduleuse de document administratif. L’audience va se dérouler les lundis après-midi, mardis et mercredis toute la journée, dans la salle dite des « Grands procès », qui a accueilli ceux des attentats du 13-Novembre, puis de Nice. Et ce, jusqu’au 28 juin, date envisagée pour la fin des débats.
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