CE N’EST QU’UN DEBUT : LA CLASSE OUVRIERE PROFONDE COMMENCE A ENTRER EN MOUVEMENT
LA MOBILISATION DES PETITES VILLES LE 31 NOUS LE DIT
Beaucoup l’ont dit, le 31 était un raz-de-marée. Le mouvement de manifestations le plus important depuis 1995…. et depuis mai 68 dans certaines moyennes et petites villes. C’est cela qui a été important ce 31 janvier : des foules dans de nombreuses petites villes. Parfois avec plus de manifestants que d’habitants, les gens venant des bourgs et villages environnants. A Foix en Ariège, une ville de 10 000 habitants, il y avait 15 000 manifestants ! A Rodez, 15 000 manifestants pour 23 000 habitants. A Digne-les-Bains 8 000 manifestants pour 16 000 habitants… ce qui équivaudrait en proportion de 6 à 18 millions de manifestants à Paris.
La grande presse qui a peur de ce qui monte a tenu à dire qu’il y avait peut-être plus de manifestants mais moins de grévistes. C’est faux !
C’est l’inverse ! Les petites villes le montrent.
Certes, selon les directions syndicales qui tiennent à souligner cette soi-disant baisse de grévistes, il y aurait eu moins de grévistes dans l’éducation, la SNCF, les transports, l’énergie, la santé… Mais cela ne traduit qu’un désaveu de la tactique syndicale des journées d’action saute-moutons qui ont toujours conduit à l’échec… et qui coûtent cher. On perd 100, 200 euros par journée de grève avec souvent des primes qui sautent. Alors, deux ou trois journées pour de petites payes c’est difficile, surtout quand on sait qu’il ne s’agit pas là d’une tactique pour gagner mais seulement pour témoigner son opposition. Manifester pour témoigner on peut le faire de temps en temps mais pas trop. Se battre pour gagner c’est une autre affaire. Les directions syndicales sont en phase avec la volonté de « témoignage » du plus grand nombre mais pas avec celle de tous les militants et salariés qui veulent « gagner ». Certes ces derniers galèrent pour bâtir l’auto-organisation, des Assemblées Générales, où il n’y a pas encore foule et à partir de là construire un autre agenda de la lutte vers la grève générale, car il n’y a que la grève générale qui puisse nous faire gagner. Mais ces militants doivent se rassurer et persister dans leur combat pour l’auto-organisation, car le passage du sentiment de « témoigner » à celui de « gagner » peut se faire à tout instant et il est déjà quasi là, sous la forme de rage dynamique, et autoorganisée dans les petites villes.
S’il y a peut-être eu une baisse de grévistes dans la fonction publique, il y a eu une foule de grévistes venant des TPE et PME. C’est le tsunami de manifestants dans les petites villes qui le montre et par là donne la signification de cette journée du 31 et où va ce mouvement, bien que les représentants, militants, porte-paroles des organisations soient des grandes villes et ne portent guère la parole venue de ces régions.
Dans les petites villes, tout le monde était là. La mobilisation a dépassé largement le cadre habituel de la gauche. Électeurs de droite ou d’extrême droite étaient là aussi, tous tirés à gauche socialement, rassemblés par la mobilisation sociale. Dans les petites villes, la proportion d’ouvriers et d’employés est plus importante, les cadres résidant surtout dans les grandes. Il y a des aides-soignantes, des auxiliaires de vie scolaire, des accompagnants d’enfants en situation de handicap, des caissières, des ouvriers d’usine, qui travaillent en décalé, avec du temps partiel, de lourdes charges à porter, du travail répétitif, l’exposition aux polluants… tous des boulots éprouvants. La retraite est pour eux un moment de répit et de liberté qu’on leur vole qui a une valeur bien plus importante que pour d’autres.
Par ailleurs, plus qu’ailleurs, les grande tendances générales y sont plus accentuées, plus crues. C’est un condensé de ce qui va arriver demain à tout le monde si on laisse faire : il n’y a plus de médecin, plus de bus, plus de train, plus d’emploi stable… on a vu disparaître son usine, sa maternité et on voit son avenir s’assombrir un peu plus. Il y a un sentiment d’abandon et de mépris qu’aggrave cette réforme des retraites. Et puis les espaces de sociabilité qui donnent de l’estime de soi qui permettent de tenir quand tout fout le camp, sont aussi en voie de liquidation : les associations de parents d’élèves, les sociétés de pèche…
Il restait la famille. Mais la réforme des retraites la détruit. Les parents reportaient leurs espoirs de vie non réalisés sur leurs enfants. Elle fera qu’ils auront encore moins de droits, plus de galères au travail. À l’inverse, les enfants voient que leurs parents prendront leur retraite plus tard. Ce qui veut dire des souffrances supplémentaires pour des gens qu’on aime et le plus souvent, dans ces petites villes, avec qui on vit, ou pas loin. La réforme des retraites vient percuter cette bulle d’amour et de sociabilité. Alors, dans la famille, au travail, à la boulangerie, chez le marchand de journaux, on dit sa colère, on échange, on mesure qu’on n’est pas seuls, on donne le rendez-vous de la manifestation et on reprend confiance ensemble pour demain.
La sociabilité et la fierté on les retrouve dans la rue, dans le combat, la mobilisation, tous ensemble. Les manifestations y deviennent des sortes d’immenses Assemblées Générales. Beaucoup étaient ainsi surpris le 31 du nombre inhabituel de salariés du bâtiment ou du BTP, de serveurs de bistrots, de clercs de notaires, d’aides à domicile, de saisonniers, et puis aussi surpris par des petits patrons ou des mairies qui donnaient congés à leurs salariés pour aller à la manif, enfin des personnes en nombre qui applaudissaient le long des rues.
Cette participation dans les petites villes ces dernières années n’est pas un phénomène nouveau. Déjà, lors des manifestations contre la réforme des retraites de 2019, il y avait une mobilisation importante dans les petites villes. Et puis, encore plus important, ça a été le mouvement des Gilets jaunes, à partir de 2018 qui était un mouvement des petites villes. Parce que derrière la réforme des retraites, c’est l’enjeu du du monde qu’on veut qui se profile. Il y a bien sûr le pouvoir d’achat qui travaille toute la population, les salaires, les prix des carburants, de l’énergie, des produits alimentaires parce que « la vie est dure ». C’est l’occasion d’exprimer toutes les amertumes, les colères : inflation, hausse du prix des carburants, de l’énergie… car tout est lié. C’est le refus d’un monde qui se » délite et le souhait d’un autre monde qui est déjà là en filigrane et en marche.
Forts de l’importance des mobilisations, on dit souvent dans ces manifestations des petites villes qu’il faudra des actions plus dures, qu’il faudra déranger, qu’on ne sera plus gentils… et qu’on s’en prendra peut-être à des élus, à des symboles de l’autorité publique, au pouvoir local… Cela donne l’orientation pour demain, passer des sous-préfectures à l’Elysée.
Face à cette mobilisation massive, l’intersyndicale nationale refuse toujours de construire la grève générale mais, pour ne pas se faire déborder, a accéléré le rythme de la mobilisation avec les 7 et 11 février. Par contre, elle ne change pas sa tactique de journées saute-moutons qui a toujours été un désastre.
Mais cette fois, les petites villes le disent, tout est lié. Il n’y a pas de « journées d’action » quand on se bat pour un autre monde. On ne peut pas faire rentrer un fleuve en furie dans un carcan de petites journées saute-moutons.
Alors, au delà des 7 et 11, les secteurs de la chimie/pétrole, l’énergie, les cheminots appellent à la grève 6 et 7 ou 7 et 8. Deux ou trois jours parfois. Avec la reconduction toujours dans l’air, qui attend ses Assemblés Générales plus fournies.
Et puis surtout, les grèves pour les salaires continuent et vont certainement se multiplier dans cette période de NAO comme déjà aujourd’hui dans le BTP Vinci, la métallurgie Auber et Duval, l’automobile Faurecia, Renault… « on veut du pognon et pas travailler deux ans de plus » disent les grévistes. Les mouvements dans l’éducation qui continuent après ce 31 janvier comme en Guadeloupe associent le combat contre la retraite avec les exigences de plus de personnel, plus de moyens, la réintégration des personnels suspendus, la lutte pour les libertés. Et puis le 2 février, ce sont les tous petits transporteurs routiers qui se mobilisent et bloquent les routes contre la hausse des prix des carburants. Le 2 février également, c’est la grève du travail social, du périscolaire, des crèches et garderies, de la petite enfance qui associent leur grève pour plus de salaires, de moyens et d’effectifs à la lutte pour la retraite.
Tous disent par leur grève, de manière encore dispersée, ce que dit le mouvement de fond déjà concentré qu’on voit monter dans les petites villes, le « Tous ensemble » pour reprendre tout ce qui nous a été volé depuis des décennies. Ce qui monte, c’est une lame de fond venue des profondeurs de la classe ouvrière. Les petites villes nous le disent.
Jacques Chastaing 2 février 2023
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