Mort de François Hadji-Lazaro, figure du punk-rock et fondateur de Pigalle et des Garçons Bouchers

De Pigalle aux Garçons Bouchers, de la guitare à l’accordéon, du musicien au tueur à gages, de Topor à Jeunet et Caro, du punk rock alternatif engagé à la lambada on aime pas ça.

On aurait toutes et tous aimé partager une bière avec lui dans la salle du bar tabac de la rue des Martyrs.

Partager un instant de franc parler, refaire le monde et attendre la révolution en l’écoutant démonter le système et l’extrême droite avec sa gouaille de prolo parisien revendiqué.

On a perdu François Hadji – Lazaro, on a beaucoup perdu…

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Télérama

*Eric Delhaye

Publié le 26/02/23

François Hadji-Lazaro, le « garçon boucher », est mort à l’âge de 66 ans.

Photo Paul Rousteau pour Télérama

Activiste du rock alternatif, membre fondateur des groupes Pigalle et Les Garçons Bouchers, le musicien François Hadji-Lazaro s’est éteint ce samedi 25 février à l’âge de 66 ans.

« Sur toutes mes pochettes de disques, il y a ma gueule. Tant qu’à avoir une gueule effroyable, autant en profiter »nous exposait François Hadji-Lazaro, en 2018. Il ajoutait, d’un air assombri : « Je n’ai pas une envie de vivre particulière – la vie m’a toujours assez déçu. Au début de Pigalle et des Garçons Bouchers, comme tous les gars de 20 ans, je me disais : « Quand je serai vieux, tout ira vachement mieux et les révolutions seront faites. » Mais que dalle ». Avec sa gouaille de poulbot, sa mélancolie revêche, sa trogne globulaire, son crâne rasé et sa bedaine ceinte de bretelles représentant un mètre ruban, ce personnage du paysage musical français a allumé la mèche du rock alternatif, dans les années 1980, en soulignant l’extraction populaire de la chanson comme du punk. Sa disparition tourne une page pour toute la génération grandie avec les groupes qu’il a animés – de Pigalle aux Garçons Bouchers – ou produits au sein de son label Boucherie Productions.

François Hadji-Lazaro a tracté une jeune scène musical tout en s’accrochant à une époque révolue, celle des troquets parisiens abreuvés de culture populaire, en imprégnant ses textes d’une nostalgie dont il ne se cachait pas. Certainement, le 15e arrondissement de sa naissance, en 1956, était bien différent de ce qu’il est devenu. Dernier enfant d’une famille de la classe moyenne, dont un père résistant qui fut emprisonné durant trois ans à Mauthausen, il a grandi dans un environnement très politisé. Dans ce sillage, François fut membre des jeunesses communistes et il est resté fidèle à ces valeurs prolétariennes, plutôt qu’à l’anarchisme souvent associé aux punks – il avait 20 ans à l’acmé du mouvement. Un temps proche du NPA et du Front de gauche, il a toujours pourfendu l’extrême-droite, à coups de boule si besoin. Incarnant tantôt « un mec rigolo qui picole » et « un autre plus renfermé, un peu nounours méchant », comme il l’expliquait à L’Express en 2002, il ne se revendiquait ni de la « chanson réaliste » ni de la « chanson engagée », en estimant qu’aucune des deux étiquettes ne collait à ses chroniques sociales.

“On allait à la castagne avec les groupes frontistes. On voulait montrer que, oui, il fallait se battre contre le système, mais sans propager des idées nauséabondes”

François Hadji-Lazaro a empoigné sa première guitare à 12 ans, pour impressionner les filles. Il se passionne alors pour le folk de Bob Dylan, lequel croque l’Amérique dans la mâchoire des traditions anglo-saxonnes et du rock contemporain. Pareillement, François Hadji-Lazaro engloutit le musette, Fréhel et le punk, avec un arsenal d’instruments. Au fil des années, il en pratiquera une trentaine, en autodidacte : vielle à roue, ukulélé, mandoline, accordéon, oud ou pípa (luth chinois), sans cracher sur l’ordinateur pour orchestrer le tout. Quand il descend dans le métro pour rencontrer son premier public, en esquivant la police et en bastonnant les loubards, il embarque déjà tout un attirail auquel s’ajoute un radiocassette de type ghetto-blaster. Il boit la moitié de ce qu’il gagne : c’est le temps de ses errances nocturnes, lors desquelles il peut vider une bouteille de Ricard, et de sa fréquentation assidue des bars corses de Pigalle. Le quartier donne son nom à l’un de ses premiers groupes. Fondé en 1982 avec le bassiste Daniel Hennion, Pigalle connaitra des formations à géométrie variable, au fil de sept disques studio jusqu’en 2018, marqués par des ambiances mélancoliques et l’influence des chansonniers de l’entre-deux-guerres. En 1990, le concept-album Regards affligés sur la morne et pitoyable existence de Benjamin Tremblay, personnage falot mais ô combien attachant, sous une pochette dessinée par Tardi, fait un carton grâce au tube Dans la salle du bar-tabac de la rue des Martyrs, sur un bouge qui n’a jamais existé : « À l’époque, il n’y avait aucun bar dans cette rue. Je l’ai même choisie pour ça : puisque la chanson décrit un patron armé, des drogués, des prostituées et des mecs tout le temps bourrés, je ne voulais faire prendre de risques à personne… ni en prendre moi-même ! »

Au début des années 1980, videur-sonorisateur dans une salle punk de Champigny, François Hadji-Lazaro stoppe rapidement une carrière d’enseignant dans le primaire, pour se consacrer à Pigalle : « On allait à la castagne avec les groupes frontistes. On voulait montrer que, oui, il fallait se battre contre le système, mais sans propager des idées nauséabondes. Quand j’ai fait une chanson qui s’appelle Homosexuel, en 1985, c’était un thème dont on ne parlait pas encore ». Le milieu de cette décennie voit germer le rock alternatif des Wampas, Bérurier Noir, Ludwig von 88… François Hadji-Lazaro, lui, rejoint le supergroupe Los Carayos de Manu et Antoine Chao, Schultz et Alain Wampas. Il réunit surtout Les Garçons Bouchers, une formation qui se distingue de Pigalle par une énergie plus brutale entre oï, ska et punk, et un humour caustique. Son hymne La Bière, entonné par le chanteur d’Erick Blitz ensuite remplacé par Pierrot Sapu, précède Le rap des Garçons Bouchers ou La lambada on aime pas ça, des succès qui déchainent les pogos dans toutes les salles du pays.

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En même temps que Les Garçons Bouchers, François Hadji-Lazaro fonde Boucherie Productions, avec deux objectifs : torpiller le système capitaliste du disque et décloisonner le milieu alternatif. Concurrent de Bondage Records (Bérurier Noir, Ludwig von 88, Washington Dead Cats), le label publie les groupes du boss mais aussi le premier Mano Negra (Patchanka, 1988), Parabellum, Les Tétines noires, Happy Drivers, Paris Combo, etc. Le patron de PME rêve alors qu’une dizaine de labels comme le sien deviennent assez puissants pour renverser les majors. Mais un groupe comme Noir Désir signe chez Barclay, les Fnac et Virgin Megastore sabotent les distributeurs indépendants, la révolution est étouffée. Boucherie, dont les finances vacillent à partir de 1995, ne résiste pas aux premiers assauts de la crise du disque. En 2001, le label dépose le bilan après avoir compté jusqu’à sept salariés et reçu 1 200 cassettes par an, avec 140 références au catalogue. Défaite que François Hadji-Lazaro entérine en signant chez Universal pour les albums sortis sous son nom : « Le patron, Pascal Nègre, je le connais depuis quelques débats. On s’engueule en bonne intelligence. Il ne va pas me faire passer du commercial pour du culturel. Et moi, petite souris, je ne vais pas tenter de changer le mammouth. »

François Hadji-Lazaro entouré de chefs cuisiniers : Yves Camdeborde, Rodolphe Paquin, Thierry Faucher, Thierry Breton, Inaki Aizpitarte et Eric Ospital.

François Hadji-Lazaro entouré de chefs cuisiniers : Yves Camdeborde, Rodolphe Paquin, Thierry Faucher, Thierry Breton, Inaki Aizpitarte et Eric Ospital.

Photo Paul Rousteau pour Télérama

Son physique a régulièrement imprimé la pellicule, dès 1987 dans La Passion Béatrice de Bertrand Tavernier, puis dans La Cité des enfants perdus de Caro et Jeunet, Le Pacte des loups de Christophe Gans, etc. En 2011, Ma tata, mon pingouin, Gérard et les autres, premier de ses trois disques pour enfants, a étiré son public sur deux voire trois générations. Un succès populaire, enfin, de nature à atténuer son désabusement devant un paysage dominé par les musiques de variétés. Et l’occasion de repartir en tournée, en ne manquant jamais de s’arrêter chez les producteurs de vin nature, passion qui lui valut de conclure : « S’il fallait résumer ma vie, je peux dire que, avant la musique, je faisais de grosses bêtises. Le punk m’a permis de me calmer. Mais c’est le vin qui m’a sauvé. »

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