VIOLENCES POLICIÈRES Images de drones, caméras de France 2 et vidéos tournées parmi les manifestants permettent de retracer les évènements du samedi 25 mars
- Depuis le 25 mars, les forces de l’ordre sont particulièrement critiquées pour leur violence dans le maintien de l’ordre. Deux manifestants présents à Sainte-Soline sont encore dans le coma.
- Jeudi soir, France 2 a dévoilé un numéro de Complément d’enquête, dont les caméras ont suivi le commandement des forces de l’ordre. Très vite, une colonne de gendarmes sur quad prend pour cible le mauvais cortège.
- Une analyse vidéo du Monde permet aussi d’éclairer les instants précédents la blessure à la tête du militant Serge Duteuil-Graziani, vraisemblablement touché par une grenade lacrymogène GM2L lancée de manière non réglementaire.
Que s’est-il passé, le 25 mars à Sainte-Soline, pour que deux manifestants soient toujours dans le coma près de deux semaines plus tard ? Depuis la répression de cette manifestation interdite, le maintien de l’ordre à la française est plus que jamais critiqué, et plusieurs versions s’affrontent sur le déroulé des faits, et notamment sur l’arrivée tardive des secours. Après les enregistrements du Samu dévoilés par Le Monde et une première enquête de Libération, France 2 a dévoilé jeudi soir des images exclusives dans Complément d’enquête, qu’une analyse vidéo du Monde vient compléter. Entre commandement dépassé et tirs non réglementaires, 20 Minutes fait le point pour vous.
Les équipes de France 2, seules accréditées, ont suivi le colonel de gendarmerie Vey, qui pilotait la réponse des gendarmes à la manifestation non autorisée. En début de reportage, le colonel briefe ses hommes sur l’importance de séparer « le bon grain de l’ivraie », autrement dit les manifestants « ultras » fondus dans le cortège, avant d’être « dans notre réponse habituelle quand ils viennent nous agresser ». Il met aussi l’accent sur la « gradation de l’emploi de la force ». « Ce qui est hors-la-loi, ça ne sera jamais fait sous mes ordres », affirme-t-il au journaliste de France 2. La manifestation n’a pas encore commencé.
Un cortège « familial » arrosé de lacrymogènes
A environ un kilomètre de la bassine, autour de laquelle sont déployés les gendarmes, le cortège se scinde en trois groupes. Une simple question d’itinéraire, défend Basile Dutertre, porte-parole des « Soulèvements de la Terre », avec un cortège rose central qui « va faire moins de route dans une ambiance familiale », transportant un « gros canard en bois », notent les gendarmes. Une ambiance identifiée par le colonel Vey, qui s’inquiète plutôt du cortège bleu. Lunettes de protection, masques à gaz, la tête de ce cortège est selon lui composé « d’ultras », ce qui est appuyé par une banderole « black blocs écolos ».
Il déploie alors le PM2I, un peloton de 20 quads, dont il s’agit de la toute première intervention à la rencontre de cette colonne. Quelques minutes plus tard, le colonel Vey veut envoyer un second peloton, l’escadron Mike. Mais celui-ci s’arrête avant le cortège bleu, pour faire face au cortège rose. Une incompréhension ? « Dis-leur tout de suite qu’ils ne tirent pas sur le rose », lance le colonel Vey à un gendarme. Il n’a pas le temps de finir sa phrase, les lacrymos fusent déjà. « Et putain ils tirent, mais ils sont cons ou quoi ? » Dépité, le colonel ne sait plus trop où se mettre. Dans le brouillard des lacrymos, les trois cortèges vont finir par refusionner devant la ligne de gendarmes.
Deux salles, deux ambiances sur les grenades
Selon le récit de France 2, une trentaine de manifestants « ultras » se détache ensuite pour lancer des pierres et des cocktails Molotov sur un camion de la gendarmerie. Le conducteur en attente s’en extrait quand l’incendie prend. « En termes de gradation de la force, on est au plus haut : l’usage des armes », confie le colonel Vey. Des renforts arrivent, avec deux blindés équipés de tourelles lance-grenades. Le bilan de la journée sera d’environ 5.000 grenades, tous types confondus, soit environ une par manifestant selon les chiffres de la gendarmerie. L’ambiance est à la blague chez les forces de l’ordre. « Il est où le responsable grenades », demande, hilare, un gendarme, lanceur en main. « On fera les comptes ce soir », lui lance un autre.
Sur le terrain, les observateurs de la LDH identifient les restes de grenades de désencerclement et GM2L, « à la fois explosives et lacrymogènes ». Deux munitions classées A2 du matériel de guerre. Un autre type de grenade est bien visible dans une séquence vidéo glaçante, tournée par la journaliste de Brut Camille Courcy. Alors qu’elle se filme, on voit à quelques mètres d’elle un manifestant être touché à la tête par une grenade MP7 entière puis s’effondrer. Ce type de grenade est propulsé, et doit être tiré en cloche à environ 200 mètres de la cible, pour exploser dans les airs et diffuser de petits palets de fumigènes.
Décryptage de tirs non réglementaires
Mais dans l’analyse du Monde, qui compare l’image tournée par Camille Courcy et les images de drone, la grenade a touché ce manifestant non identifié avec un angle de 8°, contre un tir prévu à 45°, alors qu’il se trouvait à une distance entre 50 et 130 mètres de la ligne des gendarmes. Un tir non réglementaire donc, comme le sont les tirs de LBD depuis un quad, filmés par ailleurs. S’agit-il de Mickaël, dont la tante affirme que ce sont des amis qui l’ont emmené à l’hôpital avec une fracture du crâne, les secours n’étant pas intervenus ? Impossible de l’affirmer.
Le cas de Serge Duteuil-Graziani, qui se trouve toujours dans le coma, semble similaire. Repéré par Le Monde sur plusieurs caméras, le militant se distingue dans un groupe compact par son casque et son masque blancs. Le journal balaie immédiatement toute hypothèse selon laquelle il aurait été touché par des projectiles d’autres manifestants. Surtout, au moment où il s’effondre, deux grenades lacrymogènes explosent au sol. Si la trajectoire en cloche de la première, une grenade GM2L, est bien visible, les journalistes s’intéressent plus à la seconde, qui provient de la zone où atterrit le projectile qui fait voler le casque du militant. Un manifestant renvoie alors un palet de lacrymogène, ce qui semble indiquer qu’il s’agit d’une grenade du même type.
Or, le projectile qui frappe Serge émerge de derrière un arbre, passe au-dessus d’un nuage de lacrymogènes à hauteur d’homme et le touche dans un angle bien inférieur à 45°. Derrière cet arbre, un camion lance-grenades et des gendarmes en surplomb sont visibles dans d’autres vidéos. Serge Duteuil-Graziani sera évacué vers 16 heures, plus de 2 heures après avoir été touché, au moment où le colonel Vey félicite ses troupes, la gendarmerie revendiquant la « victoire ».
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