Les arguments douteux de l’État pour dissoudre Les Soulèvements de la Terre

Après la dissolution des Soulèvements de la Terre (ici à Sainte-Soline le 25 mars dernier), leurs avocats ont annoncé qu’ils déposeront un recours devant le Conseil d’État.

Le décret de dissolution des Soulèvements de la Terre décrit un groupe « violent », adepte du « sabotage ». Des présomptions que le ministère de l’Intérieur doit encore prouver devant le Conseil d’État.

« Sabotages »« violences »« dégradations ». Les mots sont martelés sur les quatre pages du décret de dissolution des Soulèvements de la Terre. Entériné en Conseil des ministres mercredi 21 juin, le document juridique souhaite acter la disparition du collectif écologiste. Mais les avocats des Soulèvements ont déjà annoncé déposer un recours devant le Conseil d’État contre cette procédure. Qu’est-ce que cela implique ?

Pour dissoudre Les Soulèvements de la Terre, le gouvernement s’appuie sur l’article L212-1 du Code de la sécurité intérieure, qui permet d’abroger les associations ou groupement de fait qui « provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». L’article suppose que soient réunies deux conditions. D’abord prouver que Les Soulèvements soient un « groupement de fait », puis qu’ils aient contribué à des actes de violence.

Pour démontrer le « groupement de fait », le décret dresse le portrait d’un collectif formé autour « d’un noyau dur de militants tous issus de l’ex-zad de Notre-Dame-des-Landes et désireux d’exporter leur expérience et les stratégies violentes ». Il décrit un groupe qui s’identifie au travers « de sa dénomination et de son logo figurant sur toutes ses publications », qui « s’exprime par la voix de deux de ses dirigeants » et soutient des luttes « sélectionné[e]s par un comité centralisé » qui les fait bénéficier de « son appui logistique, humain, financier et organisationnel ».

Avocat au barreau de Paris, Me Gossement présage que le Conseil d’État suivra le gouvernement dans sa définition du « groupement de fait » : « Il y a une ligne éditoriale, un propos, des personnes qui se présentent comme porte-parole… La loi a été faite sur mesure pour ce type de situation où l’on fait face à des réseaux plutôt qu’à des structures. »

Reste à prouver que Les Soulèvements de la Terre sont à l’origine de « violences ». Le décret reproche aux Soulèvements d’avoir organisé une vingtaine d’actions caractérisées par « des destructions matérielles et des agressions physiques contre les forces de l’ordre ». Il assure que « sous couvert de défendre la préservation de l’environnement […] ce groupement incite à la commission de sabotages ».

« Il faut prouver que le groupement a soutenu, relayé et amplifié ces actes de violence »

De leur première action en 2021 à Besançon à la dernière contre la ligne Lyon-Turin, l’acte juridique liste les policiers et gendarmes blessés et les coûts des dégradations commises. Il accuse les vidéos et slogans diffusés par Les Soulèvements de jouer « un rôle majeur dans la conception, la diffusion et la légitimation de modes opératoires violents ».

Une démonstration qui nécessite de s’appuyer sur des preuves étayées pour convaincre le Conseil d’État. « La liberté d’association est un principe constitutionnel qui ne souffre que d’exception, dit Me Gossement. Il faut prouver que le groupement a soutenu et amplifié ces actes de violence. Ça promet une audience longue, sur pièces, avec un débat dense. »

Difficile d’établir un pronostic sur le regard des juges du Palais-Royal. En vigueur depuis 2021, l’article L212-1 n’a donné lieu qu’à deux décisions du Conseil d’État : l’une suspendant la dissolution du Groupement antifasciste de Lyon (Gale), la seconde confirmant celle de l’association du Bloc lorrain. Pour Me Gossement, la jurisprudence la plus intéressante concerne cette dernière association « libertaire, antifasciste et très opposée à l’État, décrit-il. Le Conseil d’État a considéré sa dissolution justifiée, parce que ses membres ont soutenu, relayé et quelque part organisé des violences contre les forces de l’ordre en diffusant des messages anti-flic. Dans le cas des Soulèvements, j’ai l’impression que c’est plus léger. Mais les preuves seront apportées lors de l’audience ».

En cas de reconstitution de ligue dissoute, ils risquent jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.

Lire aussi : Soulèvements de la Terre : une dissolution lourde de conséquences

Dans le décret, les membres des Soulèvements sont également accusés de se fonder « sur les idées véhiculées par les théoriciens prônant l’action directe et justifiant les actions extrêmes allant jusqu’à la confrontation avec les forces de l’ordre ». Il s’agit du livre d’Andreas Malm, Comment saboter un pipeline, cité en note dans le document.

Dans un communiqué de presse, les éditions La Fabrique, éditrices de l’ouvrage, se disent surprises d’apprendre que cet ouvrage, traduit en huit langues, était utilisé comme élément à charge dans cette affaire. Elles rappellent que si le livre « présentait le moindre problème au regard des lois (et non des obsessions de Gérald Darmanin), il aurait été poursuivi. Ça n’a pas été le cas ». Elles dénoncent une « attaque détournée contre les libertés d’expression, de la presse et de l’édition et contre les lois qui les régissent ».

Le mode avion des téléphones reproché aux militants

De nombreux spécialistes du droit ont critiqué d’autres éléments issus du décret qui semblent plus d’ordre politique que juridique. Les autorités reprochent ainsi aux Soulèvements de porter des tenues interdisant leur identification par les forces de police, ce qui serait « en contradiction avec les habitudes des militants écologistes de manifester à visage découvert ». Ils dénoncent le fait que les activistes des Soulèvements ne se laisseraient pas surveiller « en mettant en “mode avion” leur téléphone mobile en arrivant sur les lieux de la manifestation ». Ils se scandalisent que les personnes interpellées ne veuillent pas communiquer les codes de déverrouillage de leur appareil ou que les manifestants usent du port de masques FFP3, de lunettes de protection pour se protéger des gaz.

Pour le SAF, le Syndicat des avocats de France, cela en dit long sur la conception du ministre de l’Intérieur des droits de la défense : « Ce décret de dissolution est un non-sens juridique qui porte des atteintes graves aux principes mêmes de la défense, avec des motifs absurdes. »

Si la décision du Conseil d’État leur est défavorable, Les Soulèvements n’en resteront pas là. « Nous irons, s’il le faut, jusqu’à la Cour européenne », promet l’activiste Léna Lazare, l’une des figures du mouvement. Dans un communiqué, les concernés s’avouent « bien curieuxses de voir ce que représenterait la “dissolution” d’une coalition qui regroupe des dizaines de collectifs locaux, fermes, sections syndicales et ONGs à travers le pays ».

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