Fournisseurs alternatifs d’électricité : 72 % des concurrents d’EDF ont fraudé en 2022

Un rapport sénatorial publié ce mercredi confirme une fraude massive, en 2022, des concurrents d’EDF. À la clé, plus d’1,6 milliard d’euros d’amende. Pour mettre fin à ce scandale, les parlementaires proposent 25 mesures législatives.

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Mercredi 5 juillet 2023

Le mission parlementaire révèle que 72 % des fournisseurs alternatifs d’électricité ont fraudé. © JEAN-MARC BARRERE / HANS LUCAS / AFP
En plein emballement des marchés de l’énergie à l’automne 2022, de premiers indices laissaient entendre que certains fournisseurs alternatifs de courant étaient en train d’empocher un sacré pactole en surfant sur les suites de l’invasion russe en Ukraine et en tirant parti des règles françaises alambiquées de l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité.

Avec, au centre de ces présomptions, l’Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Ce dispositif mis en place par l’État fournit de l’électricité nucléaire produite par EDF à moindre prix à ses concurrents afin que ces derniers se fassent une place au soleil de la concurrence.

Pour créer artificiellement la concurrence

Quelle est l’ampleur de ces superprofits ? Y a-t-il eu fraude ? La sénatrice LR Dominique Estrosi Sassone et son homologue PCF Fabien Gay ont mené l’enquête au sein d’une mission parlementaire sur « les conditions d’utilisation de l’Arenh ». Six mois plus tard, leurs travaux, rendus publics ce mercredi, assortis de recommandations votées à l’unanimité, dressent un constat affligeant.

Soixante-douze fournisseurs sur 100 ont abusé de l’Arenh, selon les contrôles effectués par la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Une fraude pour laquelle ils se sont vus infliger une amende globale de plus de 1,6 milliard d’euros. De quoi faire mentir la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, qui ne voyait dans l’Arenh qu’ un instrument au service des consommateurs.

Pour mieux comprendre ce scandale, il faut se pencher sur ce mécanisme dont la France a le secret. Pour créer artificiellement la concurrence sur le secteur de l’électricité et permettre aux nouveaux fournisseurs d’être rentables, l’Arenh plume EDF en octroyant une partie de l’électricité nucléaire produite par le groupe public, à prix canon, à ces fournisseurs dits alternatifs.

Récupérer l’électricité à bas prix et la revendre sur les marchés

Créé en 2011, le prix fixé au départ à 32 euros le mégawattheure (MWH) a progressé pour atteindre 42 euros en 2012, sans bouger ensuite. Charge à la Commission de régulation de l’énergie (CRE) de répartir les térawattheures (TWh) mis à disposition par EDF entre les différents acteurs du marché.

Seulement, à la suite de la guerre en Ukraine, le mécanisme a été modifié par le gouvernement pour lutter contre l’envolée des prix, entre avril et décembre 2022. L’exécutif espérait alors qu’en octroyant aux concurrents d’EDF 19,5 TWh supplémentaires, au prix de 46,20 euros/MWh, cette énergie bon marché permettrait d’atténuer la pression sur les prix qui avaient atteint sur le marché de gros jusqu’à 700 euros/MWh. Si ce relèvement a permis de contenir, en partie, la hausse des tarifs, notent les sénateurs, ses effets pervers et l’avidité des bénéficiaires ont noirci le tableau.

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En très peu de temps, la décision du gouvernement a transformé l’Arenh en mine d’or pour certains fournisseurs, n’hésitant pas à frauder pour mieux spéculer sur les marchésPour EDF, ce fut un gouffre financier. Le groupe a perdu 8,1 milliards d’euros. Car, du fait de son parc défaillant, il « a dû acheter des volumes au prix de 256,70 euros par MWh pour les revendre à 46,20 euros », notent les rapporteurs.

Pour les concurrents d’EDF, la manœuvre a consisté à « maximiser leurs portefeuilles de clients, sur la période d’avril à octobre, afin de bénéficier des droits à l’Arenh, qui sont calculés sur cette période, puis à se séparer de ce portefeuille de clients, en augmentant fortement leurs prix, pour revendre leurs droits à l’Arenh sur les marchés », expliquent les deux parlementaires.

Cette pratique illégale ne se limite pas à une simple fraude commerciale, puisqu’elle a également pour effet d’augmenter les tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRVE). Schématiquement, plus les volumes demandés par les concurrents d’EDF sont conséquents, plus le TRVE est élevé.

Ce qui a nécessairement un impact sur les factures d’électricité des ménages. Selon les calculs de la CRE, effectués a posteriori, l’allocation d’Arenh effective en 2022 a été supérieure de « 5,8 TWh, au droit total constaté ».

Les mêmes fraudes en 2023

Pour voir comment les fournisseurs ont utilisé ces excédents d’Arenh, la CRE a usé de ses outils de contrôle : les compléments de prix (CP). Le premier, appelé CP1, mesure l’excès entre le volume demandé et celui des droits théoriques.

Le second (CP2) scrute la différence entre les volumes demandés et les besoins réels du fournisseur. Résultat : « Parmi les 100 fournisseurs ayant bénéficié de l’Arenh en 2022 (…) 58 sont redevables d’un CP1. » Ceux-ci se sont vus infliger une pénalité de 1,6 milliard d’euros.

« Quatorze fournisseurs sont redevables du terme CP2 », avec une pénalité de 21,9 millions d’euros, note la CRE dans une délibération datée du 29 juin. Quatre d’entre eux font l’objet d’une enquête.

Ces fraudes seraient cependant encore sous-estimées, estime le sénateur communiste Fabien Gay, tant les paramètres de contrôle sont « limités », précise-t-il.

L’Humatinale

« Pour 2023, la surestimation du guichet Arenh serait de l’ordre de 12 TWh et aurait eu un impact de l’ordre de 5 % sur l’augmentation du TRV », poursuit-elle. L’association a donc déposé, en juin, un recours devant le Conseil d’État.

Les fraudeurs récupèrent l’argent des amendes

Pour les fournisseurs pris la main dans le sac, l’amende de la CRE est cependant quasi indolore : le 1,6 milliard d’euros de pénalités sera ensuite versé… à ces mêmes fournisseurs. Un scandale dans le scandale que le sénateur communiste voudrait voir corrigé, afin que l’argent ruisselle jusque dans la poche des consommateurs lésés.

Outre la réforme des instruments de contrôle et de sanction, les rapporteurs souhaitent une modification de la méthodologie de l’Arenh, notamment sur « la période de calcul des droits », en mettant fin à la saisonnalité. Ce qui permettrait d’être au plus près de la production nucléaire, explique Fabien Gay.

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Ce dernier prône aussi une meilleure sélectivité des fournisseurs autorisés à bénéficier des droits de l’Arenh, avec une possibilité de les suspendre, ainsi qu’un renforcement de la protection des consommateurs.

Au total, les rapporteurs ont défini 25 mesures « opérationnelles » pour mieux contrôler et sanctionner les fraudes et abus, en attendant la fin de l’Arenh, en 2025.

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