LA FRANCE EST UN MOTEUR A EXPLOSIONS
Il est important de comprendre ce qui vient de se passer politiquement depuis l’assassinat de Nahel car l’intelligibilité de ce court épisode va définir la possibilité d’action dans la période à venir.
Il faut d’abord bien avoir en tête que la révolte explosive des jeunes de banlieue juste dans la continuité des mobilisations populaires massives de 5 mois contre la réforme des retraites a ouvert une opportunité formidable par leur alliance possible pour mettre à terre le régime de Macron et ouvrir une brèche importante contre son monde, contre le système capitaliste.
Cette explosion des quartiers dans le contexte particulier du mouvement des retraites a déclenché une peur immense des possédants et de l’ordre établi. En conséquence et du fait conjoint de la désaffection politique de la gauche, ça a aussi déclenché une violence tout aussi immense contre les prolétaires sous forme de déferlement de haine raciste contre les jeunes de quartier de la part tout l’establishment politique ou institutionnel. Mais en même temps, cette haine n’a pas réussi à prendre la forme de milices fascisantes de rue de masse ni même de manifestations malgré les efforts de l’extrême droite pour cela, montrant au fond la faiblesse de fond la réaction.
Ces deux aspects résument la situation.
Macron a bien exprimé la peur de sa classe sociale.
Sa première réponse au crime raciste de Nahel par un policier pour tenter d’empêcher l’explosion à venir des quartiers et la possibilité de leur union avec le mouvement social dont les braises n’étaient pas encore éteintes, a été très défensive. Il a ainsi dénoncé une faute inexcusable de ce policier tandis que Darmanin menaçait de dissolution le syndicat policier d’extrême-droite « France police -policiers en colère » qui se félicitait du crime. Tout cela, parce qu’à ce moment, de son côté, la mère de Nahel appelait à manifester pour exiger justice pour son fils et qu’en même temps des secteurs militants dont les collectifs contre la dissolution des Soulèvements de la terre, appelaient aussi à manifester contre les violences policières, le racisme policier et pour exiger la démission de Darmanin. Dans ce très court moment, tout le monde a senti la peur de Macron, parce que la continuité paraissait évidente entre les violences policières contre les écologistes de Sainte Soline, celles contre les manifestations en soirée des jeunes qui dénonçaient la fin de la démocratie par le 49.3 et les entraves au vote des députés, additionnées dans le même moment par la dissolution des « Soulèvements de la terre », les menaces sur ATTAC, Extinction Rebellion, Dernière Rénovation et la Ligue de Droits de l’Homme en même temps que l’agrément enlevé à Anticor.
Il était clair que toutes ces répression participaient du même principe de protection de l’ordre capitaliste et qu’elles pouvaient unir une riposte commune. Et cela d’autant plus que massivité des mobilisations pour les retraites se terminait avec l’idée pour beaucoup qu’il fallait être plus radical. Or cette radicalité était exprimée dans l’explosion de colère de la jeunesse prolétarienne des quartiers. La jonction était possible. Ce qui aurait été un pas considérable dans la prise de conscience révolutionnaire.
Ainsi, au moment où Macrn a eu peur, pendant un cours moment, la révolte des jeunes a paru légitime à beaucoup, qu’elle prenne la forme de rassemblements, de manifestations, de marches blanches ou de révoltes urbaines, face à la violence quotidienne du traitement policier des quartiers populaires, une situation d’oppression pour les jeunes prolétaires de quartiers dans laquelle la relégation sociale et spatiale se combine avec les préjugés et les violences racistes systémiques. C’étaient nos enfants, notre classe qu’on assassinait dans le meurtre de Nahel.
Mais ce fut un très court moment, car c’est là, où une nouvelle fois, l’essentiel de la gauche syndicale et politique a sauvé le système et Macron, comme elle l’avait déjà sauvé après le formidable regain de mobilisation des retraites le 1er mai à qui elle n’a pas voulu donner une suite sinon beaucoup trop lointaine le 6 juin puis plus rien avant octobre.
Aux premiers soulèvements dans les quartiers, il aurait en effet fallu appeler à une grande mobilisation nationale pour exiger justice pour Nahel, dénoncer le crime raciste et la menace de coup d’Etat des syndicats de police Alliance et UNSA, exiger au moins la démission de Darmanin, en soulignant la continuité des violences policières depuis le mouvement des retraites, Sainte Soline, ainsi que les atteintes à la démocratie, la dissolution des Soulèvements de la terre, en montrant que c’était la même politique d’écrasement des classes populaires. C’est cela qui aurait pu donner une expression politique à la colère des jeunes en leur donnant aussi directement la parole, puisque certain d’entre eux et leurs parents, avaient participé au mouvement des retraites.
Mais c’est tout le contraire qui a été fait, avec des conséquences désastreuses.
La CFDT, le PS et le PCF, au lieu de dénoncer la police ont dénoncé la violence des jeunes, comble de l’ignominie, le PCF allant jusqu’à soutenir le projet de Macron de fermer les réseaux sociaux..Ils ont également dénoncé LFI lui reprochant de ne pas vouloir appeler les jeunes prolétaires au calme tandis que la CGT faisait un communiqué très mou et que d’autres, au mieux, affichaient un paternalisme pleurnichard à l’égard des jeunes soulignant le caractère émeutier et apolitique de la révolte des jeunes alors que justement elle était très politique même si elle n’avait pas les outils organisationnels pour le faire entendre. Alors, évidemment, voyant la désolidarisation d’une grande partie de la gauche avec les jeunes, la police, l’extrême droite, la presse des milliardaires et le gouvernement se sont engouffrés immédiatement dans cette brèche inespérée, pour se lancer dans une campagne hystérique de dénonciation des destructions d’écoles, de transports par les jeunes et de soutien aux forces de police et à leurs violences jusqu’à une cagnotte pour le policier criminel.
Cette démission de la gauche syndicale et politique a réinvité l’extrême droite dans la situation après ce long épisode de mobilisation sociale de 6 mois où elle en était absente, lui permettant d’exercer une pression sur toute la société en donnant là l’occasion à tous ceux qui n’ont pas manifesté pour défendre les retraites de crier leur haine raciste, de servir de supplétif de police et d’exercer cette pression de division contre le front de ceux qui se sont battus pour les retraites.
L’emprise policière croissante liée à celle de l’extrême droite sur les institutions de la société n’a pas d’autre fondement que la réorganisation autoritaire du pays et le maintien d’un ordre toujours plus inégalitaire. C’est une réponse à la mobilisation sociale qui est croissante et ininterrompue depuis 2016. En même temps que celle-ci, on observe depuis cette date, l’irruption régulière de mobilisations policières de rue et de manière plus marquée en 2019, 2020, 2021 et maintenant encore en juillet 2023 avec des menaces réitérées de coup d’État ou de guerre civile. Leur but affirmé est de faire pression sur les autorités politiques afin de se passer de plus en plus des contraintes de la légalité pour aller vers une police qui se fait justice elle-même, vers des escadrons de la mort. La loi « permis de tuer » de 2017 est le produit de cette pression sur le gouvernement Hollande. Les attaques mêlant police et fascistes contre les grévistes de Vertbaudet en sont une autre illustration. Et les déjà plus de 350 condamnations de jeunes de quartiers à de la prison ferme sont l’expression du caractère que prend cette lutte de classe.
Au delà, de l’émotion suscitée par la pression de l’extrême droite dans cet épisode, du recul de conscience momentané et du dégoût décourageant ressenti autour de cette cagnotte policière, il faut bien mesurer la situation.
Ce n’est pas un changement de période mais juste une pause dans cette période de montée des luttes et des consciences.
La tentative de mobilisation par les maires pour appeler au calme dans laquelle aurait pu s’engouffrer la droite et l’extrême droite a été un fiasco. Il n’y a pas eu de tentative de l’extrême droite de mobiliser largement, autour par exemple de la protection des petits commerces ou écoles. Les petits groupes d’extrême droite auraient pu essayer de trouver un soutien populaire contre les jeunes. Ils ne l’ont pas réellement fait ni trouvé quand ils l’ont tenté comme à Angers ou Chambéry. Le dégoût contre la cagnotte qui allait trop loin a provoqué un certain retournement de l’opinion.
Dans cette situation, les rassemblements et manifestations du 8 juillet appelées par la gauche, sauf bien sûr PS et PCF qui persistent dans leur indignité, (et celles annoncées des 14 et 15 juillet), certes trop tardives et sous forme souvent de supplique d’appel au calme à Macron (!) et pas de soutien politique à la révolte des jeunes ni même d’exigence d’une amnistie pour tous les jeunes condamnés, contribuent quand même à mettre un frein à la propagande d’extrême droite tandis que parallèlement le procès de la police et de ses méthodes s’ouvre.
Cet épisode doit servir d’avertissement. Le danger fasciste existe. En même temps, les petits groupes fascistes restent des petits groupes n’ont pas trouvé d’audience pratique de masse dans cet épisode. Les électeurs du RN ne sont pas passés aux actes. Une partie d’entre eux était plutôt dans les manifestations des retraites. C’est un avertissement en même temps sur les limites de la gauche institutionnelle dans cette période où la bourgeoisie cherche à se préparer aux explosions de colère populaire -on le voit encore avec le JDD donné à l’extrême droite – dont elles ont eu un avant-goût et qui ne tarderont pas à reprendre rapidement, encore plus fortes, encore plus déterminées vu que Macron ne va pas cesser ses attaques sociales.
La France n’est pas le pays des Droits de l’Homme, c’est d’abord le pays des révolutions. Et c’est le pays des révolutions parce qu’elle a toujours été en Europe depuis le Moyen-âge le pays où la réaction est la plus forte et la plus violente. Ne l’oublions pas. C’est un moteur à explosions, pas un long fleuve tranquille.
Jacques Chastaing, 8 juillet 2023
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