ENERGIE Depuis plus de cinquante ans, la France importe de l’uranium naturel nigérien. Mais le récent putsch et le sentiment anti-français sur place laissent craindre pour certains une rupture d’approvisionnement en matériaux nucléaires
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- Le Niger fournit à la France l’uranium indispensable aux centrales nucléaires. » Comme Sandrine Rousseau, nombre de membres de la classe politique se sont inquiétés des conséquences du putsch quant aux livraisons de combustibles nucléaires.
- D’après plusieurs experts consultés par 20 Minutes, si le Niger suspendait ses exportations d’uranium, la filiale nucléaire française n’en souffrirait pas.
- « La situation au Niger ne présente aucun risque sur la sécurité d’approvisionnement de la France en uranium naturel », a confirmé ce mardi le ministère français de la Transition énergétique
Souveraineté. Quand Emmanuel Macron réunissait en février dernier son Conseil de Politique Nucléaire (CPN) pour maintenir « le cap » de la relance de la filière, ce mot était sur toutes les lèvres. « Reprendre en main notre avenir énergétique et renforcer notre sécurité d’approvisionnement et notre souveraineté. » C’est ainsi que le président justifiait la construction de six nouveaux réacteurs de type EPR2.
Alors quand le Niger, deuxième fournisseur d’uranium naturel de l’UE, (25,38 % des importations européennes d’uranium naturel), tombe aux mains de généraux putschistes, certains se sont inquiétés de la faculté d’EDF à alimenter les 56 réacteurs français sans le précieux uranium nigérien, remettant donc en question l’indépendance énergétique française.
« Le Niger fournit à la France l’uranium indispensable aux centrales nucléaires. D’où le conseil de défense. Rappel : le nucléaire ne permet pas du tout l’indépendance énergétique », écrivait ainsi samedi sur Twitter la députée EELV Sandrine Rousseau. Sylvain Maillard, président du groupe Renaissance à l’Assemblée, s’en inquiétait aussi sur France Info jeudi dernier. « Vous savez très bien que l’uranium fait partie aussi de l’équation, et donc nous regardons avec grande attention ce qui va se passer », déclarait alors le parlementaire.
Des stocks au long cours
A la différence du gaz et du pétrole, l’industrie du nucléaire ne fonctionne pas en flux tendu. « Si on ferme une mine, ça n’a pas d’effet immédiat sur les centrales. Dans un premier temps parce que les centrales utilisent les combustibles pendant trois ans. Deuxièmement, parce qu’il y a une temporalité longue entre le moment où l’on extrait l’uranium du sol et le moment où l’on utilise le matériau dans une centrale. Enfin, nous avons actuellement deux années de stocks d’uranium et de ses produits transformés, l’uranium enrichi, l’uranium converti et l’uranium assemblé », explique Teva Meyer, maître de Conférences en géographie et géopolitique et chercheur spécialiste du nucléaire civil.
A long terme, la France aurait pu être inquiétée pour sa filiale si le Niger était son unique producteur d’uranium. Or « par rapport aux années 1970, la France a diversifié ses sources d’uranium », note Jean-Marc Gravellini, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste des enjeux sécuritaires et de développement dans la zone sahélienne. En effet, selon Teva Meyer, l’uranium nigérien représente sur les 10 dernières années 15 à 17 % des importations françaises.
« Les importations en provenance du Niger ne représentent qu’une infime partie de nos besoins. A long terme, dans l’hypothèse improbable où tout serait perdu, il faudrait acheter l’uranium ailleurs ou développer ailleurs de nouvelles mines » explique Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du centre Energie et Climat de l’Ifri. Or, depuis plusieurs années, la France importe moins du Niger « en raison des coûts de production au Niger qui sont élevés », remarque Teva Meyer. Des coûts qui ont incité l’opérateur français à se tourner depuis quelques années vers l’Asie centrale, en Ouzbékistan, au Kazakhstan mais aussi en Azerbaïdjan et en Australie. « D’autant plus qu’aujourd’hui, avec les enseignements de la guerre en Ukraine, nous diversifions plus facilement nos sources d’énergie », ajoute Jean-Marc Gravellini.
Le Niger, le cinquième premier producteur mondial d’uranium naturel
Les trois experts sont unanimes. Le coup d’Etat des militaires nigériens et un scénario de rupture d’approvisionnement du pays en uranium n’auront pas de conséquence à court et moyen terme sur la filiale nucléaire française. Une position partagée par la Commission européenne qui indiquait par la voix d’un porte-parole de l’exécutif européen lors d’une conférence de presse ce mardi qu’« il n’y a pas de risque d’approvisionnement en ce qui concerne l’UE. Les opérateurs de l’UE disposent de stocks suffisants d’uranium naturel pour atténuer tout risque d’approvisionnement à court terme ».
« A moyen et long terme, il existe suffisamment de gisements sur le marché mondial pour couvrir les besoins de l’UE », a ajouté le porte-parole. Selon Euratom, le Kazakhstan est le premier producteur mondial d’uranium naturel, avec 40,6 % du total extrait en 2020, suivi de loin par l’Australie (12,8 %), la Namibie (11,3 %), le Canada (8,1 %) puis enfin le Niger (7,6 %).
« La situation au Niger ne présente aucun risque sur la sécurité d’approvisionnement de la France en uranium naturel », a lui indiqué ce mardi le ministère français de la Transition énergétique, insistant sur les efforts de diversification des approvisionnements d’uranium. Le ministère fait par ailleurs valoir qu’EDF avait mis en œuvre une « gestion des stocks couvrant plusieurs années et développe le recyclage du combustible usé ».
Des craintes du côté d’Orano
« Par contre, le problème est très clairement pour Orano », soulève Teva Meyer. Au vu des proportions qu’ont les mines du Niger dans les ventes d’uranium de l’entreprise, en cas de rupture diplomatique avec le régime en place, les pertes financières risquent d’être importantes. Mais ce jour n’est pas arrivé. Pour l’instant, « les activités opérationnelles se poursuivent », indique à 20 Minutes le groupe minier.« La sécurité de tous nos collaborateurs présents au Niger et de nos sites continue d’être assurée et la vigilance renforcée. Aujourd’hui, les activités opérationnelles se poursuivent. La présence des expatriés ne conditionne pas la continuité des activités. Pour rappel, 99 % de collaborateurs sont Nigériens », écrit ainsi Orano, qui emploie environ 900 personnes sur place, dans un mail ce mardi matin. En attendant les futures annonces du gouvernement putschiste, un autre risque entoure l’exploitation française de l’uranium au Sahel : la Chine, comme l’explique Teva Meyer. « Les Chinois se sont installés au Niger en 2007. Ils n’exploitent pas, ils n’ont pas d’extraction. Mais ils ont une mine à l’arrêt dont ils sont actionnaires majoritaires, et il y a un mois ils signaient un nouveau contrat avec le gouvernement nigérien pour la remettre en exploitation. Ce sont eux qui regardent avec grand intérêt les futurs investissements », ou au contraire, la sortie d’Orano de l’uranium nigérien.
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