La Françafrique pour les nuls

BILLET DE BLOG 28 AOÛT 2023

Après le Mali, la Guinée, la Centrafrique et le Burkina Faso, c‘est aujourd’hui le Niger qui manifeste le désir de voir cesser le pillage de son pays par un colon sans scrupules qui ment depuis le jour où il a mis le pied en Afrique. Prisonnière d’une démocratie de façade corrompue qui exploite les peuples depuis les pseudo-indépendances, l’Afrique peine à décoller.

La farce des indépendances

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, De Gaulle a décidé d’anticiper sur le désir d’indépendance des colonies africaines et leur octroyer, en leur forçant la main, une indépendance purement fictive, qui se résume en gros au droit d’avoir un drapeau, des frontières, une belle devise et un hymne national. Il fit signer aux nouveaux dirigeants des « Accords de coopération », copie conforme du « Pacte colonial » dont seul le titre fut modernisé. Ces accords ne prévoyaient aucune réelle souveraineté des nouveaux états, pas plus monétaire qu’économique ou politique. Sékou Touré, en Guinée, refusa de signer, ce qui provoqua l’ire du Grand Charles qui, pour punir ce malotru qui osait lui tenir tête, ordonna la formation de mercenaires au Sénégal dans le but de renverser le régime guinéen par un coup d’état militaire. L’affaire ayant été ébruitée, il renonça à ce projet et décida d’imprimer à Chamalières (sur les presses de l’imprimerie de la Banque de France) de faux billets guinéens pour en inonder la Guinée et ruiner son économie. Beaucoup payèrent de leur vie leur désir de non-alignement (comme ce fut entre autres le cas pour Sylvanus Olympio, Ruben Um Nyobe, Félix Moumié, Thomas Sankara). Au Niger, un autre de ces dissidents, un certain Djibo Bakary, avait été écarté par les ignobles manœuvres de Pierre Messmer et son acolyte Colombani, qui avaient installé au pouvoir une brave et obéissante marionnette nommée Hamani Diori. Les dirigeants des « ex-colonies » ayant pour la plupart été choisis et mis en place par la France parce que les plus dociles et les plus corruptibles, les « soleils des indépendances » brillèrent presto de tous leurs feux et les néo-colonisés, enthousiasmés par les promesses de développement, de prospérité, d’éducation et de santé claironnées par l’ex-colon, se sentant soudain promus du rang de sujets à celui de « partenaires », firent au Général un triomphe digne de son entrée dans Paris libéré un quart de siècle auparavant.

Le beurre et l’argent du beurre

Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Elf Aquitaine raclait le fond des mers pour qu’en France puissent rouler nos voitures, voler nos avions et produire nos usines, gratifiant au passage les dirigeants de quelques miettes sous forme de royalties, commissions et autres pots de vin (comme l’a longuement expliqué devant les caméras de M6 l’ancien directeur Loïk Le Floch-Prigent et comme on peut le voir dans ce reportage). Areva, au Niger, raclait le fond du sable pour que puissent tourner nos centrales nucléaires et, à l’instar de tous ses prédécesseurs « démocratiquement » élus, Issoufou applaudissait et Bazoum après lui. Le président refilait de bons conseils à l’empereur, qui refilait à son tour quelques diamants au président, Chirac venait, avec un large sourire, donner en public du « mon cher Paul » à sa crapule préférée de Paul Biya (toujours bon pied bon œil) et Bongo faisait ce qu’il voulait, comme Sassou Nguesso et autre Gnassingbé. Et il en est encore ainsi : bois, cacao, coton, arachides, huile de palme, pétrole, uranium et autres minerais continuent d’être extraits et exportés par nos moteurs à banane (l’expression est d’Albert Londres, qui désignait ainsi, dans « Terre d’ébène », la main-d’œuvre noire exploitée dans tous les « champs de coton du commandant » et sur tous les chantiers du colon).

L’objectif de ce (néo)colonialisme n’a jamais varié : importer au prix le plus bas possible un maximum de matières premières africaines pour les consommer ou les transformer et revendre le plus cher possible, entre autres dans les colonies. C’est dans ce but que furent construites les infrastructures permettant, avant de répondre aux besoins des populations, d’acheminer et exporter les ressources africaines destinées à la France. Mais aussi que fut instaurée une monnaie échappant au contrôle des pays colonisés : le franc CFA.

Pour que tout fonctionne au mieux, il faut aussi que l’Afrique ne puisse ni s’industrialiser ni retourner à une agriculture vivrière. Forcée de développer une agriculture d’exportation (afin de pouvoir rembourser ses « dettes odieuses », vicieusement entretenues par les institutions de Bretton Woods), l’Afrique doit importer sa nourriture, devenant encore plus dépendante du colon, qui a ainsi mis en place au fil du temps un système politique, économique et monétaire parfaitement huilé et entièrement à son service. Mais c’est en voulant sans cesse avoir le beurre et l’argent du beurre que l’on finit par provoquer…

…L’ébullition

Aujourd’hui, et ce mouvement semble s’être accéléré au lendemain de l’accession au pouvoir de Macron et de son calamiteux discours de Ouagadougou en 2017 (voir ici, ou encore ),    le pillage en règle pratiqué par les « investisseurs » hexagonaux en Françafrique a pris des proportions que l’on peut sans exagération qualifier d’indécentes. En outre, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, l’armée s’incruste dans les pays du Sahel, accumulant les échecs et les erreurs de jugement, ne voulant faire aucun distinguo entre indépendantistes, djihadistes et terroristes et bombardant le tout à l’aide de drones, au point que les populations posent ouvertement la question de savoir si elle est là pour chasser les djihadiste ou sauver les despotes (lire « Le mirage sahélien », de Rémi Carayol, qui aborde en particulier cette question dans son chapitre 12).

Les populations, elles, n’en peuvent plus. Au terme de 60 ans de pseudo-indépendance, les pays de la Françafrique figurent toujours parmi les plus pauvres du monde et sept d’entre eux (Tchad, Niger, Centrafrique, Mali, Burkina Faso, Guinée, RDC) figurent même dans le groupe des 10 pays d’Afrique au plus faible IDH (indice de développement humain), et c’est toujours le colon qui décide de qui peut et doit acheter quoi, du maintien en place de ses marionnettes ou de l’installation de nouvelles, dans le seul but de faire perdurer l’exploitation du moteur à banane. Ce weekend, plus de 20 000 personnes acclamaient la junte au pouvoir dans le stade de Niamey au Niger. L’ambassadeur de France a été prié de plier bagages sous les 48 heures, et notre roitelet Macron rétorque avec une arrogance inégalée que ce n’est pas aux dirigeants nigériens d’en décider. Mais pour qui se prend-il ?

Voilà en résumé comment fonctionne la Françafrique.  Il faudrait bien entendu s’étendre davantage sur cette « dette odieuse », sur les catastrophiques PAS (plans d’ajustement structurels), parler de Sankara, et aussi de Sonko, mais le titre promettait un exposé clair et concis. Un exposé qui n’a toutefois rien de la caricature.

Amitiés fraternelles. 

Pélicans à Joal © A.H.G. Randon
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