Manifestation en 2014 à Niamey, la capitale du Niger. – © Boureima Hama / AFP
Le putsch au Niger et le fort sentiment anti-français découlent en partie de la politique colonialiste de la France. Depuis 50 ans, elle maintient le pays sous sa domination pour en extraire l’uranium nécessaire à sa politique nucléaire.
Depuis le coup d’État militaire du 26 juillet, le Niger est en pleine ébullition. En particulier, les manifestations contre la présence française se sont multipliées. Les causes de cette explosion sont nombreuses : l’enlisement de l’opération Barkhane, la montée du terrorisme ou encore la corruption endémique du régime. Mais la situation actuelle est aussi le symptôme de transformations plus profondes qui viennent éclairer les relations entre la France et le Niger.
Quoi qu’en dise la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, la Françafrique n’est pas « morte ». Elle grève toujours le pays, nourrit le ressentiment anti-français et peut être instrumentalisée par d’autres puissances étrangères comme la Russie ou la Chine.
La crise nigérienne est « le dernier soubresaut de la longue agonie du modèle français de décolonisation incomplète », assure ainsi l’intellectuel Achille Mbembe. Pour le journaliste-écrivain Seidik Abba, président du Centre international d’études et de réflexion sur le Sahel, « la colère qui s’exprime aujourd’hui dans les rues de Niamey ne peut être considérée comme épidermique. Le sentiment de rejet vient de loin et le récent comportement de la France a réveillé une impression de paternalisme et d’arrogance coloniale », souligne-t-il dans un entretien au Média.
« Troisième producteur d’uranium au monde »
Classé parmi les pays les plus pauvres du monde, le Niger souffre d’une instabilité politique chronique avec pas moins de cinq coups d’État en soixante ans. Ce qui fait dire à l’anthropologue Jean-Pierre Olivier de Sardan que le pays possède « une culture putschiste ». Il a aussi vécu de nombreuses famines dont les causes ne sont pas seulement naturelles mais également liées à la politique néolibérale imposée par le Fonds monétaire international (FMI) sous la forme des « programmes d’ajustement structurel » : ceux-ci poussaient notamment au désengagement de l’État et à la privatisation des services publics.
Au cœur des enjeux, on retrouve la richesse du sous-sol nigérien. Troisième producteur mondial d’uranium, le Niger a longtemps été le partenaire privilégié et exclusif de la France. Plus de 130 000 tonnes d’uranium ont été extraites grâce aux deux filiales d’Orano (ex Areva) la Somaïr et la Cominak. 130 000 tonnes, c’est deux fois plus que ce que l’industrie nucléaire a prélevé dans les mines françaises en cinquante ans. « Le contrôle de l’uranium avec celui du pétrole et d’autres ressources fut l’une des raisons du maintien d’un dispositif de domination économique, politique et militaire de la France sur ses anciennes colonies, au lendemain de leur indépendance », rappelle Raphaël Granvaud, membre de l’association Survie et auteur du livre Areva en Afrique (éd. Agone, 2014).
« La vie du Niger est étonnamment liée aux évolutions de la relation commerciale avec la France »
Il révèle dans son livre comment « la vie agitée du Niger fut étonnamment liée aux évolutions de la relation commerciale avec la France ». Au Niger, tous les moyens furent bons pour maintenir un régime sous tutelle : contre-espionnage, instrumentalisation d’insurrections touareg, complicité avec les putschistes.
Dès l’indépendance du Niger en 1958, la France a signé avec lui une série d’accords pour s’assurer un accès privilégié à l’uranium, considéré comme une matière première stratégique. En échange, le pays se voyait garantir la sécurité militaire, des marchés pour ses produits et une aide au développement. Ces traités comportaient aussi un appendice secret : la France s’engageait à défendre les nouveaux dirigeants non seulement contre les menaces extérieures mais également contre de possibles coups d’État.
Certains n’ont cependant pas eu cette chance. En 1974, Hamani Diori, le chef d’État du Niger de l’époque, fut victime d’un putsch, avalisé par Paris, juste après avoir réclamé une augmentation du prix de vente de l’uranium. Trente ans plus tard, le président Mamadou Tandja commit la même erreur. Après avoir gagné une substantielle augmentation du prix de l’uranium en 2008 et avoir obtenu que le Niger puisse vendre sa ressource minière à d’autres clients que la France, il fut renversé en 2010 par les militaires. Mahamadou Issoufou, un ingénieur des Mines, formé en France et ancien salarié d’Areva parvint à la tête de l’État à peine un an plus tard.
« Seulement, 12 % de la valeur de l’uranium exporté est revenu au Niger »
« L’exploitation de l’uranium a nourri une corruption généralisée, observe l’historienne Gabrielle Hecht, dans son livre l’Uranium Africain (éd. Seuil, 2016). Pendant des décennies, les revenus tirés de l’uranium ont surtout servi à la construction d’immeubles clinquants à Niamey et à l’enrichissement personnel des membres du gouvernement. »
Si le Niger a largement contribué au développement de la puissance nucléaire de la France, on ne peut pas dire que cela soit réciproque. 15 % de l’uranium nécessaire aux centrales françaises provient encore du Niger mais 85 % des Nigériens n’ont toujours pas accès à l’électricité. Selon Raphaël Grandvaud, seulement 12 % de la valeur de l’uranium exporté est revenu à l’État nigérien. Pour Gabrielle Hecht, cette distorsion incarne « la perpétuation du privilège colonial ».
En 2013, dans un rapport sur les politiques extractivistes, l’association Oxfam a d’ailleurs montré comment Orano, ex Areva, profitait de la situation. L’uranium nigérien représentait près de 30 % de la production du groupe français mais le Niger percevait seulement 7 % des versements d’Areva aux pays producteurs, notaient-ils. L’entreprise a su négocier des réductions d’impôt qui lui ont fait gagner plusieurs dizaines de millions d’euros. Sans compter la gratuité dont l’entreprise bénéficie pour prélever des millions de litres d’eau dans la nappe phréatique d’Agadez en plein désert.
En réalité, le pouvoir d’Orano au Niger est colossal. Au plus près des instances dirigeantes, l’entreprise est même suspectée de « corruption ». En 2014, elle offrait indirectement un avion présidentiel au chef de l’État du Niger Issoufou, ancien d’Areva. Dans le cadre de l’affaire Uranium gate, révélée en 2017, on soupçonne aussi que certaines élites nigériennes aient pu bénéficier de rétrocommissions et de pots-de-vin. Issoufou est toujours dans le viseur de la justice. Il aurait touché pas moins de 3 millions de dollars.
« La France défend ses intérêts »
Les effets de l’exploitation de l’uranium nigérien se sont aussi faits sentir sur les plans environnemental et sanitaire, du fait d’une relation là encore de faible indépendance.
En 2003, le laboratoire de la Crii-Rad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité) s’est ainsi confronté au pouvoir de la multinationale. Alors que l’association dénonçait, en lien avec l’ONG locale Aghirin’man, les conséquences sanitaires et environnementales des mines d’uranium à Arlit, dans le nord du pays, Orano a tout fait pour l’empêcher de réaliser son étude.
« D’abord , ils ont voulu faire annuler notre voyage, raconte Bruno Chareyron, le directeur de l’association. Puis ils ont fait pression pour confisquer nos outils de mesures professionnels à l’aéroport de Niamey. Quand on s’est plaint à un ministre et à un député nigériens, ils nous ont dit que l’ordre venait de Paris et qu’ils ne pouvaient rien faire. »
Sur place, Orano était seul maître à bord. Elle était soumise à très peu de contrôles. Les suivis des pollutions étaient des « écrans de fumée », estimait Greenpeace dans un rapport de 2010. Le Centre national de radioprotection du Niger, l’organisme de régulation étatique chargé des risques radiologiques, n’a été créé qu’en 1998 et une dizaine d’années plus tard, il ne possédait toujours pas d’instruments de mesure des taux de radon.
« Quand j’entends ces derniers temps que la France n’aurait pas besoin de l’uranium du Niger, je souris. C’est une insulte à la vérité et une négation de l’histoire », insiste Seidik Abba. Le cordon ombilical entre l’ancienne puissance coloniale et ses colonies n’est toujours pas coupé. La politique extractiviste de la France explique d’ailleurs en partie la présence décriée de militaires français dans le pays. Quand en janvier 2013, des attaques djihadistes ont frappé le sud de l’Algérie, la France s’est empressée d’envoyer des commandos spéciaux protéger les mines du Niger.
En mai de la même année, lorsque les filiales d’Orano ont été attaquées, la France a aussitôt envoyé des troupes pour neutraliser les terroristes. Les intérêts français ne sont pas cachés. L’uranium reste une ressource stratégique alors que le gouvernement de M. Macron planifie la construction de nouvelles centrales consommatrices du minerai. Cela explique aussi pourquoi Orano a signé en mai 2023 un accord avec l’ancien gouvernement nigérien pour exploiter l’un des plus gros gisements du monde, la future mine d’Imouraren, située au nord d’Agadez.
« Le nucléaire est une énergie qui perpétue la colonisation »
Emmanuel Macron assume cette position mercantile avec arrogance. Dans un discours à l’Élysée, en février 2023, il déclarait ainsi avoir « des intérêts à défendre, quand on parle d’Afrique. Il faut le dire clairement parce que cela va beaucoup mieux en le disant. On ne va pas faire le bien commun. […] C’est ça un partenariat réciproque et équilibré. On ne prend pas les gens pour des imbéciles. On ne dit pas j’arrive chez vous car on va faire le bien à votre place. Non. On vient défendre nos intérêts et on le fait de manière respectueuse avec les intérêts des pays africains ».
« Le nucléaire est une énergie qui perpétue la colonisation, dit Pauline Boyer, chargée de campagne à Greenpeace. Ce qui se passe au Niger a au moins le mérite de montrer que l’indépendance énergétique grâce au nucléaire est une chimère. » Pour l’ONG, que la France se désengage du nucléaire serait aussi une manière de sortir des relations toxiques qui écrasent les pays du Sud. Et c’est ce type de relations qui constitue aujourd’hui le contexte sous-jacent de la crise au Niger.
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