A Lille, La Tente des glaneurs sauve les aliments de la poubelle

A quelques jours de l’examen du projet de loi sur l’économie circulaire, rencontre avec ces femmes et hommes qui, tous les dimanches, récoltent, trient et distribuent gratuitement un maximum de denrées alimentaires.

Par   Publié le 10 juillet 2019 

L’équipe des glaneurs. Laurie Moniez

Même en ce dimanche caniculaire, ils sont là. Armés de leurs chariots de supermarché, les bénévoles de l’association La Tente des glaneurs sillonnent les allées de l’un des plus grands marchés de France, situé dans le quartier populaire de Wazemmes, à Lille. Cette dizaine de femmes et d’hommes ont moins d’une heure trente pour récolter le maximum de denrées alimentaires et les trier, avant leur distribution gratuite, à 14 heures. Depuis 2010, cette association redistribue fruits, légumes, pain et fleurs à une population qui n’a pas accès, souvent à cause de revenus tout juste trop élevés, à l’aide alimentaire d’urgence.

Leur devise ? « Jeter c’est jeté. Donner c’est mangé. » « Les hommes politiques peuvent bien faire des lois, il faut venir sur le terrain voir si elles correspondent aux besoins », soupire Jean-Loup Lemaire, ancien chef cuisinier et fondateur de La Tente des glaneurs.

Trois ans après le vote de la loi sur le gaspillage alimentaire dont il a été l’initiateur, le député Guillaume Garot (Parti socialiste, Mayenne) vient de publier un rapport d’évaluation sur le sujet, assorti de quatorze nouvelles propositions.

Interdition de détruire

Et, avant fin juillet, le conseil des ministres examinera le projet de loi sur l’économie circulaire élaboré par la secrétaire d’Etat, Brune Poirson. Parmi les différentes mesures contenues dans le texte, une « première mondiale », selon le chef du gouvernement, Edouard Philippe : l’interdiction de détruire des produits non alimentaires invendus (vêtements, électroménager, produits d’hygiène ou de beauté…) à partir de fin 2021 ou de fin 2023. Selon Matignon, ce sont aujourd’hui plus de 650 millions d’euros de produits non alimentaires neufs et invendus qui finissent dans les poubelles chaque année.

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La collecte démarre par un café de bienvenue pour greffer nouveaux et anciens bénévoles. A 12 h 30, c’est le top départ. Le grisonnant Christian Hanssens, alias « Cricri », 66 ans, a ses petites habitudes quand il s’agit de rendre visite aux « commerçants fournisseurs solidaires alimentaires ». Il démarre toujours sa tournée par le seul primeur sédentaire qui prépare quelques colis pour La Tente des glaneurs. « Je donne environ 100 kilos chaque semaine, explique Rachid Bachiri. Ce sont des produits que je pourrais vendre, mais c’est pas grave, on nourrit des bouches. »

« Pour nous, c’est un peu de manque à gagner, mais pour tous ces gens, c’est beaucoup, alors ça me fait plaisir de donner. » Malik Darem, commerçant

Ce midi-là, il a préparé des poivrons, des bananes, des abricots d’Espagne ou encore quelques échalotes fraîches. « Cricri » poursuit sa tournée au cœur du marché de Wazemmes sous un soleil de plomb. Avec Christelle et Claire, il récupère des caisses de melons, des boîtes de 500 grammes de dattes abîmées mais propres à la consommation ou encore quelques kilos de carottes. Impossible pour lui de ne pas saluer Malik Darem, 48 ans. Avec ses associés, celui-ci gère trois stands de fruits et légumes. Alors une fois de plus, juste avant que ne sonne la fin du marché du dimanche, il met à disposition des glaneurs près de 500 kilos de marchandise. « Je n’ai jamais été riche, mais je n’ai jamais manqué de rien, explique le­ commerçant. Pour nous, c’est un peu de manque à gagner, mais pour tous ces gens, c’est beaucoup, alors ça me fait plaisir de donner. »

A l’autre bout du marché, une autre équipée, emmenée par Stéphanie, salue les fleuristes de la place de la Nouvelle-­Aventure et repart avec quelques bouquets dans le chariot. « Avant, on jetait les fleurs qui étaient trop ouvertes, explique ­Brigitte, fleuriste non sédentaire. Désormais, on donne. » Le fondateur de La Tente des glaneurs y tient, à ses quelques roses et pivoines. « On offre de beaux bouquets aux gens fragiles, explique Jean-Loup Lemaire. On n’est pas une tente de bobos en lutte contre le gaspillage, on lutte avant tout contre la précarité alimentaire. » Ce Lillois aime raconter que, pendant une période de sa vie, il a « donné à manger aux riches » et qu’un jour il a « décidé de donner richement à manger », car il en avait marre de voir les gens aller dans les poubelles pour pouvoir se nourrir. Le retour à la dignité est l’un des leitmotivs de cet infatigable humaniste.

#mangetapoubelle

Sous la tente dressée chaque dimanche à Lille, il tient à ce que les denrées soient joliment présentées, car il sait qu’une partie de ces visages qui attendent en file indienne l’ouverture du stand ne se rendent pas aux Restos du cœur par honte.

« Sans eux, je ne pourrais pas faire des plats variés ni des purées de fruits ou de légumes à mes princesses de 3 ans et 7 mois », confie Claudia, maman de 36 ans. « Je suis dans la démarche antigaspillage et, comme j’ai déjà à peine de quoi payer mon loyer, je viens ici,explique Laure, 25 ans, un cabas à la main. Ma famille se rendait aux Restos du cœur et ce n’était pas facile alors qu’ici vient qui veut. » Les glaneurs lui permettent d’économiser de 20 à 30 euros sur ses provisions hebdomadaires.

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Avec son concept de glanage d’aliments sauvés de la poubelle, Jean-Loup Lemaire a créé une vingtaine de Tentes à travers la France, comme à Caen, Strasbourg, Grenoble…

Pour le chef étoilé Florent Ladeyn, président de l’association, « La Tente des glaneurs, c’est plus qu’un engagement, c’est avoir le goût des autres ». Ce finaliste de « Top Chef » en 2013 propose régulièrement des initiatives culturelles et des dégustations avec les bénévoles de La Tente des glaneurs, où il confectionne des plats cuisinés de haute qualité avec les produits du gaspillage ­alimentaire. Une opération baptisée #mangetapoubelle.

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