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ETATS-UNIS
Aux Etats-Unis, de plus en plus de voix de la communauté juive s’élèvent contre l’offensive meurtrière d’Israël à Gaza, soutenue inconditionnellement par son allié américain. Nous publions cette tribune parue dans The Guardian pour apporter au débat sur la situation. Les tribunes libres parues sur Révolution Permanente ne reflètent pas nécessaire le point de vue de la rédaction.
19 octobre
Il est désormais impossible pour les politiciens américains d’ignorer le massacre à Gaza : plus de 3 500 Palestiniens ont été tués ces 12 derniers jours, dont 500 tués mardi à l’hôpital Al-Ahli Arabi. Environ 50 familles entières ont été anéanties : parents, cousins, membres éloignés, y compris les enfants et les bébés, ont disparu. Israël a envoyé un ordre à ceux qui restent, qui équivaut à un ultimatum : quittez le nord de Gaza, vous qui êtes 1,1 million, « pour votre propre sécurité ». En d’autres termes, évacuez ou risquez la mort lors des bombardements imminents et de l’invasion terrestre.
Les Nations Unies estiment qu’une telle évacuation massive est « impossible » et pourrait avoir des « conséquences humanitaires dévastatrices », implorant Israël de révoquer l’ordre. Un rapporteur spécial de l’ONU était clair, qualifiant l’ordre de « crime contre l’humanité et une violation flagrante du droit international humanitaire ».
Nous appelons cela autrement : un génocide en cours.
Il n’y a pas d’autre mot pour décrire la politique de massacres adoptée par la classe politique israélienne. En vertu du droit international, le génocide est qualifié par deux aspect : une « intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux », suivie par la tentative de destruction de ce groupe. Sans intention, ces actions équivalent à un nettoyage ethnique. S’ils sont délibérés, ils sont considérés comme un génocide.
Israël semble préparer le terrain pour détruire Gaza et ses habitants. Le président Isaac Herzog a déclaré vendredi dernier que les habitants de Gaza ne peuvent pas être considérés comme des civils innocents : « C’est une nation entière, là-bas, qui est responsable. Ce n’est pas vrai, cette rhétorique sur les civils qui ne sont pas conscients, qui ne sont pas impliqués. C’est absolument faux ». Cela contredit le droit international qui interdit les sanctions collectives et le ciblage des civils, tous deux constituant des crimes de guerre. Cela suggère également qu’Israël ne montrera aucune retenue dans ses attaques contre Gaza.
Les déplacements forcés qu’Israël a initié sont une étape préalable au processus d’extermination. En réalité, il s’agit de la dernière étape avant les meurtres de masses dans les 10 étapes du génocide identifiées par les chercheurs du monde entier sur la question génocidaire. 10 étapes citées internationalement dans les musées de l’Holocauste. Ces étapes, qui peuvent se produire simultanément, incluent la « déshumanisation », des actions privant les groupes d’eau et de nourriture, et la qualification mensongère des opérations militaires comme étant des opérations de « contre-terrorisme ».
Nous y sommes. Les responsables israéliens invoquent le terrorisme pour justifier leur campagne aveugle de bombardements, tandis que le ministre de la Défense israélien a déclaré qu’ils luttent contre des « animaux humains », un langage de déshumanisation qui est toujours utilisé dans la préparation des génocides. De plus, un responsable de la défense israélienne anonyme cité par le New York Post a déclaré que « Gaza finira par devenir une ville de tentes. Il n’y aura plus de bâtiments. »
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a réitéré sa promesse : les tueries de masse de ces douze derniers jours ne sont « que le début ». La bande de Gaza est « complètement sous siège », a déclaré le ministre de la Défense, coupée d’électricité, de carburant, de nourriture et d’eau. Un membre de la Knesset a ouvertement appelé à une deuxième Nakba, terme faisant référence au déplacement massif des Palestiniens en 1948. Encore une fois, préparer délibérément une nouvelle Nakba équivaut à un génocide à Gaza.
Les mots utilisés montrent aussi une dynamique de fichage et de hiérarchisation des populations : un soldat israélien a déclaré sur CNN que cette guerre ne concerne pas seulement le Hamas, mais « tous les civils ». Cette éradication indiscriminée des Palestiniens à Gaza serait, sans aucun doute, un génocide, comme l’a affirmé un chercheur israélien en génocide. Les précurseurs du génocide sont là, sous nos yeux.
En tant que Juifs, nous condamnons fermement cela. Nous condamnons le soutien inconditionnel de nos élus à la politique israélienne, qui a facilité une occupation de plusieurs décennies, reconnue par la majorité des Etats comme une violation du droit international. Nous condamnons toute action qui impliquerait notre peuple dans un autre génocide – que ce soit en tant que coupables ou opprimés.
Nous appelons nos élus à faire de même. Financer un génocide potentiel en notre nom n’est pas un antidote à l’antisémitisme : ils trahissent les Juifs qu’ils prétendent soutenir.
Plus de 1 400 Israéliens ont été tués il y a deux semaines dans de brutales attaques surprises du Hamas, et plus de 150 ont été pris en otage. C’est un bilan terrible, dévastateur, et, sans réserve, nous pleurons la perte de vies civiles. Empêcher la perte d’autres vies, y compris celles des otages, est une priorité urgente.
Nous rejetons aussi l’obsession maladive sur le Hamas qui monopolise les déclarations de la sphère politique américaine, car nous savons que cette attaque est le résultat de décennies de crimes et d’un état de siège constant imposé par Israël. Ce n’est pas seulement nous qui affirmons cela, mais l’opposition israélienne, les groupes de vétérans et les journaux israéliens eux-mêmes.
Nous demandons à notre communauté juive : où est votre deuil, où est votre douleur les jours où les morts civiles sont palestiniennes ? Quand les enfants sont arrêtés par des soldats israéliens ?
Entre l’an 2000 et la récente vague de violence, plus de 10 600 Palestiniens ont été tués par des Israéliens, selon le groupe de défense des droits de l’homme B’Tselem, quand 1 329 Israéliens ont été tués par des Palestiniens, soit huit fois moins.
Entre 1948 et 2000, des dizaines de milliers de morts sont à dénombrer, principalement des Palestiniens. L’histoire de ce conflit, les chiffres le montrent clairement, s’est écrite dans la mort et les déplacements forcés de Palestiniens.
La grande majorité des politiciens américains, maintenant et à l’époque, ont soutenu cette politique.
La dernière semaine, le président Joseph Biden a déclaré à plusieurs reprises que l’engagement des États-Unis envers Israël serait « ferme et inébranlable » alors que 1 000 bombes sont larguées chaque jour. Le secrétaire d’État Anthony Blinken a empêché à deux reprises la publication de déclarations officielles appelant à un cessez-le-feu. Alors que Biden visite Israël, il est essentiel qu’il appelle immédiatement à la fin des hostilités. S’il ne se sert pas de son influence pour sauver des vies à Gaza, ces morts seront en partie de sa responsabilité.
Un envoyé spécial des États-Unis a déclaré que « personne n’a le droit de dire à Israël comment se défendre ». Le Département d’État a par ailleurs averti ses diplomates de ne pas utiliser les expressions « désescalade/cessez-le-feu », « fin de la violence/meurtre » ou encore « rétablissement du calme ».
La plupart de nos élus au Congrès -des deux partis- ne sont pas meilleurs : le sénateur républicain de premier plan, Lindsey Graham, a déclaré qu’il s’agissait d’une « guerre religieuse » et a appelé Israël à « tout raser » en parlant de Gaza.
La députée démocrate californienne Nancy Pelosi a affirmé que les États-Unis soutiennent « inébranlablement » la politique israélienne de défense. Face à cela, nous avons été sept à nous enchaîner à ses bureaux de San Francisco vendredi, pendant que plus de 200 juifs antisionistes manifestaient, appelant à mettre fin à l’aide militaire américaine à Israël.
Les quelques élus dissidents ont été mis à l’écart : la députée Rashida Tlaib, par exemple, a regretté les pertes des deux côtés, mais a appelé à la fin de l’occupation et de l’apartheid. Les républicains de la Chambre des représentants cherchent maintenant à la censurer. La députée Ilhan Omar a également pleuré les pertes israéliennes et palestiniennes, mais a été vivement critiquée pour avoir osé remettre en question les « ventes inconditionnelles d’armes et l’aide militaire à Israël ».
La Maison Blanche a qualifié de « scandaleuses » et de « répugnantes » toute déclaration d’élus appelant à la retenue.
La politique humanitaire la plus élémentaire -déposer les armes- est aujourd’hui impensable dans la politique américaine. Remettre en question le droit d’Israël à la « légitime défense » équivaut selon eux à de l’antisémitisme.
Cette prétendue lutte contre l’antisémitisme est en réalité une campagne de terreur et cache le développement de projets génocidaires. Avec le soutien de l’Occident, Israël plonge tête la première dans un massacre.
Si l’incursion initiale du Hamas a suscité une condamnation immédiate de la part des politiciens à travers les Etats-Unis, les bombardements récents n’ont eu aucune répercussion. Aucune réflexion sur les raisons historiques de la naissance du Hamas, de l’occupation ou encore de pourquoi Gaza est barricadée de toutes parts.
Israël a dit aux habitants de Gaza de partir ou de mourir, un choix entre l’expulsion et l’extermination, entre le nettoyage ethnique et le génocide, tout en fermant toute porte de sortie et en tirant sur les convois de réfugiés, laissant les habitants de Gaza piégés.
Au lieu de demander un arrêt immédiat de la violence, les députés et sénateurs américains ont illuminé nos bâtiments du Capitole en bleu et blanc et ont déclaré qu’ils « soutenaient Israël ». Ils ont le pouvoir de changer les choses et de contraindre Israël -le plus grand bénéficiaire de l’aide militaire américaine- à respecter le droit international, mais ils choisissent de ne pas le faire.
Assez. Nous demandons aux législateurs de rassembler leur courage pour empêcher un génocide de se produire en notre nom. Ils peuvent soutenir les victimes israéliennes sans permettre un massacre de masse et un déplacement forcé, des actions qui coûteront des milliers et des milliers de vies.
Tous les décès à venir seront autant de sang sur les mains d’Israël, mais aussi sur celles des Américains – en particulier ceux qui ont eu la possibilité de faire respecter le droit international et de condamner l’occupation, mais qui ont choisi de rester passifs.
- Ellen Brotsky est une militante juive de longue date et bénévole auprès de Jewish Voice for Peace Bay Area, une section de la plus grande organisation juive anti-sioniste du monde agissant pour la solidarité avec la liberté palestinienne.
- Ariel Koren est une juive anti-sioniste qui a quitté Google pour protester contre les contrats militaires de l’entreprise avec Israël ; elle est la fondatrice de Respond Crisis Translation, un collectif de militant engagé dans l’aide linguistique aux migrants et réfugiés.
- Traduit par Arthur Nicola. Article original en anglais disponible ici.
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