Argentine : Massa capitalise le rejet de la droite et fera face à l’extrême-droite de Milei au second tour

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Au premier tour des présidentielles, le ministre de l’Économie et candidat de centre-droit Sergio Massa est parvenu à se placer en tête, malgré sa responsabilité dans la crise actuelle, et affrontera l’extrême droite de Javier Milei au second tour.

Eduardo Castilla

23 octobre

Malgré sa responsabilité dans les politiques austéritaires du FMI et une inflation incontrôlable, le candidat péroniste et actuel ministre de l’Économie a réussi à capitaliser un très large vote de rejet de la droite et de l’extrême-droite. Massa a ainsi regagné hier énormément de terrain par rapport aux primaires d’août, en obtenant 36,6 % des voix avec 97,9 % des votes comptés. Javier Milei, le candidat libertarien, n’est quant à lui pas parvenu à dépasser la barre des 30% et ira donc au second tour avec Massa.

Patricia Bullrich, la candidate de la droite, a de son côté terminé en troisième position avec 23,8 % des voix, et Juan Schiaretti en quatrième position avec 6,8 %. Dans ce contexte, la candidature d’extrême-gauche du Front de Gauche et des Travailleurs – Unité de Myriam Bregman et Nicolás del Caño a obtenu 2,69 % des voix. Le FIT-U conquiert de ce fait un siège de député supplémentaire (5 députés nationaux).

Massa profite de la peur de la droite et d’une explosion économique, Bullrich n’ira pas au second tour

L’élément notable de ce dimanche a été la résurgence de Sergio Massa. Malgré l’austérité imposée par le FMI, l’inflation galopante qui perturbe l’économie (dépassant les 138 % par an), et un taux de pauvreté atteignant 40 %, le candidat et ministre de la coalition péroniste au pouvoir (Union por la Patria, UxP) a réussi à capitaliser le rejet de la droite de Milei et de Juntos por el Cambio (JxC) dans les urnes.

En plus des craintes que la droite très radicale de Bullrich ou l’extrême-droite de Milei ne parvienne au pouvoir, un des moteurs du vote Massa s’inscrit dans la peur d’une explosion économique dans le pays. Milei s’est notamment tiré une balle dans le pied lorsque ce dernier a revendiqué ouvertement la perte drastique de valeur du peso Argentin, arguant que celle-ci ne faisait que confirmer la nécessité d’un plan de dollarisation du pays qu’il porte dans son programme.

C’était vite oublier les conséquences dramatiques de cette dévaluation quotidienne sur les Argentins, qui ont notamment vu en quelques jours les prix de l’alimentation exploser et leurs salaires perdre drastiquement en valeur. Une expression de la brutalité de son programme économique, qui a largement alimenté une dissuasion de voter Milei.

Dans ce contexte, le fort soutien des médias et des grandes entreprises dont a bénéficié Patricia Bullrich n’aura pas permis de changer la dynamique politique générale. La candidate de Juntos por el Cambio est arrivée en troisième position avec 23,8 % des voix et n’a pas réussi à rassembler l’ensemble des électeurs qui avaient voté aux primaires pour cette coalition, notamment parmi les électeurs du centriste Larreta. L’un des bénéficiaires de cette situation semble avoir été Juan Schiaretti, gouverneur de la province de Córdoba et cinquième candidat de l’élection, qui a obtenu 6,8 % des voix et a réussi à renforcer sa propre représentation au Congrès national.

L’extrême-gauche effectue une percée au congrès

Dans un contexte politique très polarisé à droite, la gauche a obtenu un résultat similaire à celui des primaires. La formule dirigée par Myriam Bregman et Nicolás del Caño a recueilli 2,69 % des voix. Avec ce score, elle arrache un nouveau député national et un nouveau législateur dans la ville de Buenos Aires, ce qui lui permet d’élargir sa représentation parlementaire.

Christian Castillo, dirigeant politique du parti Parti des Travailleurs Socialistes (organisation sœur de Révolution Permanente), rejoint ainsi les quatre autres députés nationaux de l’extrême-gauche. De son côté, Celeste Fierro, du MST, se joint à la délégation du parlement provincial Buenos Aires, qui compte quatre législateurs.

La coalition de partis d’extrême-gauche du Front de Gauche et des Travailleurs – Unité (FIT-U) existant depuis 2011 continuera à utiliser ses sièges de députés nationaux et provinciaux comme outils des luttes, afin de dénoncer et lutter contre les plans austéritaires menés conjointement avec le FMI, les grands patrons et leurs représentants politiques du gouvernement et de l’opposition.

La campagne du péronisme contre la droite ne pourra pas cacher ses plans austéritaires

L’Union pour la Patrie (UxP) de Sergio Massa est parvenue à sauver la face après la catastrophe des élections primaires (PASO) d’août dernier (Massa faisait alors autour de 21%). Cela s’explique avant tout par une campagne largement centrée sur la peur des candidats de la droite. Sergio Massa s’est ainsi présenté comme le candidat de la stabilité au milieu de la crise. Cette campagne ne saurait cependant masquer la responsabilité de Massa lui-même dans les avancées de l’extrême-droite.

D’abord parce qu’une partie des avancées de la Libertad Avanza (Milei)) s’explique par le soutien que son organisation a reçu du péronisme pour affaiblir la droite institutionnelle, notamment dans l’élaboration de ces listes électorales nationales et provinciales. D’autre part, parce que Massa a rappelé à plusieurs reprises, notamment lors des débats présidentiels, qu’il était disposé à construire un gouvernement « d’unité nationale », y compris avec l’extrême-droite de Milei.

Hier soir, lors de son discours, Massa n’a mentionné à aucun moment le parti au pouvoir ou le gouvernement de Alberto Fernandez auquel il appartient. Comme s’il voulait « oublier » la réalité de ses plans économiques et les responsabilités du gouvernement actuel dans la croissance historique de l’extrême-droite. Il a par ailleurs profité de son discours pour rechercher des voix en vue du second tour, insistant sur la fin de la polarisation, réitérant l’appel à « plus d’ordre » qu’avait tant mis en avant Patricia Bullrich et sa proposition de « faire appel aux meilleurs », comme il l’avait fait lors des débats présidentiels, en incluant Juntos por el Cambio et La Libertad Avanza dans un hypothétique « gouvernement d’unité nationale ».

De son côté, Milei, après avoir enchaîné les déclarations économiques à quelques jours des élections, générant y compris des phénomènes de paniques bancaires, a subi les conséquences de devoir assumer devant des millions de personnes lors des débats présidentiels son discours ouvertement négationniste des crimes de la dictature. Cette confirmation devant des millions de personnes de la brutalité de son programme économique et de ses positions réactionnaires a largement freiné sa capacité à capter un électorat plus large que celui qu’il avait déjà conquis lors des PASO.

En ce sens, dans son discours ce dimanche soir, il a choisi de ne pas nommer son futur adversaire ni le parti au pouvoir. Il a en revanche mentionné le kirchnérisme sept fois, à la manière de Patricia Bullrich, et faisant surtout appel à Juntos por el Cambio à plusieurs reprises, du côté desquels il cherchera des voix pour essayer de remporter le second tour. Il a en ce sens également évoqué l’enjeu de « travailler ensemble pour un changement », félicitant Jorge Macri et Rogelio Frigerio, ancien ministre de Macri et gouverneur élu d’Entre Ríos. Une tentative de rallier les électeurs macristes qui contraste avec son discours « anti-élite ».

Une tendance à la fragmentation politique du pays

L’issu de l’élection sera confirmée lors du second tour, le dimanche 19 novembre. Cependant, les résultats actuels permettent d’anticiper une partie de la vie politique à venir en Argentine. Les élections législatives ont en effet consolidé une tendance à la fragmentation politique. Cette conclusion reflète mieux la réalité que le seul résultat du second tour entre Massa et Milei. Le nouveau Congrès sera marqué par une multitude de groupes et d’intergroupes qui symboliseront cette fragmentation. La mécanique politique, tant au Sénat qu’à la Chambre des députés, dépendra en grande partie de la tâche laborieuse consistant à parvenir à des accords et des consensus.

Quel que soit le vainqueur du second tour, il sera contraint de tenter de trouver des points de convergence pour promouvoir des projets législatifs. Cependant, cela est plus facile à dire qu’à faire. La fragmentation elle-même révèle la crise de représentation que traversent les coalitions politiques majoritaires. Elle cristallise le soutien limité dont elles bénéficient politiquement. De ce point de vue, elle préfigure un scénario de tensions plutôt que de consensus.

Les trois semaines restantes jusqu’au 19 novembre s’annoncent tendues sur le plan social et économique. La grande majorité des travailleurs continuera à subir les conséquences d’une tempête sociale et économique dont il existe des responsables, ainsi que des bénéficiaires. Parmi les responsables, on peut citer le FMI et ceux qui ont approuvé ou permis l’accord qui a légalisé l’endettement sous le gouvernement de Macri. Parmi les bénéficiaires, on compte les grandes entreprises qui se sont largement enrichies aux dépens des salaires.

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