Conflit israélo-palestinien : calomnies médiatiques contre LFI ou « La Formation infréquentable »

par Mathias Reymond

Depuis le 7 octobre, la couverture médiatique des événements en Israël et en Palestine est massive. Nous l’avons étudiée dans un premier article au prisme de « l’information internationale ». Mais en parallèle, le journalisme politique s’est largement focalisé sur des controverses politico-médiatiques. Les médias dominants, qui relaient complaisamment les campagnes menées par ceux qui dominent le champ politique, sont passés tel un rouleau-compresseur sur La France insoumise, contre laquelle tout semble désormais permis. Ses positions, « résumées », déformées, conspuées, lui ont valu une double condamnation, pour complicité de barbarie et antisémitisme nazi.

Dans les heures qui suivent les massacres du Hamas contre des civils israéliens, les premières réactions de Jean-Luc Mélenchon (ici) et des députés LFI () font l’objet d’attaques d’une partie du champ politique, que les éditorialistes reprennent à leur compte au point d’occuper la Une de « l’actualité ». En témoignent par exemple les premières questions posées à la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, lors de son passage dans l’émission « Questions Politiques » sur France Inter et France Info, le lendemain de l’attaque [1]. Les causes de la tempête médiatique ? Une condamnation pas assez marquée des crimes du Hamas, la volonté de les inscrire dans un contexte historique ou des réticences à qualifier l’organisation de « terroriste » : autant de fautes impardonnables – du moins si c’est l’occasion de dézinguer La France insoumise.

Pour clarifier les premières prises de position de leur parti, Mathilde Panot (présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale) et Manuel Bompard (coordinateur de LFI) s’expriment donc à plusieurs reprises face aux journalistes. Invité dès le lundi matin sur France 2 dans « Télématin » (9/10), ce dernier fait part de sa « condamnation totale » des attaques du Hamas, les qualifiant de « crimes de guerre », répétant son « indignation » face à ces actes. Mais les réponses que lui intime de donner Thomas Sotto ne viennent pas. Tandis que Bompard évoque la solution à deux États, « une solution qui permet aux Israéliens de vivre en sécurité et en liberté, aux Palestiniens de vivre en sécurité et en liberté », le présentateur clôt l’interview par un procès d’intention : « La position « oui, mais » ». La réaction de Manuel Bompard est immédiate : « Je ne vous permets pas, à la fin de l’interview comme ça, de résumer ma position en mettant les sous-titres que vous avez envie. Ma position, elle est très claire, je n’ai jamais dit « oui, mais ». »

Qu’on les approuve ou non, les positions de La France insoumise sont discutables, au sens où elles peuvent être discutées. Outre-Manche par exemple, la BBC explique pourquoi elle se refuse à qualifier le Hamas de « terroriste ». Concernant la qualification des événements, le politiste Jean-Paul Chagnollaud, spécialiste du Proche-Orient, argumente face au présentateur de l’émission « À l’air libre » (Mediapart, 10/10) : « Vous avez utilisé tout à l’heure le terme d’ »attentat terroriste », on peut très bien le comprendre. Moi je n’utilise pas ces termes, je dis que ce sont des crimes de guerre, parce que je pense qu’on est en guerre. Après, c’est une question sémantique, mais qui a un impact important sur la représentation que l’on se fait du conflit. » Les communiqués de l’ONU font un choix sémantique similaire, mais, en dehors de quelques rares interviews de chercheurs ou d’ex-diplomates, ces analyses sont restées inaudibles. Et quoi qu’il en soit, ces choix ne supposent aucune complaisance envers les massacres commis par le Hamas le 7 octobre.

Du strict point de vue du journalisme politique, les dissensions qui se sont exprimées au sein de la Nupes sur cette question pouvaient légitimement être traitées. Mais force est de constater que les dispositifs et le climat médiatique ambiant – où le pluralisme est méthodiquement étouffé et où chercher à comprendre est assimilé à une tentative de justifier – auront structurellement mutilé ce « débat » : loin de voir ses positions discutées, La France insoumise, clouée au pilori, a été sévèrement et unanimement condamnée, sans procès. Mais avec des chefs d’accusation, et des procureurs dont les sentences, relues à froid, sont pour le moins délirantes.

Relativisme

La première accusation – condamnation serait plus juste – à être revenue en boucle chez les commentateurs est celle de la complicité. Pour Matthieu Croissandeau sur BFM-TV (9/10), la « réaction des insoumis est indigne et fallacieuse ». La chroniqueuse de L’Express, Marion Van Renterghem, réagit sur X (anciennement Twitter) : « Le relativisme de Mélenchon et de ses sbires LFI face à l’attaque du Hamas sur des civils israéliens, reproduisant des scènes de shoah, est littéralement obscène. » (9/10) Et tandis que la Une de Charlie Hebdo ironise sur un Hamas qui « se mélenchonise » (11/10), celle du Point (12/10) dénonce « les cyniques et les complices » de « l’extrême gauche » ; quelques jours plus tôt sur le site de l’hebdomadaire, on s’amusait avec l’acronyme du parti de Jean-Luc Mélenchon : « LFI ou La formation infréquentable » (9/10). L’idée inspire CNews, qui propose, le même jour : « La France Indigne ».

Sur C8, l’analyste politique vedette de Vincent Bolloré, Cyril Hanouna, accuse carrément LFI d’« aller chercher les voix des terroristes » (9/10). Sur France Inter, Dominique Reynié impute à LFI de n’avoir aucune « compassion pour les victimes » et de « chercher des circonstances atténuantes aux crimes du Hamas » (10/10). Sur CNews, Joseph Macé-Scaron décrète que « LFI est la branche politique du Hamas » (13/10), ce que confirme Gilles-William Goldnadel dans Le Figaro : « Monsieur Mélenchon est devenu le porte-parole du Hamas à Paris » (23/10). « LFI au soutien du Hamas » titrait dès le 8 octobre Nicolas Domenach dans son édito pour Challenges. Dans la quasi-totalité des médias, outrances, déformations, mimétisme et matraquage font leur œuvre autour d’un mot d’ordre résumé au « 20h » de France 2 (9/10) – « Conflit Israël-Gaza : les ambiguïtés de la France insoumise » –, reportage agrémenté d’un visuel très pédagogique, chargé de refléter les mises en cause de « toute la classe politique » :

Antisémitisme

C’est Le Monde qui le dit, Mélenchon est « le problème de toute la gauche ». Et dans son éditorial, le quotidien pose la question : « Que cherche Jean-Luc Mélenchon ? » Avant de suggérer les réponses : « À encourager l’antisémitisme ? À cautionner le terrorisme islamiste ? » (12/10), résumant ainsi le second réquisitoire médiatique. Le 9 octobre, la chroniqueuse de RTL, Alba Ventura, affirmait déjà : « À cette extrême gauche, il y a un courant antisémite, et il y a aussi l’idée que lorsqu’on est anticapitaliste on doit être antisioniste parce que pour eux, Israël, c’est l’argent. » Elle avait été précédée par Franz-Olivier Giesbert, proposant le rapprochement qui s’impose : « En 1898, le groupe antisémite – c’était son nom – du sinistre Edouard Drumont comptait 28 députés à l’Assemblée nationale. En 2023, la France insoumise compte 75 députés. » (X, 8/10) C’est Philippe Val, sur Europe 1, qui va logiquement au bout de la logique : « Les députés de La France insoumise qui tweetent depuis samedi pour justifier l’action terroriste du Hamas sont animés […] du même antisémitisme qui [a] conduit Doriot du gauchisme tribunicien à la collaboration avec les nazis. » (9/10) Le même jour sur la même radio, Vincent Trémolet de Villers du Figaro explique qu’avec LFI, « le gauchisme anticlérical se fait le compagnon de route du clergé chiite et l’antiracisme devenu woke s’accommode de l’antisémitisme. » En quête de preuves établissant l’antisémitisme de Mélenchon, le philosophe de télévision Michel Onfray assène : « Tout le monde le dit sur les plateaux de télévision ! » (BFM-TV, 19/10)

Et pas seulement sur les plateaux : la plupart des hebdomadaires des 11 et 12 octobre se joignent au concert. Dans Marianne, Louis Hausalter dénonce « un brouillage des repères entre critique de l’attitude d’Israël, antisionisme et antisémitisme ». L’éditorial du directeur du Point, Étienne Gernelle, peste contre « la complaisance de la gauche radicale » et « les idiots utiles de l’antisémitisme », qui « se recrutent dans une mouvance où l’on cajole souvent le rappeur Médine, où l’on se gargarise des articles de Mediapart considérant « l’antisionisme » comme une opinion respectable […]. » Dans L’Express, outre un article s’attachant à démontrer « comment les non-dits de Mélenchon et des Insoumis ont réveillé le grand malentendu de la gauche sur son rapport à Israël et aux juifs », l’éditorialiste Anne Rosencher entreprend « une démonstration en cinq points » à l’appui d’une thèse : « LFI et la complaisance envers l’antisémitisme ». Et dans Franc-Tireur, Benjamin Sire soutient que « le « en même temps » des Insoumis masque difficilement une fascination morbide pour l’extrême gauche révolutionnaire, elle-même subjuguée par la violence anti-israélienne, parfois même anti-Juifs, comme l’extrême droite peut l’être ».

Les imputations d’antisémitisme contre La France insoumise permettent ainsi à certains commentateurs de comparer « extrême gauche et extrême droite », généralement au bénéfice de la seconde (au moins de sa banalisation)… quand elle n’est pas tout simplement félicitée : « Marine Le Pen ne dit rien qui fâche depuis des mois » lance par exemple Caroline Fourest sur France 5 (11/10), nullement fâchée, à l’évidence, des prises de position du RN autour du projet de loi immigration ou lors des événements à Lampedusa. Avant d’ajouter cette ignominie : « Comme Marine Le Pen est impeccable, on n’a pas prise, nous, journalistes, pour parler de cette extrême droite antisémite. Alors que comme Mélenchon dérape et que Mathilde Panot bredouille, on a plus de facilité à parler de l’extrême gauche antisémite. Mais encore une fois, les deux se rejoignent sur les juifs. »

Et de l’antisémitisme au nazisme, il n’y a qu’un pas que le chroniqueur Yann Moix, jadis auteur de textes antisémites, n’hésite pas à franchir dans « Touche pas à mon poste » (C8, 10/10) : « LFI aura des comptes à rendre. Parce qu’on n’est pas là dans l’extrême gauche. On est dans quelque chose qui, si ce n’est du crypto-fascisme, est quasiment du néonazisme, mais à l’extrême gauche. » S’estimant sans doute débordée sur sa droite, la chaîne d’extrême droite CNews s’illustre à son tour (12/10) avec un bandeau qui n’a pour l’instant pas fait réagir l’Arcom [2] : « LFI : le nazisme est-il passé à l’extrême-gauche ? »

Fermons le ban.

***
Les tentatives de disqualification de la gauche en général, et de LFI en particulier, ne sont pas inédites, mais elles se réactivent de façon aigüe en temps de crise, libérant calomnies et mensonges. Cette fois, ce sont les analyses et les choix sémantiques de LFI sur le conflit israélo-palestinien qui ont été ciblés. Profiter de l’abomination des exactions commises par le Hamas en Israël – que l’on appelle « crimes de guerre » ou « actes terroristes » et que tout le monde s’accorde à condamner – pour intenter des procès en antisémitisme relève d’un procédé politique misérable et d’une malhonnêteté intellectuelle qui ne pourront que renforcer, si besoin en était, la défiance à l’égard des grands médias. L’accusation d’antisémitisme est trop sérieuse pour se contenter d’imputations hasardeuses. L’antisémitisme est un mal trop sérieux pour mériter un tel « débat » médiatique – surtout lorsqu’il s’accompagne d’une mise sous silence de l’antisémitisme structurel de l’extrême droite…

Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose.

Mathias Reymond

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