’offensive du Hamas du 7 octobre dernier, qui ne visait pas à défaire l’armée israélienne mais à commettre des pogroms suivis d’une invasion de Gaza par cette armée, dévide ses conséquences réactionnaires dans le monde entier depuis plus d’un mois : retour de l’antisémitisme au premier plan, fuite en avant meurtrière d’Israël contre Gaza, écrasement sous les bombes, colonisation en Cisjordanie, menace de destruction du peuple palestinien, renforcement relatif de Poutine et affaiblissement de la résistance ukrainienne, poussée du campisme le plus aveugle dans la « gauche » mondiale. Rarement provocation fut aussi réussie. Ces conséquences touchent aussi la situation française dans sa spécificité. Nous l’avons vu notamment le dimanche 12 novembre.
L’exécutif macronien a, immédiatement, entrepris de mettre à profit la situation créée par les pogroms du 7 octobre pour tenter de criminaliser tout soutien aux droits nationaux et démocratiques du peuple palestinien, et soumettre le droit de manifester à l’arbitraire préfectoral. Toutefois, Macron n’est toujours pas devenu le président puissant qu’il voulait être. La confirmation de l’invalidation de la dissolution des Soulèvements de la terre par le Conseil d’État en est une bonne indication. Par conséquent, les grandes manœuvres d’union nationale, qu’il aimerait bien orchestrer, tendent à lui échapper, et seuls le RN et le PCF (hors macroniens) se sont rendus à ses secondes agapes de Saint-Denis. Par contre, un évènement politique majeur s’est accompli, ou a été consommé, par et dans la « marche contre l’antisémitisme » du dimanche 12 novembre.
Ce fait politique majeur, c’est bien sûr la pleine intégration du RN, et aussi de Reconquête (Zemmour et Marion Maréchal-Le Pen) au dispositif dit « républicain » de défense et protection de la V° République. Il n’y aura pas de « barrage républicain » au RN en 2027 si Macron tient jusque-là. Plus encore, il pourrait y avoir union nationale, jusqu’y compris au niveau gouvernemental, avant 2027, avec le RN qui a déjà un pied dans l’union nationale. Telle est la réalité que peu de commentateurs admettent dans son intégralité, se contentant de dire – mais c’est l’essentiel car le reste s’ensuit automatiquement – que le RN, de manière profonde ou superficielle c’est selon, a « évolué » et est devenu un parti luttant contre l’antisémitisme – en fait il se présente, de concert avec Reconquête, comme le parti protecteur des juifs contre les musulmans et l’ « extrême-gauche » censés être, désormais, les foyers de l’antisémitisme dans la société française.
Que le RN et Reconquête, au-delà de l’hérédité du clan affairiste et familial Le Pen, soient les héritiers directs des courants politiques qui, en 1940 avec Pétain à Vichy et avec Doriot et Déat à Paris et Laval entre les deux, ont fondé leur alliance avec l’impérialisme nazi sur le socle de l’antisémitisme, en passant par l’« Algérie française » et la naissance de la V° République à l’origine de laquelle ils se trouvent par le putsch du 13 mai 1958, est avéré.
Mais ils auraient, maintenant, « évolué » : ainsi, on peut avoir été allié stratégique des nazis et être devenu une composante nécessaire de toute union nationale en 2023, comme les Libéraux autrichiens déjà, et d’autres courants issus du fascisme et du nazisme en Europe. Dans leurs soupentes et leurs SO, les nazis sont pourtant toujours là, mais ce n’est pas grave, nous suggèrent jusqu’aux dirigeants du CRIF, car les chefs à présent sont respectables.
Et c’est là un fait que les militants qui réfléchissent pour agir doivent comprendre : les héritiers politiques du nazisme et du fascisme et de leurs alliés, en France les héritiers de Pétain, Laval, Doriot, Déat, et de la Milice, sont aujourd’hui des composantes nécessaires de l’union pour mettre en œuvre les politiques gouvernementales antisociales et antidémocratiques qu’exigent les intérêts patronaux et le renouvellement du régime de la V° République.
Nous disions depuis le lendemain du mouvement de défense des retraites que Macron avait besoin d’une radicalisation de son régime et que l’intégration du RN pouvait avoir lieu bien avant 2027. L’opération réalisée sur le dos des juifs de France ce dimanche 12 novembre a matérialisé le pas le plus décisif dans cette direction clairement indiquée, quelles que soient les palinodies, les postures et les contorsions des uns et des autres.
Notons que cette opération n’a pas eu lieu par la grâce de Macron, qui n’avait pas à lui seul les moyens de l’orchestrer et qui s’en est d’ailleurs retiré, prenant soi-disant du champ, ce qui l’a à nouveau affaibli. Elle a eu lieu par la grâce des partis ayant formés jusque-là la NUPES, le PS jouant un rôle pivot y compris en admettant ouvertement, dans un premier temps, la présence de l’extrême-droite. Le refus de LFI n’a pas affaibli la manœuvre, mais l’a au contraire confortée, en accréditant l’idée qu’il y aurait à choisir entre manifester contre l’antisémitisme ou manifester pour les palestiniens.
L’essentiel du coup politique réside dans l’intégration « républicaine » du RN et de Reconquête, les 185000 participants sur toute la France ne constituant nullement, en eux-mêmes, un raz-de-marée – on en était en fait très loin : si les adversaires de l’antisémitisme en France se limitaient à ceux qui ont « marché », la situation serait bien plus terrible encore !
Mais une grande partie des quelques 100.000 participants parisiens provenait des juifs de France auxquels aucune autre possibilité de s’exprimer massivement et pas tout seuls, que celle-ci, n’a été donnée, ce qui est tragique.
Les questions politiques posées par cette situation ont été soulevées. Le RAAR (Réseau d’Action contre l’Antisémitisme et tous les Racismes) a scandé « Ils sont racistes et antisémites, à bas le RN », et, surtout, le collectif Golem (photo) a tenté de bloquer l’insertion du groupe dirigeant du RN autour de Marine Le Pen dans la « marche » en scandant « Le Pen casse-toi les Juifs veulent pas de toi », et ont été repoussés et réprimés par la police, missionnée par la préfecture pour garantir la présence de Marine Le Pen et de Zemmour au cœur de l’évènement : tel en était bien le but politique central, et les moyens de l’État étaient là pour ça.
Honneur au collectif Golem ! Ses représentants ont ensuite expliqué dans les médias l’offense que constitue pour les juifs cette quasi condamnation à manifester contre l’antisémitisme … avec des antisémites et avec les forces historiquement constituées en France sur la base de l’antisémitisme ! Ils ont aussi accusé la gauche en général et LFI en particulier d’avoir par leur attitude « laissé les juifs manifester avec des antisémites ».
Ils touchent ainsi du doigt le fond du problème, commun aux PS, EELV, PCF et à LFI au-delà de leurs attitudes différentes envers cette « marche » : car ce dont les juifs ont été privés depuis le 7 octobre, mais aussi ce dont les musulmans et la jeunesse issue de l’immigration ont été privés, et ce dont finalement tout le peuple qui était dressé contre Macron et pour la défense des retraites ce printemps a été privé, c’est d’une grande manifestation claire et nette, contre l’antisémitisme, contre l’anéantissement de Gaza, pour les droits du peuple palestinien, contre le RN, contre l’exécutif français. Force est de constater que la protection apportée au régime, à son calendrier et à son maintien, par toutes les directions politiques de gauche, et syndicales, se traduit là, sur les questions internationales les plus brûlantes comme déjà sur l’Ukraine, de la manière la plus flagrante.
Il y a d’ailleurs eu une indication de ce qui était possible. Le jeudi 9 novembre, le RAAR avait appelé à la commémoration des pogroms de la nuit de cristal de 1938 dans l’Allemagne nazie – notons qu’aucun officiel, appelant à la « marche » du 12, n’y a pensé ni n’a parlé de pogroms à propos du 7 octobre dernier, montrant que le thème de l’antisémitisme n’est pas saisi par eux pour ce qu’il est, mais n’est qu’un instrument à un moment donné. Dans la matinée de cette journée du jeudi 9, la CGT, sortant d’un CCN (Comité Confédéral National) où la Palestine avait tenu une place importante, a décidé d’y appeler et Sophie Binet y est intervenue. C’est très bien, comme est très bien le fait que les organisations syndicales ne se soient pas impliquées dans l’opération du dimanche. Mais c’est très peu !
La situation ouverte depuis le 7 octobre ne remet pas du tout en arrière-plan les questions brûlantes soulevées depuis le 24 février 2022, bien au contraire. Un internationalisme réel, une union internationale combattant pour armer l’Ukraine, désarmer Tsahal, soutenir les palestiniens y compris contre le Hamas, unissant les mots d’ordre « Cessez-le feu immédiat pour Gaza » et « A bas l’antisémitisme », est plus que jamais nécessaire. Il n’y a pas de confrontation entre le « Sud global » et « l’Occident » mais entre les aspirations de tous les peuples du monde et l’ordre/désordre de la multipolarité impérialiste, qui porte en elle la guerre et la destruction engagée de la biosphère. La mise en réseau et le libre débat entre tous les courants et organisations qui saisissent ces enjeux, au niveau international et au niveau national, est plus encore qu’avant le 7 octobre, la tâche la plus importante.
Le 18-11-2023.
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